Cet article n’effectue aucune analyse de l’État canadien, comme État au service de la grande bourgeoisie canadienne et des multinationales et ne tient aucunement compte des rapports de force nécessaires pour mettre fin à cette domination.
Selon l’auteure la lutte de libération nationale ne réfère plus qu’à de vieux souvenirs, au mieux à un désir de se conforter avec des plus semblables à nous, comme une commune de celles qui aiment les chats. Mais on n’a pas besoin de se séparer pour réaliser ça. Elle questionne l’identité spécifique québécoise en l’associant à la poutine et aux cretons ou au fait d’être vaguement social-démocrate.
Elle suggère que le projet de souveraineté repose sur des fondements conservateurs, et nous amène en fin de compte à conclure qu’il n’y a pas vraiment de spécificité québécoise, sinon rétrograde et que nous devons rester dans le Canada .« C’est pourquoi il n’y a plus de sens profond à vouloir libérer le « peuple québécois »… On ne sait ni exactement de qui on parle ni de quoi au juste on veut les libérer. »
La nature de l’État canadien
Si on veut reprendre cette question par le bon bout de la lorgnette on doit définir d’abord quelle est la nature de l’État canadien afin de mieux comprendre quel type d’oppression peuvent subir les populations et les nations qui le composent et par conséquent comment organiser la riposte.
Ensuite puisque la question de l’Indépendance est centrale dans ce débat, on doit aussi définir les particularités de la nation québécoise par rapport au reste du Canada.
L’État canadien retient les fonctions les plus fondamentales d’un État bourgeois "souverain" : le contrôle militaire, le contrôle de la politique monétaire, le monopole de la représentation du capitalisme canadien vis-à-vis les autres États, le contrôle du Code criminel, et le contrôle sur une série de fonctions juridiques et régulatrices touchant l’économie. Il est absolument clair que l’État central est l’ultime instrument de défense des rapports de production contre toute menace qui pourrait remettre en question cette domination. Ce rapport de force et cette domination se sont construits en mettant au rencart les Métis et les nations autochtones, de même qu’en subordonnant la nation québécoise.
L’oppression nationale au Québec
L’oppression nationale au Québec prend ainsi sa source dans la configuration du Canada comme État structurellement et politiquement organisé afin de maintenir la domination de la grande bourgeoisie canadienne et de l’establishment bancaire et financier. Ceci a eu deux conséquences importantes. Ce qui pourrait être appelé une classe capitaliste québécoise se divise en deux parties. D’une part, il y a un petit nombre d’individus complètement intégrés aux corporations transnationales canadiennes et de plus en plus aux compagnies étrangères. Ils ne sont que des membres francophones de la bourgeoisie canadienne (Desmarais, Bombardier etc.).
Comme l’écrivait Pierre Beaudet : le « Québec inc est en partie une succursale de Canada inc ou de Amérique du Nord inc, c’est-à-dire une bourgeoisie qui agit essentiellement comme une composante ou un relai subalterne du capital canadien (et-ou états-unien)… Mais Québec inc, c’est aussi une bourgeoisie « régionale », dont les assises sont québécoises bien qu’elle aussi vise à se « nord-américaniser »… Québec inc, c’est aussi la couche supérieure de l’État et de ses nombreux appareils dont les grandes entreprises issues de la révolution tranquille (comme Hydro-Québec, la SAQ et surtout la Caisse de dépôts,) les grands gestionnaires du Mouvement Desjardins.
Cette « bourgeoisie » ne dispose pas, comme dans le secteur privé, de la propriété des moyens de production. Elle joue cependant un rôle important dans des dispositifs étatiques qui servent le capitalisme « collectif » dont elle partage bien sûr les valeurs. Pour autant, cette élite est également ambigüe. Le projet de Parizeau lui aurait donné un rôle central, mais cela n’a pas marché. De par sa position de classe, elle ne veut pas d’un Québec qui se mettrait à part dans l’ensemble capitaliste nord-américain (pas question d’aller par exemple dans de réformes qui remettraient en question les piliers du capitalisme financiarisé actuel). » (Pierre Beaudet, Québec inc dans la tourmente, 4 septembre 2012 PTAG).
L’autre groupe est constitué des PME québécoises qui représentent surtout l’industrie légère des biens de consommation.
L’oppression nationale du Québec n’est donc pas une question conjoncturelle. Les exigences politiques et idéologiques de la Confédération ont exclu toute reconnaissance constitutionnelle du caractère national distinct du Québec qui représente une force menaçant la cohésion et l’intégrité de l’appareil d’État central.
Cette oppression se manifeste par une domination économique, mais aussi politique, culturelle et idéologique. Elle se combine par des campagnes de désinformation, sinon carrément par un « Québec bashing » auquel on assiste régulièrement de la part des différents médias sinon par des personnalités politiques du Reste du Canada. La corruption serait pire au Québec, le Québec plus raciste…
Plus récemment le traité de libre-échange Canada-Europe a encore démontré la préséance accordée par l’État canadien à l’économie de l’ouest au détriment de celle du Québec, en cédant les protections concernant le fromage québécois au bénéfice de la libéralisation pour l’exportation du bœuf de l’ouest. À cet égard il faut souligner la naïveté voire l’adhésion aux mêmes paramètres financiers de la part des directions politiques québécoises du BQ et du PQ.
Au niveau culturel la préservation de nos acquis demeure une lutte de tous les instants comme l’a démontré les décisions de la société CBC- RC d’effectuer des coupes sévères dans les programmes culturels surtout au Québec tout en produisant une série historique de l’histoire du Canada à saveur néo coloniale.
Toute modification constitutionnelle doit recevoir l’aval du parlement fédéral et d’au moins 7 provinces représentant 50% de la population totale du Canada. En fait, cette constitution a été imposée sans l’aval d’aucune formation politique du Québec. Plus, cette constitution permet des réformes sans que le consentement du Québec soit requis. Pour l’État canadien, les référendums tenus au Québec ne sont que des exercices consultatifs et il n’est pas lié juridiquement par ces derniers. Il a même précisé dans la loi C-20 que la Chambre des communes pouvait, avant toute négociation, se prononcer sur la validité de la question référendaire et sur le niveau de soutien populaire nécessaire avant d’ouvrir d’éventuelles négociations avec le Québec.
La lutte pour l’indépendance
Parler d’indépendance, c’est refuser la domination économique et le pillage de nos ressources naturelles par les multinationales étrangères. C’est imposer le contrôle populaire sur nos richesses naturelles, nos milieux de travail, sur la nature durable de notre développement économique et sur le développement de nos régions. C’est refuser de se plier aux diktats du libre-échange qui permet que le développement se fasse au service des plus puissantes entreprises et au mépris des besoins de la majorité de la population. C’est avoir la pleine maîtrise de toutes nos politiques économiques : budgétaire, fiscale, commerciale, monétaire et douanière…
Parler d’indépendance, c’est également exiger les pleins pouvoirs sur nos choix politiques, sur les institutions politiques que nous voulons mettre en place pour favoriser la démocratie la plus inclusive et la plus participative. C’est avoir les pleins pouvoirs sur notre politique internationale et sur les principes qui la fondent.
Parler d’indépendance, c’est également avoir le pouvoir de légiférer sur la langue française en toute autonomie sans craindre que cette loi soit invalidée par la Cour suprême. C’est avoir le pouvoir des politiques culturelles que nous voulons développer en ayant à notre disposition l’essentiel des moyens de communication pour élargir l’accessibilité aux biens culturels et de soutenir une culture porteuse des volontés de transformation sociale, de justice et de solidarité.
L’indépendance ainsi conçue passe par sa réappropriation par la gauche populaire et les mouvements sociaux. C’est le contraire de la souveraineté-association péquiste qui soutient le libre-échange.
La lutte de libération nationale et la stratégie d’alliance pancanadienne contre l’État fédéral
Aujourd’hui la lutte de libération nationale au Québec pose toute la question du changement de société et par voie de conséquence des rapports avec la population du Reste du Canada. La population québécoise et les forces sociales syndicales et populaires ne pourront trouver une issue viable, qu’en dépassant le cadre uniquement québécois de sa lutte et en construisant des alliances stratégiques avec les Premières nations et avec la classe ouvrière du Reste du Canada. Cela permettra aussi d’asseoir concrètement la lutte de libération nationale de la population du Québec sur des bases de changement social du Québec, mais aussi du reste du Canada.
Mais cette alliance ne pourra se réaliser sans que les forces vives du Reste du Canada rompent avec le fédéralisme et le nationalisme canadien, et appuient le droit du Québec à l’indépendance.
La lutte pour l’indépendance n’est donc pas une lutte dirigée envers le seul État québécois ou une lutte confinée au territoire du Québec qui aurait à résister à une invasion étrangère. Elle s’insère dans une lutte contre l’État fédéral central et elle pose objectivement le problème du pouvoir à l’échelle de tout l’État canadien.
À cet égard il est nécessaire de considérer les défis posés à la classe ouvrière du Reste du Canada, mais également du Québec. Au premier chef, il est illusoire et anti historique de penser développer une lutte simultanée et au même rythme au Québec et dans le Reste du Canada. Les organisations ML se sont d’ailleurs brisées sur cette question au début des années 1980 en niant la spécificité du Québec pour promouvoir l’unité de la classe ouvrière canadienne.
La lutte de libération nationale au Québec est d’abord l’expression d’un refus de l’intervention étrangère ce qui comprend la bourgeoisie canadienne et ses institutions. En ce sens la vision politique de changement de société n’est pas la même au Québec et ne passe pas par les mêmes chemins que les mouvements sociaux et progressistes du Reste du Canada.
Au surplus ce qui fait le plus défaut ce n’est pas tant le manque d’ouverture de la population ou des forces sociales du Québec envers le Reste du Canada, mais bien le sentiment nationaliste canadien et le chauvinisme maintes fois exprimé par les organisations politiques, ouvrières et populaires envers le Québec. C’est un obstacle déterminant qui les amène à s’allier avec leur propre establishment, lequel véhicule les mêmes sentiments anti-Québec.
Cette incompréhension doit être surmontée si on veut faire des alliances sociales de lutte. J’ai milité toute ma vie dans le mouvement syndical canadien, et ce n’est pas la nécessité du travail en commun qui faisait défaut, mais l’incompréhension sinon la négation de la réalité distincte du Québec. Le CTC, la plus grande organisation syndicale canadienne commence ses congrès, même à Montréal, en entonnant l’hymne national. Tous les discours sont en anglais, les francophones, s’ils veulent être entendus doivent s’exprimer en anglais, pourtant il y a un service d’interprétation, mais seuls les francophones l’utilisent, les anglophones ne l’utilisent pas à quelques exceptions près. Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.
La dynamique des luttes
Par contre, ils et elles envient notre capacité de mobilisation et le fait que nous ayons réussi à construire Québec solidaire, une alternative politique de gauche d’une grande ampleur. Mais c’est justement parce que la réalité sociale et distincte du Québec permet cette possibilité. Comme elle a permis le déploiement de la lutte étudiante en 2012 en plus grand mouvement social de masse jamais connu au Québec. Une situation difficile à imaginer dans le Reste du Canada.
En effet, plusieurs leviers de pouvoirs appartiennent aux provinces, notamment l’éducation et l’administration des services de santé. Il n’existe donc pas de lutte spécifiquement canadienne (en dehors du Québec) comme il peut en exister au Québec. Les principaux secteurs de lutte sont provinciaux. Au mieux ce sont des luttes binationales ou pan canadiennes comme c’est le cas avec le secteur postal. Le mouvement ouvrier et populaire du Reste du Canada est par conséquent fragmenté, et confiné régionalement en termes de perspectives et de mobilisation.
La seule issue se trouve dans une perspective d’alliance avec les forces vives du Québec. Mais pour y arriver elle doit comprendre sa dynamique et appuyer le droit à l’indépendance du Québec. Tant qu’elle demeurera en appui au fédéralisme elle sera confinée à appuyer l’institution qui sert la grande bourgeoisie à son propre détriment. Une défaite de la lutte de la population du Québec pour son indépendance serait aussi une défaite pour le mouvement ouvrier du Reste du Canada.
Les conséquences politiques d’une telle victoire sont immenses. La réalisation de l’indépendance ne peut être que la conséquence d’une mobilisation large pour le contrôle populaire de nos institutions et de nos ressources. Amener cette lutte à sa conclusion et à la victoire ne pourra se faire que sur une base d’une nouvelle société égalitaire.
Imaginons l’impact d’une telle lutte sociale, 1000 fois plus intense que le printemps étudiant, sur la population du Reste du Canada. Mais imaginons aussi la réaction de l’establishment canadien, des banques et agences de notation. Eux le savent bien, la lutte de la population du Québec pour son indépendance représente un danger réel envers leurs privilèges et l’institution qui les maintient, l’État canadien. Dans cette perspective la lutte pour l’indépendance, pour accéder à sa réalisation sociale complète, ne pourra que s’étendre aux populations et nations du reste du Canada en alimentant et inspirant leurs propres dynamiques de luttes pour un changement de société.
NB : Cet article comprend des passages provenant de la revue Révolution permanente, édité en 1978 par la Ligue ouvrière révolutionnaire. Il a aussi intégré des contributions récentes de Bernard Rioux.
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