Édition du 7 mai 2024

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Québec

Le gouvernement Legault et l’immigration : nouvelle rhétorique, même politique

En 2018, le gouvernement Legault parlait de ramener le nombre d’immigrant-e-s permanents à 40 000. En 2022, il disait souhaiter maintenir ce nombre à 50 000. En 2023, il soumet deux scénarios à la consultation : a) soit maintenir le nombre d’immigrants permanents accueillis au Québec à 50 000, b) soit hausser les seuils de l’immigration permanente à près de 70 000 par année. Pourtant, durant la dernière campagne électorale, François Legault avait qualifié de « suicidaire » pour la nation québécoise toute hausse des seuils d’immigration au-delà des 50 000. Il disait vouloir, par là, défendre la langue française et l’avenir de la nation québécoise. Mais il justifie le scénario de hausse, que son gouvernement semble privilégier en soutenant qu’il ne fera ajouter que les personnes qui parlent français avant même leur arrivée.

Que s’est-il passé ?

En fait, la réponse enthousiaste des organisations patronales (Conseil du patronat, Fédération canadienne des entreprises indépendantes, Association des manufacturiers exportateurs du Québec, ...) à ce changement de cap explique bien des choses. Ces associations, depuis des mois, exerçaient des pressions au relèvement des seuils afin que leurs entreprises puissent faire face à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Pour ce qui est de la main-d’œuvre non qualifiée, le patronat comptait sur l’utilisation d’une main-d’œuvre temporaire, précaire et surexploitée dont l’importance s’est rapidement accrue ces dernières années. D’ailleurs, les associations patronales n’ont pas demandé que le gouvernement aborde la question de l’immigration temporaire, que le gouvernement exclue de la consultation. Le gouvernement a en fin de compte reculé devant les pressions patronales.

Derrière les seuils, il y a les gens (Guillaume Cliche-Rivard) [1]

Comme le rappelait, Guillaume Cliche-Rivard, député de Québec solidaire à l’Assemblée nationale, derrière les seuils, il y a les gens. Et le gouvernement s’apprête à mener une consultation qui écarte la majorité des personnes migrantes qui vivent une immigration temporaire.

Le gouvernement ne veut discuter que de l’immigration choisie, une immigration qui peut répondre aux besoins des entreprises.

Il se réjouit de ne pas favoriser l’accueil de ceux et celles qui demandent l’asile. La politique de la CAQ affirme ne pas favoriser l’immigration liée à la recomposition familiale et il a allongé les délais et l’attente des familles. Le gouvernement ne manifeste donc aucune empathie pour les familles qui comptent sur le regroupement familial, pour faire venir leurs proches. D’ailleurs, ces deux composantes de l’immigration ne vont pas bénéficier d’une augmentation. Ce nombre va être gelé. Le premier ministre Legault s’est réjoui d’avoir obtenu l’aval d’Ottawa pour ce faire.

Les travailleuses et travailleurs migrants temporaires, précarisé-e-s et surexploité-e-s

II écarte également de ces consultations, les travailleuses et les travailleurs temporaires qui ne sont même pas pris en compte dans la détermination des seuils par le gouvernement caquiste. Ces migrant-e-s sont obligés de vivre dans une situation de précarité prolongée. Ils sont aujourd’hui environ 350 000 qui vivent sur le territoire du Québec, de loin la composante la plus importante de l’immigration au Québec.

Le gouvernement de la CAQ refuse de mettre en place un programme pour donner la résidence permanente à ces milliers de travailleurs et travailleuses temporaires qui se sont montrés essentiels pour nous permettre de passer à travers de la crise de la COVID. « Il s’agit de l’effectif de résidents non permanents, c’est-à-dire le nombre de personnes dotées d’un permis assorti d’une date d’expiration qui se trouvaient sur le territoire Québécois en 2023. » [2]

C’est vraiment là l’éléphant dans la pièce. Comme l’expliquent le porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois et le député Jérôme-Cliche Rivard, cette consultation sur les seuils ne s’adresse pas au cœur du problème de l’immigration au Québec, les travailleuses et travailleurs temporaires.

« Alors, quand on parle d’immigration, pourquoi est-ce qu’on ne commence pas par ces gens-là ? Ces gens-là prennent déjà un logement, ils sont déjà dans nos services publics. Donc, ce n’est pas un poids supplémentaire pour la société québécoise, pour reprendre les mots de certains politiciens là-dessus, au contraire. Donc, nous, on l’a dit depuis la campagne électorale, pendant qu’on débat de seuils d’immigration permanente, il y a des gens déjà sur le territoire du Québec qui veulent devenir des Québécois, des Québécoises. Pourquoi on ne commence pas par offrir à ces gens-là une voie rapide vers l’immigration permanente ? Et ces gens-là sont déjà parmi nous, souvent envoient déjà leurs enfants à l’école francophone, puisque la loi 101 s’applique. Je veux dire, il n’y a pas de raison de ne pas sortir ces gens-là de leur statut précaire sauf l’obstination idéologique à respecter un seuil de 50 000 qu’on a promis en élection pour des raisons un peu superficielles, puisque ce n’est pas basé sur aucune étude sérieuse. » [3]

La seule raison de la position de la CAQ , c’est que ce gouvernement réduit l’immigration à une importation choisie de main-d’œuvre pour satisfaire aux besoins des entreprises. Cette logique repose sur le refus de la réalité expliquant l’afflux des personnes migrantes, soit la domination des pays du Nord sur les économies du Sud global, domination qui met les personnes migrantes dans l’impossibilité de vivre dignement là où elles se trouvent à cause de la détérioration imposée par la domination impérialiste. [4]

L’immigration et la défense de la langue française

Legault l’a répété maintes fois. L’immigration est un danger pour la langue française. À ce diagnostic simpliste, il oppose une réponse tout aussi simpliste ; il suffit d’imposer aux immigrant-e-s économiques permanents l’obligation d’une certaine maîtrise du français avant même leur arrivée au Québec. Et voilà, la réponse au recul du français.Pour ce qui est des vrais fondements de la précarité du français au Québec, voir mon article, Garantir le respect des droits ds migrant-e-s pour fonder un Québec pluriel, Presse-toi à gauche !, 15 septembre 2022.

Quant à la francisation des travailleurs et travailleuses temporaires, elle est soit remise à plus tard, soit écartée, car elle devrait passer par une amélioration de leurs conditions de travail et par l’élargissement de leurs droits sociaux et politiques. Un gouvernement de la CAQ, essentiellement au service du patronat, n’envisage même pas de créer ces conditions d’une francisation en entreprise, car cela signifierait de s’attaquer au pouvoir des patrons.

Ces migrant-e-s temporaires sont liées à leur employeur pour la durée de leur permis, qui n’est plus seulement saisonnier, mais qui peuvent être d’une durée d’un ou deux ans et parfois renouvelable. C’est donc une catégorie de la population du Québec, non seulement surexploités, mais sans papier, et sans droits économiques, sociaux et politiques. « Les permis de travail fermés sont très précis sur les horaires de travail. Ils n’accordent certainement pas le temps pour le cours de français pendant ces heures. De plus qu’est-ce qui motivera des employeurs à faciliter la francisation de leurs effectifs temporaires non francophones ? Ils ont des permis qui vont expirer dans quelques mois. Les employeurs ne sont pas non plus tentés d’aider leur personnel temporaire, dans une démarche vers la résidence permanente, car ils savent qu’ils risqueraient de perdre leur main-d’œuvre. » [5]

Il faut donner une réponse humaniste et rationnelle aux migrations

« À l’heure où les conflits se multiplient, où les inégalités et l’exclusion sociale atteignent des sommets, et où l’environnement se dégrade à grande vitesse, il est totalement illusoire d’imaginer que les flux migratoires cessent ou diminuent. Les choix politiques en matière de migration doivent absolument partir de ce constat et s’envisager à la fois avec humanisme, en partant des libertés et des droits fondamentaux des individus, et avec pragmatisme, en se donnant les moyens et les capacités de s’adapter aux évolutions de la réalité, en n’oubliant pas que la terre est le bien commun par excellence de tous les habitants de la planète. »  [6]

Les migrations vont se faire. Et il ne faut pas favoriser les migrations clandestines qui feront qu’une partie significative de la population se retrouvera sans papiers et sans droits à la merci des décisions arbitraires des autorités et des patrons. Pour éviter cela, il faut ouvrir les frontières et réguler l’immigration à partir de constats précis : la migration est une richesse et le contrôle des frontières est inefficace et contre-productif. Les personnes migrantes accueillies dans le pays produisent, paient des impôts et peuvent être intégrées dans les circuits économiques. Ces personnes sont un apport au niveau culturel, car elles sont porteuses de diversité qui enrichit la société qui les accueille.

En somme, il faut défendre l’égalité des droits : droit de s’installer durablement, de travailler, de recevoir un salaire égal pour un travail égal et d’acquérir la nationalité et de voter. Ce sont là les axes pour développer l’accueil et la solidarité envers les personnes migrantes. Ce sont là des droits pour toute la population laborieuse du pays.

Adopter une telle attitude c’est faire primer les droits de la personne sur les besoins du capital et dépasser une immigration conforme aux seuls intérêts des grandes entreprises. Agir ainsi c’est empêcher que se développe une population d’étrangers de l’intérieur avec toutes les paniques identitaires qui s’y rattachent. Face aux crises qui taraudent la planète qui provoquera une accélération des migrations, il faut savoir prendre le problème à bras le corps et le faire dans une perspective radicalement humaniste.

Anticiper, prévenir et gérer les migrations et les déplacements qui se feront nécessitent de poser ces problèmes non d’abord à partir d’une optique étroitement nationaliste, mais à partir d’un point de vue internationaliste pour faire face collectivement aux défis qui vont se poser à l’ensemble de la planète.


[1Anne Michèle Megg, L’immigration temporaire absente de la planification ministérielle, 10 mai 2023, L’AutJournal

[2Sarah R. Champagne, Les immigrants temporaires parlent-ils français ? Le Devoir, 25 mai 2023

[3Point de presse de M. Gabriel Nadeau-Dubois, chef du deuxième groupe d’opposition, et M. Guillaume Cliche-Rivard, porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière d’immigration, de francisation et d’intégration, le mardi 9 mai 2023

[4Voir Adam Hanieh, Capitalisme, formation des classes et migrations, Nouveaux Cahiers du socialisme, numéro 27, Hiver 2027.

[5Anne Michèle Meggs, L’immigration temporaire absente de la planification ministérielle, l’Aut’journal, 10 mai 2023

[6Olivier Bonfond, Il faut tuer TINA -There Is No Alternative : 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde, Éditions du Cerisier, p. 311

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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