Le retour de Jean-Martin Aussant au Parti québécois, avec toutes les contorsions rhétoriques qu’elle a demandées, ne fait que mettre en relief l’incapacité du PQ à clarifier sa démarche souverainiste : mettre à jour quelques études est une caricature d’approche bureaucratique et le contraire d’un appel à la mobilisation. La troisième place du PQ dans les sondages, une tendance lourde depuis plus d’un an, laisse présager une nouvelle crise majeure dans ce parti au lendemain des élections du 1er octobre. La situation actuelle du Bloc pourrait être un avant-goût de ce qui attend son grand frère.
Les causes de cette crise perpétuelle sont profondes et multiples. Mais d’abord, il y a la pierre angulaire de tout l’édifice péquiste et bloquiste qui pose problème. Depuis le début, ce courant politique tente de convaincre la population que la réalisation de la souveraineté peut se faire sans heurts, avec la bienveillante neutralité des grandes puissances comme la France et les États-Unis et une négociation à l’amiable avec l’État canadien. En niant la difficulté de la tâche, loin de préparer la population pour la lutte, le péquisme et ses avatars inspirent une méfiance justifiée. Les gens savent que ce changement politique majeur va demander des efforts, et même des sacrifices. Ils ne peuvent pas faire confiance à des leaders qui prétendent le contraire.
NI À GAUCHE, NI À DROITE ?
Une autre thèse fondamentale du péquisme est l’idée que l’indépendance serait « ni à gauche, ni à droite mais en avant » et que, par conséquent, un parti qui veut la réaliser devrait ratisser très large et viser le centre du paysage idéologique. Ce n’est pas que l’idée de l’indépendance, dans l’abstrait, soit forcément de gauche. Il y a des indépendantistes au centre, à droite et même à l’extrême-droite du spectre politique. Dans un pays qui est déjà indépendant, le maintien de cette indépendance est l’idée politique la plus largement partagée.
Il en est autrement pour un peuple qui ne s’est jamais gouverné lui-même. Pour y arriver, la majorité de la population va devoir s’engager dans une situation risquée, en partie imprévisible ; donc dans un projet incompatible avec des attitudes conservatrices. C’est ce qu’on appelle une mobilisation populaire. C’est la lutte pour ce changement de régime politique qui est foncièrement de gauche, par sa dynamique psychologique et sociale. On doit choisir entre oser la liberté ou accepter la subordination.
Il faut donc, pour convaincre la population de faire le saut, que ça vaille la peine, que le projet ait du contenu. Il faut aussi que le leadership du mouvement soit déterminé et capable de faire face aux difficultés. Le PQ a échoué sur ces deux fronts. Les efforts de personnalités sincèrement indépendantistes comme Martine Ouellet ou Jean-Martin Aussant se heurtent donc aux fondements de la culture politique du PQ et du Bloc. Tant qu’ils et elles ne prendront pas conscience de cette incompatibilité profonde, leurs efforts seront aussi vains que ceux de Sisyphe.
AUSTÉRITÉ ET IDENTITÉ
C’est sur cette pierre angulaire conservatrice, dans la vision de la souveraineté elle-même, que s’est ajoutée naturellement une acceptation des dogmes économiques dominants : libre-échange au service des multinationales, équilibre budgétaire au prix d’un étranglement des services publics, servilité devant les investisseurs privés et « l’angoisse fiscale » des riches, etc. Les gouvernements de Lucien Bouchard, Bernard Landry et Pauline Marois nous ont tous servi cette médecine qu’ils ont en commun avec leurs adversaires libéraux ou caq.adéquistes.
N’ayant rien à offrir de positif à la population pour construire une majorité autour de leur projet, les stratèges péquistes, après avoir été dépassés sur le terrain dit identitaire par l’ADQ à l’époque de la fausse crise des accommodements raisonnables, ont jeté leur dévolu sur une bonne vieille tactique : la recherche de boucs émissaires. Incapable de confronter les puissants, ils et elles se sont enfoncés dans la création d’un faux problème : la prétendue menace à la laïcité de nos institutions publiques et aux « valeurs québécoises » posée par l’existence d’un pluralisme religieux et culturel dans notre société, avec, en tête de liste des dangers imaginaires, les femmes musulmanes portant des foulards.
Aucun bilan sérieux n’a été fait au PQ sur les dommages causés à la société québécoise, au projet indépendantiste et à leur propre parti par l’adoption de cette stratégie de la division identitaire. L’ampleur des torts infligés au Québec par le gouvernement Marois est d’autant plus remarquable qu’il n’a assumé le pouvoir que durant un an et demi. Quant au Bloc, qui aurait pu servir de refuge pour les péquistes refusant cette politique, il s’y est plutôt rallié, que ce soit par conviction ou par esprit de camp.
Pour les indépendantistes qui restent au PQ et au Bloc, la rupture avec la pensée économique dominante et avec la dérive identitaire sont des passages obligés. Autrement, ils et elles resteront piégés et couleront avec le reste du navire amiral.
UNE AUTRE VISION DU PAYS POSSIBLE
La fusion entre Québec solidaire et Option nationale permet de présenter à la population une nouvelle offre politique fondée sur des principes bien différents de ceux du PQ et du Bloc. D’abord, le cœur du projet politique du parti unifié n’est pas un nationalisme étroit ou revanchard mais la volonté de changer le Québec sur la base d’une révolution démocratique menée par et pour la vaste majorité de la population, indépendamment de ses origines.
L’indépendance, dans notre programme, est à la fois la fin et le moyen. Elle est une bonne idée en elle-même parce qu’elle permet de mettre fin à des siècles de colonialisme et de néocolonialisme, et ce en toute solidarité avec les peuples autochtones. Elle nous permet de sortir du carcan constitutionnel canadien, avec ses principes monarchistes et hiérarchiques, pour le remplacer par une constitution élaborée démocratiquement à travers une assemblée constituante élue et une vaste consultation populaire.
L’indépendance est aussi un moyen indispensable pour la réalisation du reste de notre projet politique. Sans elle, les relations internationales, l’armée, les rapports avec les peuples autochtones, une bonne partie des infrastructures de transport de même que les principaux leviers de la politiques économiques continueraient de nous échapper. Alors comment opérer la décolonisation, rompre avec le militarisme, effectuer la transition énergétique ou combattre les inégalités sociales et la pauvreté ?
Bref, le parti résultant de la fusion entre QS et ON prend complètement à rebours la logique de capitulation face aux pouvoirs établis et de renoncement à tout changement significatif qui a miné le projet péquiste dès le départ, et nous amène, un demi-siècle plus tard, à la tragi-comédie de la crise perpétuelle d’orientation et de direction des partis souverainistes traditionnels.
VERS UN NOUVEAU PARTI DE MASSE
Québec solidaire a toujours cherché à incarner cette vision positive et enthousiasmante du pays possible. L’arrivée des gens d’Option nationale vient confirmer que cette perspective nous permet de regrouper de nouvelles forces politiques parmi ceux et celles qui en ont assez d’attendre les « conditions gagnantes » et autres détours et qui veulent travailler dès maintenant à convaincre et à mobiliser la population pour un changement de régime.
Cet élargissement de la base militante du parti n’est pas sans sa dose d’inconfort et ses difficultés d’adaptation. Nous ne sommes pas spontanément d’accord sur tout. Il y aura des débats à faire au cours des prochaines années afin de clarifier le contenu et le sens de notre projet politique. Mais nous sommes d’accord sur l’essentiel. Comme le disait si bien Sol Zanetti lors du lancement de sa campagne pour l’investiture dans Jean-Lesage, nous voulons que le Québec soit un exemple de ce qui est possible en Amérique du Nord, un pays inspirant pour le reste du monde, notamment le premier sur le continent à être fondé sur des rapports égalitaires entre une nation issue de la colonisation et des nations autochtones.
Afin de préparer le terrain pour la poursuite de la croissance du parti, les militantes et les militants qui ont porté le projet politique indépendantiste de gauche pendant toutes ces années, à travers le PDS, le RAP, l’UFP puis Québec solidaire, se doivent d’accueillir chaleureusement les nouvelles et nouveaux solidaires qui nous ont rejoint récemment à travers le processus de fusion. En fait, nous devons faire de cette ouverture généreuse une bonne habitude.
Dans cette optique, il est essentiel que Sol Zanetti, le chef d’Option nationale qui a misé sur la fusion avec QS, soit candidat dans une bonne circonscription à l’élection du 1er octobre. Les membres du parti dans Jean-Lesage doivent prendre conscience de l’importance stratégique nationale de cette candidature. Nous devons lui donner la place qui lui revient dans l’espace public durant la période électorale afin qu’il porte haut et fort notre message d’ouverture envers les indépendantistes progressistes qui hésitent encore à nous rejoindre.
La crise profonde du PQ et du Bloc est loin d’être terminée et devrait, si nous faisons bien notre travail, générer des vagues successives de ralliement autour de notre vision « du pays à vivre, du pays à semer, du pays à manger », comme le chante Vigneault. C’est la voie à suivre pour construire autour de nous un parti de masse capable de mobiliser une nouvelle majorité politique et sociale. Cette croissance parfois inconfortable est une condition essentielle de la réalisation de notre projet. Québec solidaire, c’est l’arbre qui pousse dans le champ de ruines. Accueillons tous ceux et toutes celles qui veulent le faire grandir.
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