Édition du 14 mai 2024

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Rencontre avec le nouvel archevêque de Montréal

Pourquoi le dogme catholique n’intègre pas notre communauté LGTB

Entre foi et chasteté

Nous avons rencontré le successeur du Cardinal Turcotte, Monseigneur Christian Lépine, nouvel archevêque de Montréal. L’objectif de cette entrevue fleuve n’était pas d’interpeller les choix, parfois tragiques, de l’Église envers la communauté LGBT, mais d’entendre par un des cadres de cette même Église, pourquoi le dogme catholique n’intègre pas notre communauté, alors qu’il permet de vivre sa foi… sous l’arc-en-ciel.

Vicaire de 1983 à 1986, puis curé de 1991 à 1996 à Saint-Joseph de Mont-Royal, secrétaire du Cardinal Turcotte de 1996 à 1998, puis au secrétariat du Vatican de 1998 à 2000, Christian Lépine dirigera les études du Grand séminaire de Montréal jusqu’à sa nomination comme archevêque fin 2011. En 2006 à Repentigny, il devient curé des paroisses de la Purification et Notre-Dame-des-Champs. Cette dernière paroisse fera parler d’elle lorsqu’elle autorisera des conférences de Michel Lizotte sur la « prévention de l’homosexualité » dénoncées par plusieurs associations LGBT. 

Du fait de sa grande culture théologique et philosophique, cet homme affable est à l’aise pour répondre à des questions souvent épineuses ; le pasteur n’est jamais très loin. Chaque mot est pesé, préférant les nuances pour aborder les zones grises des positions de l’Église. Contrairement à ce qu’on a bien voulu lui faire dire, le discours de Monseigneur Lépine sur les paradoxes de la foi et du dogme envers la communauté LGBT, est plus ouvert qu’on ne le pense. 

« Il existe comme un malentendu », pense le nouvel archevêque. « Que l’on soit favorable ou réfractaire à la morale chrétienne, elle est vécue souvent comme une morale trop plaquée sur l’être humain, une réalité extérieure qui se surimpose contre notre propre recherche de bonheur. Le concile Vatican II place le renouveau pastoral dans une continuité, l’intégration des données culturelles selon une société moderne attentive à la personne. » Une question de temps et de miséricorde, selon Mgr Lépine. 

La théologie du corps  

Christian Lépine est considéré comme un spécialiste de la théologie du corps. « Il s’agit d’une réflexion élaborée par Jean-Paul II entre 1979 et 1984 pour transmettre une ’’pédagogie’’ du corps, pourquoi et quel sens lui donner », avance l’archevêque de Montréal. « La première pédagogie enseigne que le Verbe s’est fait chair en Jésus-Christ qui confirme la bonté du corps. Dans la Bible, les notions de corps et âme sont liés, le corps est bon : je suis un corps & une âme, une âme ’’incorporée’’. » 

« La deuxième pédagogie concernerait le sens que l’on donne au corps. C’est tout le mystère de la création où le spirituel est invi-sible. Le corps permet d’exprimer le langage du don, aller vers l’autre, l’aider à porter ses souffrances ; le corps est à la fois notre identité et un chemin de don. » 

En quoi la chasteté est-elle importante ?  

« Il y a deux façons de regarder le corps de l’autre, soit comme objet, soit comme personne. La notion d’objet définit un rapport utilitariste : qu’est-ce que l’autre peut m’apporter, que puis-je en obtenir ? Par contre, regarder l’autre en tant que personne, c’est se donner à l’autre pour le bonheur de l’autre, mettre en priorité son bonheur. Dans ce sens-là, la chasteté, c’est de faire de notre corps une force de don de soi pour le bien, le bonheur de l’autre, mais dans la réciprocité. Parler de chasteté avant le mariage, c’est se préparer au don qu’on va se faire quand on sera marié en apprenant à voir l’autre dans sa dignité de personne, et en appre-nant une forme de maitrise de soi, et non pas de refoulement. » 

Selon Monseigneur Lépine, ce ne serait pas la chasteté qui renierait le corps, mais le refoulement. S’unir à l’autre, c’est voir l’autre dans son entièreté où le corps serait un outil de don réciproque pour le bonheur de l’autre, où il s’agit de construire la relation… avant de passer à l’acte, mais dans le sens d’un amour mutuel. « Le cœur de la chasteté, c’est le regard sur l’autre, pas l’abstinence ; comment je vois l’autre à qui je veux donner ma vie. » Un don de soi qui s’entend dans le cadre d’une relation conjugale exclusive. 

Une vie spirituelle… de même sexe ?  

Si ce contexte conjugal permet de relier les trois principes chrétiens - le don, la communion des personnes, la fécondité symbo-lique - les couples, avant même qu’ils se marient, peuvent donner ce triple sens à leur vie. Quand tout cela est réuni pour des gais et lesbiennes pour qui une vie spirituelle a du sens, pourquoi cette relation, autant spirituelle que physique, ne fonctionnerait pas dans les couples de même sexe où il y a aussi de l’écoute, du partage, du don de soi, de la fidélité, etc. ? Or, les croyants LGBT ne se sentent pas accueillis au sein de cette Église… 

« Je n’ai pas de réponse toute faite », admet l’archevêque. « L’Église ne peut pas aller plus loin que la Bible. Elle voit l’union d’un homme et d’une femme dans le contexte de la création du point de vue biblique. ’’Homme et femme, il les créa’’, c’est dans la même phrase. L’homme s’unira à sa femme, ne feront plus qu’un, qu’une seule chair : cela devient la relation fondamentale dans l’ordre de la création ». Et Mgr Lépine ajoute : « Ça n’épuise pas toutes les formes de relations humaines », poursuit Christian Lépine. 

« L’Église est à l’écoute. Mais elle ne se sent pas prête à mettre sur le même plan les unions de même sexe. Elle est capable de les accueillir en les invitant à la prière. L’appel du Christ s’adresse à chacun quelque soit son orientation sexuelle. Les devoirs de tout chrétien, au mieux de ses capacités, restent le pardon, la compassion, l’entraide, etc., peu importe l’orientation sexuelle. Je reconnais que la question est délicate et complexe », admet Mgr Lépine. « Mais l’Église ne se voit pas de dire que c’est la même chose. Elle n’est pas en mesure de s’éloigner de cette vision parce qu’elle prend son origine dans l’acte même de la création du point de vue biblique et chrétien. »

Épilogue  

Les propos de Monseigneur Lépine se veulent rassurants et témoignent d’un assouplissement de l’interprétation du dogme. Cependant, cette interprétation plus tolérante de la Bible risque de rendre certaines de ses positions caduques, comme le célibat des prêtres ou l’accès des femmes à la prêtrise. 

Tant que l’Église condamnera l’homosexualité, les gais et les lesbiennes, même s’ils semblent aujourd’hui les bienvenus, se sentiront toujours comme des catholiques de seconde zone. « Et alors ? », pourrait-on dire. Comme une structure sociétale à part au sein de notre société laïque, l’église catholique a le droit de faire ce qu’elle veut comme elle l’entend. Elle a, c’est le cas de le dire, l’éternité devant elle. À chaque catholique d’en disposer ou pas. 

Mais son histoire est tellement impliquée dans nos références culturelles qu’il est difficile d’en amoindrir l’impact. « On s’adresse à la liberté des personnes, or la liberté va avec l’amour. L’assemblée des croyants est à même de faire évoluer l’Église en son sein », conclut Monseigneur Christian Lépine. « Ne venez pas à l’Église pour chercher des réponses et des certitudes, mais d’autres questions. C’est grâce aux questions des gens qu’un certain approfondissement a pu s’y développer d’une génération à l’autre… »

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