La prochaine campagne électorale amènera son lot de réactions xénophobes, comme l’annoncent la réception de la candidature de Eve Torres et les réactions à l’intention affichée par la Ville de Montréal de permettre aux policiers et policières de porter des signes religieux tels que le hijab ou le turban.
Face à celles-ci, QS doit mettre fin aux louvoiements qui ont caractérisé ses prises de positions jusqu’à maintenant. Pour ce faire, QS n’a pas à chercher très loin : il doit simplement respecter sa propre déclaration de principes ainsi que les positions déjà adoptées par les membres du parti réunis en Congrès.
La Déclaration de principes adoptée en 2006 lors de sa fondation annonce que QS luttera « ici et maintenant » contre le racisme et l’intolérance. Le texte insiste sur l’idée que pour favoriser la participation pleine et entière des personnes issues de l’immigration au monde du travail de même qu’à la vie sociale et politique, selon la déclaration, « il est essentiel de renforcer la lutte contre le racisme et les autres formes de discrimination. »
Un an plus tard, durant la campagne électorale de 2007, les porte-parole dénoncent sans ambages les propos de Mario Dumont (alors chef de l’ADQ) en les qualifiant de « démagogiques et xénophobes » et ils déplorent la stigmatisation des immigrants lors du débat sur les « accommodements raisonnables ». Réagissant ensuite à la mise sur pied de la commission Bouchard-Taylor, Amir Khadir et Françoise David se disent opposé.e.s aux mesures telles que l’interdiction du voile dans les écoles publiques et mettent également en garde contre un concept de laïcité qui voudrait interdire tout comportement religieux en public.
Lors du dépôt du rapport de la commission toutefois, le parti annonce qu’il appuie « sans réserve » ses recommandations, y compris l’interdiction des signes religieux pour les personnes en position d’autorité.
Pourtant, le Congrès de novembre 2009 adoptera une position beaucoup plus permissive que celle du rapport Bouchard-Taylor. En effet, une section du document « Un pays démocratique et pluriel » qui clarifie la position de QS sur la question nationale traite de la question de la laïcité et du port des signes religieux. Elle prévoit que les usagers et les usagères des services offerts par l’État ainsi que les agents de l’État pourront porter des signes religieux sauf s’ils servent d’instrument de prosélytisme ou entravent l’exercice de la fonction.
Malheureusement, le parti déviera sensiblement de cette ligne — et donc de son programme — quelques mois plus tard avec le projet de loi 94 qui vise à interdire le voile intégral dans les services publics. QS critique alors le « burqa ban » des libéraux puisqu’il serait « extrêmement timide », entre autres à cause du fait qu’il n’aborde pas le port de signes religieux dans la fonction publique.
Le fossé entre les positions débattues et adoptées en congrès et celles défendues par les porte-parole de QS sur la place publique se creuse tout au long du débat sur la « Charte des valeurs québécoises » déposée par le gouvernement du Parti québécois. Convaincue de pouvoir parvenir à un compromis permettant de clore le débat sur la laïcité, Françoise David se prononce pour l’obligation de recevoir les services publics à visage découvert et pour l’interdiction du port de signes religieux pour certaines professions. Ces positions seront par ailleurs incorporées dans le projet de loi n° 398 déposé en 2013 par la députée de QS.
Et, en 2017, pas moins d’une semaine après la tuerie à la mosquée de Québec, le projet de loi sur l’obligation du visage découvert pour recevoir des services publics (PL-62) revient au Parlement. Les vies perdues de six personnes auraient dû convaincre une fois pour toutes quiconque au Québec de ne plus cibler les musulmans dans les discours et les débats parlementaires. Malheureusement, QS se coalisera avec la CAQ et le PQ pour proposer de restreindre plus avant les droits de femmes musulmanes et pour réclamer une fois de plus la mise en œuvre d’un consensus qui s’est avéré illusoire.
***
Rien ne permet de croire que voter des lois ou des chartes permettent de venir à bout des paniques identitaires de notre époque : ces craintes sont en grande partie entretenues par des politiciens peu scrupuleux, des médias en quête de sensationnalisme et de piètres intellectuels en mal de notoriété. Tout porte à croire que ça serait même l’inverse : légiférer contre les droits de certain-e-s à porter des signes religieux cautionne plus avant l’idée que ces personnes présentent une menace pour notre société.
Alors que le parti s’accroche aux recommandations de la commission Bouchard-Taylor, c’est le contenu du rapport que le parti doit maintenant mettre de l’avant. Après un an de travaux, le rapport de la commission soulignait noir sur blanc que « les fondements de la vie au Québec ne se trouvent pas dans une situation critique » et que les demandes d’accommodements n’avaient pas perturbé le « fonctionnement normal de nos institutions ». Le rapport concluait enfin – et surtout – que « la crise [des accommodements] semble avoir davantage existé dans les perceptions que dans la réalité », confirmant ainsi une « couverture médiatique souvent déficiente » et l’exposition du public à une « vision stéréotypée » de certaines catégories de citoyennes et de citoyens – surtout ceux et celles de confession musulmane.
Ainsi, chaque fois que des formations politiques ont agi en affirmant « défendre » une laïcité pourtant nullement menacée, toute issue progressiste était bloquée puisque le débat se déroule dès lors sur le terrain de prédilection de la mouvance d’extrême-droite contemporaine. QS n’aurait jamais dû aller se battre sur ce terrain et il doit maintenant corriger cette erreur stratégique. Il est urgent de s’attaquer au « racisme sous-jacent » des débats identitaires autour des signes religieux, réalité que même le PQ était capable de reconnaitre avant son propre virage identitaire.
Alors que les populistes de droite prétendent parler au nom de « la majorité silencieuse », les sondages montrent que la très grande majorité des Québécois-e-s ont d’autres priorités que celle de légiférer sur les symboles religieux. QS ne doit pas contribuer à donner un écho aux idées tonitruantes portées par les mouvances politiques xénophobes qui gagnent du terrain mais qui ne reflètent pas les préoccupations principales de la majorité.
QS a réalisé de bons coups sur le front antiraciste (par exemple la motion contre l’islamophobie), mais il ne s’allie pas encore spontanément aux milieux antiracistes. Cette lacune explique en partie pourquoi QS a de mauvais réflexes ou hésite à faire écho aux revendications du mouvement antiraciste alors que ses propositions s’arriment fort bien avec les autres mouvements sociaux progressistes du Québec.
QS doit donc cesser d’alimenter un tant soit peu de faux débats sur la laïcité et plutôt en récuser les termes racistes. QS pourra ainsi s’élever au-dessus de la mêlée et adopter une stratégie ouvertement et clairement opposée à toute forme de racisme. Le parti pourrait ainsi tirer profit de l’hypocrisie libérale en la matière et devenir le fer de lance du combat contre l’intolérance et les discriminations. En réajustant le tir, QS pourra saisir l’opportunité de réaliser des gains politiques tout en donnant corps à ses principes fondateurs.
Des militantEs préoccupéEs par la montée du racisme
Molly Alexander
Patricia Alexander
Sibel Epi Ataogul
Nikolas Barry-Shaw
Élisabeth Béfort-Doucet
Xavier Camus
Safa Chebbi
Mei Chiu
Béranger Enselme
Emanuel Guay
Mostafa Henaway
Céline Hequet
Richard-Alexandre Laniel
Audrey Laurin-Lamothe
Bochra Manaï
Christian Pépin
Anne Plourde
Noël St-Pierre
Jessica Squires
Jennie-Laure Sully
Fanny Theurillat-Cloutier
Un message, un commentaire ?