Édition du 7 mai 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Pour relancer la lutte d’émancipation, il faut imaginer un nouveau projet

Pendant que la course au leadership du Parti Québécois (PQ) tourne en rond dans l’indifférence générale, la question reste reposée sur l’avenir de cette formation politique dont le déclin électoral se poursuit depuis 1995. En réalité, poser la question, c’est en partie d’y répondre. Même les personnes qui appuient le PQ sont convaincues qu’il n’y a pratiquement aucune chance de voir leur parti revenir au pouvoir dans un horizon raisonnable. Pour se justifier, des péquistes fanatiques blâment Québec Solidaire ou François Legault. Incapables de se regarder dans le miroir, ils sombrent dans une pathétique litanie qui est le symptôme d’un projet sans perspective. Je ne veux cependant pas mettre tous les péquistes dans le même paquet. Il y en a qui voudraient explorer d’autres chemins que ceux qui ont mené au déclin actuel.

Le nationalisme de droite a des bases solides

Il faut s’efforcer de comprendre davantage ce déclin. Il me semble qu’il y a à gauche un certain contentement naïf, comme si la chute en apparence irrésistible du PQ allait automatiquement favoriser les progressistes. Une telle évaluation me semble doublement prématurée. D’abord, l’effacement du PQ est en bonne partie liée à la captation de la question nationale par le nationalisme de droite et identitariste qui demande aux « Canadiens-Français » de se retrouver dans un « nous » exclusif. Les problèmes persistants dans notre société ne sont alors pas perçus comme les effets du néolibéralisme pervers auquel cette droite adhère, mais comme des « complots » venant des immigrant-es et des réfugié-es articulés autour de la vision multiculturaliste d’Ottawa.

Dans un passé encore récent, cette recette a permis à Duplessis et sa « grande noirceur » de dominer la scène électorale pendant des décennies. Bien que cela s’exprime dans un autre langage actuellement, ce nationalisme rétréci se retrouve très utile pour imposer l’austéritarisme, tasser les syndicats et « faciliter » la vie aux entreprises par des politiques fiscales et une opposition de principes à leur imposer des contraintes, notamment dans le domaine environnemental. Il faut constater que ce projet fonctionne assez bien après deux ans de pouvoir caquiste sous la houlette d’un politicien redoutable qui aime fonctionner comme un roi et maître.

Ensuite, on observe un peu partout que le déclin des formations centristes (le PQ en était une) favorise souvent les droites et en particulier, les droites « extrêmes », et non le centre-gauche et la gauche. C’est ce qu’on constate en tout cas en Espagne, en France, au Brésil et jusqu’à un certain point, aux États-Unis (1).

On trouve dans les couches populaires et moyennes des gens déstabilisés, confus, un peu « orphelins ». Cela crée un sentiment d’impuissance qui de manière significative renforce les populismes de droite. Les électeurs « fâchés-fâchés » qui votaient pour les partis de gauche en Europe se retrouvent nombreux derrière le Rassemblement national (France), la Lega (Italie), voire Trump (aux États-Unis). Au Québec, c’est un peu différent. La majorité électorale pro-CAQ s’est produite par « défaut », plutôt sur la base d’une adhésion à un programme clair que Legault a tout fait pour occulter. On ne peut pas dire que Legault se présente comme un homme de droite au sens traditionnel. Cela le rend encore plus efficace.

Les transformations de la société

Il y a d’autres périls qui nous attendent qui sont à la fois des causes et des conséquences de cette transformation. À la base du projet péquiste, il y avait ce rêve de créer au Québec un État indépendant « comme les autres », prenant sa place dans le contexte capitaliste nord-américain. Pour cela pensait Jacques Parizeau, il fallait renforcer le capitalisme québécois qui était, il faut le dire, faible et subalterne jusque dans les années 1960. L’expression consacrée « speak white » traduisait une réalité incontestable, que les jeunes générations ont de la misère à comprendre tellement elle semble déphasée. L’économie était totalement monopolisée par la minorité anglophone et les grandes entreprises anglo-canadiennes et états-uniennes. Parizeau savait bien que cette situation allait demeurer ainsi sans un investissement politique concerté, systématique et de longue haleine, pour transformer les aspirants capitalistes québécois et leurs TPME (très petites et moyennes entreprises).

Pour cela il fallait créer des outils financiers dont les principaux furent la Caisse de dépôts et de placements et la ribambelle et c’est ce qui fut amorcé dès la fin des années 1960 avant l’avènement du PQ, mais qui fut renforcé à partir de 1976. Il faut se souvenir que l’investissement de la Caisse, qui gère nos actifs collectifs, a permis aux « beaux fleurons » de se maintenir en vie devant les assauts répétés du grand capital nord-américain. En plus de favoriser Québec Inc. Parizeau pensait nécessaire d’imposer des réformes pouvant « humaniser » le capitalisme, revenir aux principes keynésiens de redistribution des revenus et d’inclusion du syndicalisme dans une sorte d’alliance inspirée des expériences de centre-gauche européennes.

Le rêve brisé

Aujourd’hui comme l’explique Pierre Beaulne (2), cette aventure est terminée. La perspective de « réformer » le capitalisme n’a plus la cote dans un parti qui a intériorisé le néolibéralisme depuis 1982-84 (le « beau risque » de René Lévesque) et encore plus depuis 1995 avec Lucien « Lucide » Bouchard. D’autre part, plusieurs « beaux fleurons » ont entrepris depuis quelques années de capituler (Domtar, Cirque du Soleil, Air Transat, Saint-Hubert, Bombardier, etc.) alors que leurs PDG et « cadres et compétents » se contentent devenir de riches gérants de succursales, ce qui concorde d’ailleurs avec le nationalisme rétréci de la CAQ. La Caisse, outil de développement du capitalisme québécois, est devenue, selon Christian Pépin, une machine à investissement comme toutes les autres, cherchant les « bonnes affaires » dans le sillon du néolibéralisme mondialisé et de l’extractivisme (3) : « Les grandes entreprises et les institutions financières ( la Caisse, la Banque nationale, Desjardins, etc.) sont de plus en plus portées à investir hors du Québec, là où les rendements sont plus élevés, les syndicats moins combatifs et les gouvernements plus complaisants » (4). C’est ce qui incite Julia Posca à affirmer que la politique actuelle de la CAQ entraîne le Québec à s’installer dans un « capitalisme des succursales » (5).

Bref, le projet de faire de Québec Inc. le porteur du projet indépendantiste n’a pas fonctionné, non seulement à cause de l’intransigeance de « Canada Inc. » et de l’État fédéral qui lui est assujetti, mais aussi parce que Québec Inc., ne voulait pas aller dans le sens de la souveraineté, tout en profitant de l’appui de l’État québécois (et des citoyens qui paient des impôts que nous sommes tous). À long terme cependant, ce « provincialisme » de Québec Inc., pourrait être sévère pour l’économie québécoise dans son ensemble et pour le retour, même sous une forme atténuée, de l’époque où se faisait dire, dans le monde dit des affaires, de « speak white ».

Redéfinir la lutte d’émancipation

Conséquemment, l’hypothèse d’un grand « front uni » de toutes les classes sociales, incluant la bourgeoisie québécoise est aujourd’hui caduque. Il n’y a pas vraiment d’autre choix que de reconstruire une alliance sociale avec comme axe les couches populaires, ouvrières et moyennes qui composent évidemment la majorité démographique. Cependant, cette majorité est une minorité sur la scène politique, monopolisée par les « gérants » de l’économie de succursales » (la CAQ), les relais du capitalisme et de l’État canadien (le PLQ) et les derniers partisans du PQ, qui pour la plupart, se « réfugient » dans le projet caquiste. Pour autant, le projet d’une alliance populaire actualisée existe, à l’état embryonnaire, avec Québec Solidaire. Ce projet peut avancer à condition que le projet se définisse dans la lutte contre le néolibéralisme globalisé qui prédomine et qui implique un grand retour en arrière des conditions de vie et de travail de la majorité de la population. Il doit mettre de l’avant une véritable convergence avec les peuples autochtones qui réclament, comme le peuple québécois, le droit à l’autodétermination. L’indépendance est également un projet socio-économique, pour casser ou au moins affaiblir le dispositif qui nous ramène à un état de subordination, selon Mathieu Dufour (6).

Le projet doit aussi se positionner à la fois sur le plan national et sur le plan international. Pour sortir de la prison du néolibéralisme, la « grande coalition » à mettre en place au Québec devra rejoindre les résistances des peuples ailleurs, ce qui veut dire surtout, dans notre cas, en Amérique du Nord. Cela implique des pratiques de solidarité qui ne soient pas des « rajouts » ou des « compléments » à une stratégie se définissant exclusivement sur le plan national. On aurait avantage à ce que tout cela devienne au sein de QS plus explicite et affirmatif.

Notes

1-Pierre Beaulne, « Les hauts et les bas de Québec Inc. », in La question nationale revisitée. Enjeux, stratégies, résistances », Nouveaux Cahiers du socialisme (NCS), numéro 24, septembre 2020.

2- Christian Pépin, « La Caisse de dépôts et de placements : rouage de notre exploitation », in NCS, septembre 2020.

3- « Audrey Laurin-Lamothe, « La financiarisation et le charme discret de Québec Inc. »., in NS, septembre 2020.

4- Julia Posca, « La politique économique de la CAQ : un nationalisme de succursales », in NCS, septembre 2020.

5- Mathieu Dufour, « Le contrôle des leviers financiers au Canada », in NCS, septembre 2020.

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