Édition du 4 mars 2025

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Québec

Le bon Saint-Bernard

Le décès de l’ancien premier ministre péquiste du Québec Bernard Landry a suscité dans les médias et les milieux nationalistes l’habituel concert de louanges en pareilles circonstances.

On a vanté pêle-mêle son « amour du Québec », la passion qu’il vouait à la souveraineté, le rôle qu’il a joué en endossant tant de chapeaux ministériels au cours d’une longue (et fructueuse) carrière politique. En effet, il a été entre autres fonctions ministre d’État au Développement économique parmi le cabinet Lévesque (1977-1982), ministre du Commerce international (1983-1985) et des Relations internationales (1984-1985), ensuite de l’Économie et des Finances sous Lucien Bouchard (1996-2001) et bien sûr premier ministre (2001-2003). Et il ne s’agit là que d’une liste non exhaustive des postes de ministre qu’il a occupés durant des années au sein de cabinets péquistes successifs.

On insiste aussi beaucoup sur sa contribution à l’émergence du « Québec Inc. » et à la réalisation du déficit zéro sous Lucien Bouchard, un titre de gloire pour les rétrolibéraux québécois. Bref, un citoyen exemplaire pour ne pas dire supérieur ; on le décore du qualificatif (très galvaudé) de patriote. Un honneur passe-partout, qui ne veut pas nécessairement dire grand chose.

Des bémols s’imposent donc vis-à-vis de ce discours élogieux, si convenu. Un coup d’oeil plus lucide et critique s’impose quant aux réalisations de ce politicien, par ailleurs incontestablement brillant. On doit resituer sa carrière dans son contexte social et politique global, caractérisé entre autres par l’émergence d’un courant de conservatisme économique et social nouveau genre (le rétrolibéralisme) auquel il a adhéré au moins autant qu’à l’idéal de l’indépendance. Il était membre d’une élite politique et sociale bien précise. Il importe de scruter le travail qu’il a accompli comme ministre et chef de parti.

De plus, bénéficiait-il de la popularité dont on le crédite ? Pas forcément. Après tout, il a été battu aux scrutins de 1970, de 1973 et de 1985. Sa carrière a donc connu des hauts et des bas.

De 1977 à 1985, il a oeuvré essentiellement dans le secteur économique comme ministre. Cela revient à dire qu’il a participé de près aux graves compressions budgétaires péquistes non annoncées durant la campagne électorale du printemps 1981, laquelle a vu le Parti québécois maintenu au pouvoir sur une plate-forme sociale-démocrate. Il a aussi contribué à gérer les effets de la grave récession qui a frappé le Québec de 1982 à 1984. Il a par conséquent participé à l’établissement du rétrolibéralisme chez nous. Il fut aussi vers la fin de la décennie 1980 et le début de la suivante un partisan notoire du libre-échange avec les États-Unis, y voyant une chance de consolider le courant souverainiste par une forme d’efficacité économique et de « respectabilité ». Bref, sur le plan socio-économique, il représentait les éléments conservateurs du parti.

Le même Bernard Landry a fait partie du cabinet péquiste de Lucien Bouchard comme vice-premier ministre, vice-président du Conseil exécutif et surtout ministre d’État à l’économie et aux finances. Il a collaboré de près avec son patron Bouchard pour imposer aux Québécois et Québécoises une cure d’austérité, le fameux déficit zéro, encore là au prix de douloureuses compressions budgétaires dans les services publics et parapublics. Il a en outre dépensé bien des efforts pour favoriser « nos entrepreneurs ». Ces mesures socialement conservatrices exposent bien l’axe idéologique central de sa carrière politique.

Il n’est pas inutile de répéter qu’il a débuté sa carrière ministérielle en 1977 alors que la social-démocratie alors neuve au Québec, commençait à chanceler et qu’il l’a terminée à une époque où le rétrolibéralisme était devenu l’idéologie dominante parmi l’ensemble de la classe politique québécoise. Il y a adhéré presque sans réserves et peut-être même sans trop s’en rendre compte tant elle paraissait aller de soi parmi ses collègues. Il a assumé de bonne grâce, si l’on peut dire, son appartenance de classe sociale et a appliqué sans trop d’états d’âme des politiques dures et arbitraires qui ont profité avant tout aux membres de certaines fractions des milieux financiers et entrepreneuriaux. Il n’a jamais présidé à un réinvestissement de l’État dans des mesures sociales, comme l’augmentation des prestations de la Sécurité du revenu. Il a endossé sans sourciller le processus de précarisation de l’emploi tout au long de ces années.

Il était attaché à une certaine conception très nationaliste du Québec, mais tout en soutenant aussi des groupes dominants francophones en qui il voyait des vecteurs privilégiés (c’est le cas de le dire) de l’affirmation économique des Québécois et Québécoises. Il donnait l’impression d’aimer peut-être plus le Québec que les Québécois.

Il existe bien des militants et militantes communautaires, syndicaux et syndicales, féministes, écologistes aussi qui accomplissent en toute discrétion un boulot admirable au service des déshérités et de l’environnement. Leur mort se produira dans la même discrétion que leur vie.

Ils n’auront pas droit, eux et elles à des funérailles publiques.

Jean-François Delisle

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