Édition du 7 mai 2024

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Québec

Pourquoi ne faut-il pas augmenter le salaire des député·e·s ?

Le gouvernement Legault, a déposé un projet de loi visant à augmenter le salaire des député·e·s de l‘Assemblée nationale de 101 561 $ à 131 766 $ par année, soit une augmentation de 30 000 $ ou de 30%. Et si l’on prend en compte leur allocation de dépense, leur rémunération de base passerait à 169 950 $. Le salaire de base du premier ministre, qui est actuellement de 208 200 $ passerait à 270 120 $, et la rémunération des ministres passerait de 177 732 $ à 230 591 $. [1]De plus, comme l’écrivent Manon Massé et Gabriel Nadeau-Dubois dans une lettre aux autres chefs des partis politiques : « 115 sur 125 député-e-s touchent des allocations supplémentaires, pouvant porter leur rémunération totale à plus de 200 000 $ » [2]

Le gouvernement Legault s’abrite derrière la recommandation d’un comité d’ex-parlementaires Lise Thériault (PLQ) et Martin Ouellet, ainsi que d’un spécialiste des ressources humaines. Pourquoi une telle augmentation ? Ce comité reprend des justifications fort connues. Un travail équivalent dans le privé est rémunéré davantage que le salaire actuel des député·e·s. Les député·e·s consacrent de nombreuses heures de travail à leur fonction. Mais on insiste particulièrement sur l’argument suivant : si l’on veut recruter des personnes compétentes, si on veut une députation de grande qualité, il faut augmenter leur salaire. C’est là un argument de classe méprisant : les compétent·e·s se retrouvent essentiellement chez les riches.

Sauf Québec solidaire, les partis d’opposition gênés, mais consentant

Les Libéraux se sont dits en « accord avec le principe » du rapport Thériault-Ouellet. Pascal Bérubé a exprimé un malaise « autant sur la forme que sur le fond » avec le projet de hausser la rémunération des député·e·s, mais il n’a pas exclu que sa formation politique appuie le projet de loi.

Québec solidaire n’a pas voulu entendre parler d’une augmentation salariale au moment où, en cette période d’inflation, la majorité populaire a de la difficulté à joindre les deux bouts. S’attribuer une telle augmentation de salaire enverrait un message de déconnexion envers les gens que nous représentons ont écrit Gabriel Nadeau-Dubois et Manon Massé. Québec solidaire (QS) a jugé que la façon de procéder pour décider de la hausse nuira à la confiance des électeurs et électrices envers les élu·e·s.

Les réactions syndicales et populaires

Les dirigeant·e·s syndicaux se disent outrés. Une augmentation aussi importante, c’est un exemple flagrant des deux poids, deux mesures. Aux travailleuses et travailleurs du secteur public, le gouvernement offre une augmentation de 1,8% par année sur cinq ans – ce qui ne permet même pas de contrer les effets de l’inflation sur l’érosion des revenus - alors que les travailleuses et travailleurs du secteur public gagnent en moyenne 44 000 $ par année.« Oui, le travail d’un député est prenant et demande de consacrer de nombreuses heures à ses commettants, mais justement, le premier devoir d’un élu est de servir la population et non de se servir lui-même. Le gouvernement de la CAQ devrait au moins avoir la décence d’attendre qu’il y ait un règlement avec une offre qui a du sens avec ses propres employés avant de s’autoadministrer des hausses salariales et indemnités de plus de 30%, un peu de jugement, svp », conclut la présidente de la FTQ, Magali Picard. [3]

Retour sur les motivations alléguées à l’augmentation des salaires des député·e·s

Le discours dominant chez la CAQ et les partis néolibéraux est clair. Un personnel politique vraiment compétent ne peut se recruter que dans les élites économiques. Il faut donc créer une proximité des conditions d’existence entre le personnel politique et ces élites. Sans cette proximité, les meilleur·e·s éléments, les plus compétent·e·s ne seront pas attirés par la politique et il faudra se rabattre sur les couches professionnelles qui ne sont pas nécessairement au fait des véritables enjeux économiques de la société québécoise. L’augmentation des salaires est donc un impératif incontournable, particulièrement pour les ministres et le premier ministre.

Dans la logique de l’oligarchie, sans une augmentation salariale substantielle, malheureusement difficile à faire accepter dans un climat égalitariste dans laquelle baigne la société québécoise, nous écartons de la députation des candidat-e-s d’envergure dont notre société aurait tant besoin. Nous dressons des obstacles à la nécessaire professionnalisation de la politique.

Contre la professionnalisation, la rémunération d’un-e député-e ne doit pas dépasser le salaire médian

Dans une perspective démocratique et égalitariste, nous croyons que nous devons prendre le contre-pied de l’argument des partis politiques dominants. Les conditions de vie des député·e·s doivent ressembler aux conditions de vie de la majorité des représenté·e·s. Il doit donc se situer autour du salaire médian, soient autour de 50, 000 $ environ pour une personne seule en 2023. Il faut rapprocher les conditions d’existence de nos représentant-e-s de celles vécues de la majorité populaire. Voilà comment créer une véritable culture égalitaire chez nos politiciens et nos politiciennes.
Mais pour que le/la député·e soit au cœur de notre démocratie, toute une série de mesures doit être ajoutée à une juste rémunération :

– la possibilité, entre les périodes électorales, que l’électorat de l’association de comté puisse révoquer un-e député·e impliqué dans la corruption ou le favoritisme ;
– la tenue régulière d’assemblées citoyennes pour donner un pouvoir de contrôle des électrices et des électeurs sur les représentant·e·s politiques ;
– la limitation du nombre à deux mandats réguliers pour éviter de faire des député·e·s des professionnels à vie et le développement d’attitudes visant à défendre à tout prix ce statut.
Voilà un programme qui s’attaque aux limites de la démocratie représentative qui, en temps "normal", invite les citoyennes et les citoyens à retourner chez eux après avoir tracé leur croix sur le bulletin de vote.

Si on veut que le personnel politique n’oublie pas devant qui il est redevable, il faut créer les conditions pour ce faire. Les conditions d’existence jouant un rôle non négligeable dans la détermination des formes de conscience, une proximité de leurs conditions de celles de la majorité populaire est un atout majeur pour élargir la démocratie représentative.

Témoignage d’un député du Parti du travail de Belgique sur la juste rémunération des député·e·s

Le Parti du Travail de Belgique (PTB) nous donne un bon exemple à cet égard. Les député·e·s de ce parti n’ont pas attendu que le parlement change leurs règles de rémunération pour verser l’excédent de leur salaire par rapport au salaire médian aux organisations impliquées dans les luttes sociales. (Voir la vidéo ci-dessous)

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[1Simon Jolin-Barrette a déposé son projet de loi à l’Assemblée nationale jeudi matin. Alexandre Robillard, Le Devoir, 11 mai 2023

[3La FTQ commente le projet de loi qui hausse de plus de 30 % la rémunération des élus du Québec, jeudi 11 mai 2023 / : Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ)

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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