Édition du 7 mai 2024

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Québec

Les régimes de retraite, gouffre financier ou protection sociale ?

Les régimes de retraites ont fait la une ces temps derniers. En raison, semble-t-il, des déficits accumulés des fonds qui les soutiennent. Les impacts, nous dit-on, seraient sérieux ; sur les finances des employeurs publics et privés et sur les retraités euxmêmes dont les revenus stables à la retraite seraient menacés. La situation serait particulièrement critique dans les municipalités et de nombreux maires ont fait appel au gouvernement du Québec pour qu’il légifère dans le sens d’une plus grande autonomie dans la négociation des conventions collectives. Certains d’entre eux ne se gênent pas d’ailleurs pour montrer du doigt les grands responsables de cette situation : les syndicats qui abuseraient de leur pouvoir pour s’attribuer des conditions de travail qu’une bonne partie des contribuables n’ont pas eux-mêmes. Qu’en est-il au juste ?

(tiré du Bulletin de liaison des membres et sympathisant(e)s de l’Association de Québec Solidaire Charlevoix-Côte-de-Beaupré-Île-d’Orléans, no. 5 janvier 2014)

Se faire une tête sur le sujet n’est pas facile, en raison notamment du fait que le système québécois renferme plusieurs composantes : Régime des rentes du Québec (RRQ) ; Sécurité de la vieillesse (PSV) et Supplément de revenu garanti (SRG) ; régimes complémentaires privés où les fonds sont alimentés par les cotisations patronales et syndicales ; Épargne-retraite dont les régimes enregistrés d’épargne retraite (REER) sont un exemple. Précisons que ces composantes contribuent en proportions variables au remplacement du salaire tiré du travail (voir la figure).

Répartition des sources de revenus pour un niveau minimal de 70 % de remplacement de salaire pour un individu âgé de 65 ans Source : LANGIS, Georges, Constats et enjeux concernant le système de retraite québécois, Régie des rentes du Québec, 3e trimestre 2010. Cité par l’IRIS dans son rapport de recherche de mars 2013.

La figure montre bien que, pour assurer à la retraite un remplacement de revenu de 70 % du salaire gagné pendant la période de travail (habituellement, les meilleures années), les régimes privés (la composante facultative) sont essentiels, en tant que complément des régimes publics, pour assurer une bonne protection sociale aux retraités. Les régimes à prestations déterminées (RPD, voir le lexique) répondent bien à cette exigence en ce sens qu’ils permettent un revenu de retraite stable, qui n’est pas censé fluctuer au rythme des aléas économiques. Ils évitent de voir plonger la classe moyenne dans la pauvreté advenant, par exemple, une crise économique où les rendements de capitalisation2 des fonds de retraite sont plus faibles qu’anticipés. La conception de ces régimes est donc celle du salaire différé ; les travailleurs, par l’intermédiaire de négociations menées par leurs syndicats, acceptent des salaires moindres en échange de la promesse d’un revenu futur par un employeur (privé ou public) qui accepte également de supporter les risques liés au financement du fonds de retraite alimenté par sa propre cotisation et par celle des travailleurs.

Ces dernières considérations mettent en évidence les logiques contradictoires à l’oeuvre au sein des régimes par capitalisation. D’une part, les RPD visent à protéger le salarié, mais, d’autre part, les placements pour faire fructifier le fonds grâce aux rendements obtenus sur les marchés financiers procèdent « d’une prise de risque systémique au travers de paris sur l’avenir »3. Il nous faut toutefois souligner qu’employeurs publics et privés y ont jusqu’ici trouvé leur compte : rétention du personnel, avantages fiscaux divers et, dans le cas du gouvernement du Québec, constitution d’une somme d’argent considérable à investir dans l’économie par l’intermédiaire de la Caisse de dépôt et de placement qui s’est vue confier la gestion de fonds de retraite des employés de l’état.

Si, dans le passé, les RPD se sont avérés être un élément essentiel du dispositif global assurant un revenu décent aux personnes à la retraite, ils ont été ébranlés dans les années 80 en raison de la volonté des gouvernements, soutenus en cela par le milieu des affaires, à recourir à l’épargne privée en haussant le plafond fiscal des cotisations aux différents régimes d’épargne retraire (REER) plutôt que d’améliorer les prestations des régimes publics ou de faciliter l’accès aux RPD. Depuis les années 90, les RPD cèdent du terrain aux REER et aux régimes à cotisations déterminées (RCD). Entre 2001 et 2011, dans le secteur privé surtout, ces choix ont provoqué une baisse d’environ 30 % du nombre de salariés bénéficiant d’un RPD, les entreprises jugeant ces régimes couteux, lourds à administrer et imprévisibles à cause justement des variations aléatoires (!) de l’économie. Ainsi, se mettent graduellement en place des plans de retraite individuels qui, selon plusieurs analystes, ne pourront jamais remplir le rôle qui leur est officiellement attribué, à savoir de compléter convenablement les revenus des régimes publics (RRQ, SV et SRG). Et ce, pour des motifs évidents : la classe moyenne n’arrive pas à épargner et, quand elle le fait, les rendements des plans d’épargne individuelle et des RCD se situent sous l’inflation, en raison notamment des frais de gestion élevés, sans oublier les risques financiers ou une longévité hors du commun...

Et aujourd’hui, on assiste à une attaque en règle d’un des piliers fondamentaux des systèmes de retraite. Les RPD seraient trop généreux et trop couteux... et les retraités trop nombreux ! Les tenants de l’abandon des RPD n’hésitent pas à en parler comme de véritables bombes à retardement pour les finances publiques, et ce, en procédant à des raccourcis qui entretiennent la confusion : confusion par exemple entre le passif d’un fonds de retraite (les engagements envers les retraités actuels et à venir) et la dette qui, elle, devrait refléter plutôt la situation actuelle.

LES DÉFICITS DES RÉGIMES DE RETRAITE PUBLICS

S’il est vrai que la crise financière de 2008 a creusé les déficits actuariels de plusieurs fonds de pension et que la reprise économique incertaine n’est pas pour arranger les choses, il faut aussi savoir que, durant les ’bonnes années’ où les fonds étaient en surplus, certaines décisions politiques discutables y ont aussi contribué, par exemple les congés de cotisation, les prises de retraites anticipées (30 000 sous le gouvernement de Lucien Bouchard). De plus, certains pouvoirs publics ont fait le choix de ne pas verser leurs cotisations mais de les considérer plutôt comme une dette envers les fonds de retraite. Ces sommes non versées (souscapitalisation) ont, bien entendu, fait gonfler (virtuellement ?) les déficits des fonds... et la dette de l’employeur public ou privé. Procéder à des coupures de prestations à des retraités qui ont eux continué à cotiser pendant les périodes de bons rendements équivaudrait à des compressions salariales rétroactives et à entériner de plus une gestion publique pour le moins déficiente, à courte vue et insensible à la question sociale.

Malgré ce qui précède, il s’avère qu’une majorité de RPD en Amérique du Nord sont en bonne santé (selon l’agence de notation DBRS) et que leurs fonds seraient presque revenus à leur situation d’avant la crise. La bonne santé financière, selon l’évaluation actuarielle de 2010, de l’important Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (RREGOP) est là pour nous rappeler la viabilité de ce type de régime.

Il en est toutefois autrement pour d’autres régimes, comme ceux de certaines municipalités ou sociétés publiques où l’on pourrait envisager des modifications sans toutefois s’attaquer à l’essence même des RPD. Des solutions existent pour assurer leur survie sans toutefois saper dans leur composante sociale : atteinte graduelle de la parité des cotisations entre les employeurs et les salariés, par exemple. Mais les modifications devront passer par une véritable négociation où l’objectif serait d’assurer la pérennité du fonds de retraite : capitalisation obligatoire des cotisations de l’employeur et des employés dans une fiducie, gestion paritaire des fonds, etc. Enfin, il n’est pas inutile de rappeler « que l’analyse de la rémunération globale des employé·e·s du secteur public démontre que le cout pour le gouvernement-employeur des régimes de retraite de ses employé·e·s est inférieur ou égal à ce que les entreprises du secteur privé de plus de 200 employé·e·s dépensent en moyenne pour financer les différents mécanismes complémentaires d’épargne retraite »4.

Ajoutons en terminant que des solutions pourraient être envisagées pour corriger la diversité et l’inéquité du système actuel. Pourquoi pas, par exemple, un RPD universel, mais modulable aux différentes situations de travail et de revenus, qui regrouperait dans un Fonds patrimonial l’ensemble des fonds des différents régimes et qui tablerait, pour les faire fructifier, sur le rachat de la dette du gouvernement du Québec ? Et pourquoi pas aussi une bonification des régimes publics ?


Notes

1 Les cotisations d’aujourd’hui sont investies pour payer les prestations futures. Les sommes accumulées varient donc en fonction des rendements des actifs sur le marché.

2 Sabine Montagne , Les fonds de pension : entre protection sociale et spéculation financière, Paris, Odile Jacob, 2006, p. 17.

3 l’IRIS, Système de retraite au Québec et au Canada : constats et solutions, Rapport de recherche, mars 2013.


Petit lexique des régimes de retraite*

Régime à prestations déterminées (RPD)

« Les RPD sont des régimes de retraite par capitalisation dont la
finalité est de garantir aux travailleurs une rente viagère dʼun
montant prédéterminé lorsquʼils partiront pour la retraite. Les
cotisations sont déterminées selon une évaluation actuarielle
trisannuelle afin de garantir la solvabilité du fonds. Le montant
de la rente est habituellement calculé en fonction des années de
service et de la rémunération salariale de lʼemployé·e, mais il
peut aussi être fixé de manière forfaitaire ».

Régime à cotisations déterminées (RCD)

« Les RCD sont des régimes de retraite où les cotisations
demeurent stables pour lʼemployé·e et lʼemployeur, mais pour
lesquels les revenus de retraite ne sont pas fixés dʼavance. Les
cotisations sont déposées dans le compte de retraite individuel
de la personne concernée. [...]. Lʼargent est investi sur les
marchés et les rendements ne sont pas garantis. Lorsque quʼil
ou elle prend sa retraite, lʼemployé·e retire alors lʼensemble de
lʼargent accumulé pour sʼacheter une rente auprès dʼun
assureur ou transférer le montant dans un fonds de revenus
viager (FRV) qui lui permettra, aussi longtemps que le permettra
la somme investie et les taux dʼintérêt en vigueur, de retirer une
rente de retraite ».

Le passif

« Le passif représente lʼensemble des sommes théoriquement à
verser à lʼensemble des cotisant·e·s, quʼils soient à la retraite ou
non. Dans le cas des RCD, ce passif représente lʼargent qui est
effectivement dans le fonds de retraite puisque les montants des
rentes dépendent directement de lʼargent disponible. Pour ce
qui est des RPD, puisque les prestations sont fixées dʼavance,
le passif est généralement plus élevé que les sommes
accumulées et sera déterminé selon des hypothèses de
prédictions actuarielles. Cela nʼest pas un problème en soi
puisquʼil est plus que hautement improbable que lʼensemble des
cotisants demande leurs prestations au même moment ».

L’actif

« Lʼactif est lʼargent qui est dans le fonds effectivement. On
parle dʼun régime qui est pleinement capitalisé lorsque
lʼemployeur ou le fiduciaire du fonds de retraite a mis de côté
suffisamment de fonds afin de couvrir ses obligations futures ».

Déficits actuariels

« Les déficits actuariels représentent la différence entre le
passif, donc les sommes à verser, et lʼactif, soit lʼargent
accumulé dans le fonds de retraite. Ils sʼexpliquent
principalement par un écart entre les résultats réels (taux de
rendements, nombre de départ à la retraite et espérance de vie)
et les hypothèses initiales ».


(*) : Ces informations sont tirées de l’étude de l’IRIS citée.

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