Édition du 14 mai 2024

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Le Monde

Les guerres froides se succèdent mais ne se ressemblent pas

Une n’attend pas l’autre. Peu après l’effondrement du bloc soviétique (1989), la dissolution du régime communiste en Russie (octobre 1991) et l’abolition du Pacte de Varsovie (1er juillet 1991), la Chine prend la relève aux yeux des puissances occidentales hégémoniques comme ennemi principal.

Si la disparition du régime communiste en Russie fut une divine surprise pour la classe politique américaine, les réjouissances furent de courte durée puisque la Chine s’affirma vite comme un rival menaçant, surtout sur le plan commercial et économique, en dépit de l’adhésion de principe de ses élites à l’idéologie marxiste-léniniste. Une nouvelle guerre froide débuta, mais assez différente de la première.
Celle-ci, opposant l’URSS et ses satellites aux pays alliés des États-Unis connut sa gestation de 1945 à 1947 ; c’est cette année là qu’elle éclata ouvertement avec la politique "d’endiguement" du communisme décrétée par le président Harry Truman.
L’URSS, sur la lancée de son armée victorieuse contre l’Allemagne nazie avait envahi plusieurs pays de l’Europe de l’Est et centrale à qui elle a imposé des régimes satellites. Ces pays lui servirent de glacis protecteur contre l’Occident et se virent imposer des régimes politiques de type stalinien. Devant l’intensification de l’antagonisme entre l’URSS et ses pays-valets d’une part (le "bloc de l’Est"), les États-Unis et leurs alliés d’autre part (le "bloc de l’Ouest") qui avaient mis sur pied l’OTAN le 4 avril1949, le Kremlin a fondé le Pacte de Varsovie le 14 mai 1955. Les pays signataires étaient : l’Albanie, la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la République démocratique allemande (L’Allemagne de l’Est), la Roumanie et la Tchécoslovaquie.

Ces pays dénonçaient à l’unisson avec l’URSS le capitalisme impérialiste et prétendaient offrir au monde une alternative révolutionnaire égalitaire à l’impérialisme occidental, en particulier américain. Il s’agissait donc non seulement d’une lutte politique pour l’hégémonie mondiale entre les deux blocs chacun dominé par une grande puissance (l’URSS et les États-Unis), mais aussi idéologique. L’affrontement était sans équivoque, car les deux systèmes politiques (libéral et communiste) étaient incompatibles. Les dirigeants de chacun se voyaient comme les missionnaires de leur propre religion ("ce qui relie") dont le devoir consistait à convertir le plus possible de pays à son système, vu comme sacré. Tous les coups étaient permis, sauf le recours à l’arme nucléaire (que Moscou avait acquis en août1949). Cette situation évita sans doute une troisième guerre mondiale.
La Chine de son côté, tout en étant officiellement communiste, tentait de suivre sa propre voie, ce qui créa de graves tensions avec son "allié" soviétique. Ces tensions atteignirent un point critique dans les années 1960 et 1970. Elle n’était pas un satellite de Moscou, comme les pays d’Europe de l’Est et centrale.

Vers la fin de la décennie 1970 et au début de la suivante, après la mort du "grand timonier" Mao Zedong (1976), la direction chinoise se réorienta dans les faits vers l’économie de marché, ce qui entraîna à la longue l’élargissement d’une classe moyenne qui, à certains égards, ressemble comme une soeur à ses équivalentes occidentales. Les responsables politiques chinois ont décidé d’accepter le jeu de la concurrence commerciale avec les pays capitalistes et ce avec un succès croissant. Mais ils ne se sont pas convertis pour autant au libéralisme politique ni au régime électoral qui en découle. Ils demeuraient en principe communistes.

La seconde guerre froide est apparue progressivement, par étapes en quelque sorte lorsque les classes politique et capitaliste occidentales ont pris conscience de la concurrence économique jugée déloyale utilisée par le régime de Beijing, lequel visait à s’approprier des parts sans cesse grandissantes du marché mondial, y compris en Occident. En effet, les produits chinois (notamment dans le secteur informatique) ont envahi les pays occidentaux. Du de vue de ceux-ci, cette stratégie représentait non seulement un danger mais aussi un affront. Les Chinois leur tiraient le tapis sous les pieds.

Contrairement à l’ancienne URSS, la Chine ne dispose pas vraiment d’un glacis de sécurité formé d’un grand nombre d’États-satellites. Elle ne tente pas non plus d’imposer sa doctrine politique dans le monde (l’époque maoïste est bien révolue). Elle vampirise plutôt les économies occidentales et tente de répandre ses produits dans d’autres continents (en Afrique par exemple). Elle y gagne en puissance économique et influence politique.

La seule pomme de discorde sérieuse de nature territoriale entre Beijing et Washington est Taïwan que la direction chinoise regarde comme faisant partie de son territoire national. Il est toutefois très douteux que Beijing tente une attaque militaire contre sa petite voisine, au risque de provoquer une riposte américaine.
La direction chinoise tout en préservant un régime politique autoritaire (l’assise de son pouvoir) a pris les puissances occidentales à revers en évoluant sur leur propre patinoire économique, et ce avec un succès certain. Par conséquent, la nouvelle guerre froide est moins militaire que commerciale, plus sournoise aussi.

La première guerre froide opposant les États-Unis et l’URSS mettait face à face deux doctrines politiques (libéralisme contre communisme) et aussi deux systèmes économiques, mais sans concurrence commerciale entre les deux blocs.
Dans le cas de la seconde (la Chine contre l’Occident), la rivalité est plus commerciale qu’idéologique. On peut avancer l’hypothèse que les dirigeants communistes du Kremlin, influencés inconsciemment par l’esprit missionnaire chrétien, se sont fait un devoir de convertir les plus de nations possible au communisme, comme les Américains au régime libéral et capitaliste. Les missionnaires communistes succédaient aux missionnaires chrétiens.

La Chine, elle, de tradition confucéenne n’a jamais essayé d’imposer sa philosophie au reste du monde. Elle s’est toujours contenté de son territoire national et de quelques modestes zones d’influence régionale. L’esprit missionnaire lui est étranger. Elle s’est longtemps nommée elle-même "l’Empire du milieu", le centre du monde en quelque sorte. Après tout, aucune flotte de guerre chinoise n’a jamais fait irruption en Europe pour lui imposer des traités commerciaux léonins. Mais la Chine réserve sans doute encore bien des surprises aux Occidentaux et Occidentales.

Jean-François Delisle

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