Karl Nerenberg
traduction Jacques Brisson
Se montrer compétente et confiante ne semblait toutefois suffisant pour madame Wynne car c’était elle, comme on pouvait s’y attendre, qui fut sur la défensive pendant la plus grande partie de la soirée.
Même lorsqu’il fut question de politiques tout à fait justifiables, comme c’est le cas pour les décisions de son gouvernement d’interdire le contrôle d’identité ou de soutenir les sites d’injections sécurisés, elle semblait constamment devoir faire du rattrapage. Horwath a constamment rappelé au Premier ministre que son parti était au pouvoir depuis plus de 15 ans et qu’il fallait se concentrer sur les questions importantes soulevées pendant le débat.
Plusieurs électeurs et électrices, même parmi ceux et celles qui se considèrent progressistes, se montrent sceptiques par rapport à Horwath. Ce débat devrait faire disparaître leurs derniers doutes. Tout en martelant régulièrement ses messages clés, comme « changer pour le mieux », la chef du NPD a réussi à paraître franche, naturelle et à être impliquée dans le débat tout au long des 90 minutes que celui-ci a duré.
Horwarth fut la seule leader qui réussit à présenter les enjeux à la lumière des préoccupations quotidiennes des citoyens et citoyennes. Elle a constamment fait référence aux soins pour l’enfance, aux soins dentaires, aux soins à long-terme pour les personnes âgées, une « médecine de corridor » (une de ses expressions favorites) de même qu’aux besoins pour du logement à coût abordable. Et elle a donné cette impression très claire que son parti avait élaboré des politiques pour s’attaquer à ces problèmes, même si elle n’a pas eu l’occasion d’en étaler tous les détails.
Lorsqu’elle passa à l’offensive, Horwarth fut particulièrement efficace à propos de la privatisation d’Hydro One. Outre le fait que cette opération fut une injection rapide de capital, la vente d’une grande partie de Hydro One ne semble pas faire écho à une quelconque politique publique.
Même les commentateurs des médias traditionnels ont démontré le non-sens de remettre un monopole, fournisseur d’un service public essentiel comme l’électricité, dans les mains du privé. Durant le débat, Wynne a marqué des points en répliquant que son gouvernement avait dû investir massivement dans les infrastructures, par ce que, pour des décennies, les gouvernements successifs de tous partis avaient omis de le faire. Mais Wynne n’a tout simplement pris la peine d’expliquer pourquoi était-il nécessaire de vendre une grande partie du service public pour financer l’opération.
Ford a fait de ce qu’il appelle le « dégât Hydro » un de ses motto. Mais le leader conservateur n’a pas tant à dire à propos de l’électricité, sinon pour lancer ses diatribes populistes à propos de l’« homme de six millions ». Cet homme étant le président de Hydro One, Mayo Schmidt, qui empoche effectivement 6 millions de dollars par année.
Les coupures budgétaires proposées par Ford sont, selon ses propres mots, sournoises
Au cours du débat, Ford fut à son meilleur lorsqu’il attaqua Wynne sur la corruption et les cafouillages de son gouvernement. Son argument le plus percutant a été de marteler que l’Ontario est l’entité sous-nationale la plus endetté du monde.
Pour un homme qui se targue de son parler populaire, l’expression « sous-nationale » semble un choix de mot plus que douteux.
Et ce n’est pas la seule occasion où Ford a tenté de dépasser les attentes en termes linguistes qui sont fort modestes à son endroit. Le leader conservateur a utilisé le mot « fourbe » à plus d’une reprise en guide de réplique aux accusations de Wynne prétendant qu’il couperait dans les services offerts à la classe moyenne afin de réduire les impôts des riches.
L’utilisation du mot fourbe était sans doute fort appropriée mais pas dans le sens où l’entendait Ford. Il serait difficile de conclure que Ford lui-même fut autre chose que fourbe lorsqu’il déclara qu’il serait capable de sabrer dans les dépenses gouvernementales de 4% sans que soit perdu un seul emploi. Et durant le débat, Ford alla plus loin qu’il ne l’avait jamais fait auparavant. Il démontra avec enthousiasme à quel point il aimait les enseignant-e-s et les infirmier-ère-s, et promis solennellement qu’aucun de ceux-ci et celles-ci ne perdrait son emploi.
Wynne a inlassablement martelé que Ford ne pouvait croire lui-même à son plan de coupures budgétaires. Elle insista sur le fait qu’il allait devoir couper en profondeur, pas seulement en recherchant quelques menus gains d’efficacité, afin de financer les allégements fiscaux qu’il a promis.
Horwath a pu porter les coups les plus percutants à Ford lorsqu’elle a mentionné que d’anciens leaders conservateurs comme Mike Harris ou Tim Hudak avaient eu l’honnêteté d’expliquer aux ontariens les effets réels des coupures qu’ils comptaient entreprendre. Ford n’avait pas le courage de porter son discours au même niveau.
Ford paru déstabilisé par les attaques sévères de Horwath mais retourna rapidement à son mantra martelant qu’il visait 4 cents d’économie pour chaque dollars dépensé par la gouvernement.
Le pire moment du chef conservateur fut lors des déclarations d’ouverture. Il paru presque avoir oublié son texte, sans compter les nombreux moments dans le débat où il choisit sciemment de rester silencieux.
Pour les journalistes, les silences de Ford parurent gênants et embarrassants. Ceux-ci pouvaient toutefois faire partie d’une stratégie dans la mesure où les conservateurs et leurs partisan-ne-s semblent avoir conclu que la voie de la victoire pour Ford consiste à en dire le moins possible. Son but étant de rassurer les électeurs et électrices comme quoi il n’est ni dangereux ni instable. A cette fin, il a pu éviter de dire quoi que ce soit qui fut trop flamboyant, empreint de colère, polarisant ou radical.
En raison de leur avance nette dans les sondages, les conservateurs semblent avoir conclu que la meilleure stratégie consistait à être discret et à surfer sur un profond désir de changement.
Une gagnante, presque à l’unanimité
Andrea Horwath a tout fait dans ce premier débat pour mettre à mal la stratégie du chef conservateur. Et si l’on se fie à l’analyse préliminaire faite par les organisateurs du débat, City Toronto, Horwath semble avoir réussi – peut-être au-delà des attentes les plus optimistes de ses propres supporter-e-s.
Les trois personnes à qui City Toronto a demandé de jouer le jeu de l’analyse se désignaient comme progressistes. Il y avait la militante pro-canabis Jody Emery, le journaliste, cinéaste et activiste Desmond Cole de même que Murtuza Haider, enseignant en management et expert en transport urbain, venant un peu faire contrepoids vers la droite. Tous et toutes s’entendaient pour conclure, sans aucune hésitation, que Horwarth avait livré, et de loin, la meilleure performance de la soirée. Haider se montra particulièrement impressionné – selon ses propres mots, « agréablement surpris » – par les réponses nuancées, bien informées et réalistes à propos des défis du transport en commun à Toronto.
City avait également convié son analyste politique, le journaliste radiophonique John Stall, qui fit de son mieux pour justifier le fait qu’il déclara Ford comme le vainqueur du débat – conclusion basée principalement sur le fait que le chef conservateur n’a rien dit qui ne soit répréhensible. La chose la plus remarquable que Stall pu trouver à dire à propos du leader conservateur est que les électeurs aiment ses expressions populaires comme : « Je suis du côté des gens ordinaires ».
Mais même Stall n’a pu s’empêcher de se dire réellement impressionné par la prestation magistrale de Horwath. Ainsi, au final, même si l’analyste politique de City prétend que la prestation sans surprise et sans gaffe de Ford lui donne la victoire, peut-être que les jours à venir vont prouver que Horwarth était la véritable gagnante.
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