Le Forum social sur l’industrie minière et l’extractivisme qui s’est tenu à Johannesburg du 12 au 15 novembre dernier a réuni environ 500 personnes provenant de communautés minières, de syndicats, d’organisations populaires, du mouvement des femmes, de peuples autochtones, de travailleurs, de groupes religieux , de groupes de soutien et d’universitaires de 60 pays, y compris de 28 pays africains, ainsi que des Amériques, de l’Asie-Pacifique et de l’Europe.
Transition équitable et emploi.
J’ai eu le privilège de partager avec les déléguéEs les réflexions du mouvement syndical du Québec, seule province francophone, et celles du mouvement syndical du Canada en ce qui concerne la problématique de la transition des emplois, puisque j’ai été militant syndical au sein du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) pendant trente-cinq ans ainsi que membre de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) et du Congrès du travail du Canada (CTC).
Un segment important du débat concernait l’extractivisme et par conséquent le rôle des syndicats. La question de la transition équitable doit obligatoirement inclure la transition des emplois ce qui comprend la formation nécessaire et la compensation financière.
La création d’emplois comme moteur économique est un leurre. Même dans la province d’Alberta où est extrait le pétrole à partir des sables bitumineux, l’automatisation des emplois gagne du terrain. Même les camions seront contrôlés à distance. Les compagnies pétrolières s’accaparent des profits, créent moins d’emplois et nous laissent les terres contaminées à nettoyer.
Au Canada le CTC revendique un plan qui permet aux travailleurs, ceux qui sont mis à pied dans les secteurs d’extraction autant que les sans-emplois, d’avoir accès à l’information concernant les secteurs de l’économie de transition en croissance. Un plan qui leur fournit l’apprentissage et les opportunités nécessaires afin de participer à ces secteurs. Dans le cas présent la décision du Canada de réduire ses émissions de carbone aura un impact sur l’emploi. Des soutiens adéquats, tels que les programmes de recyclage du personnel, sont nécessaires à une transition réussie vers une économie plus verte, particulièrement pour les collectivités et les travailleurs des centrales au charbon canadiennes.
Dans la province de Québec les syndicats ont participé en juin dernier à une conférence sur la transition énergétique avec les premières nations et les groupes environnementaux dans le but de faire de cette transition une priorité.
La conversion des emplois est donc un aspect important auquel j’ai porté attention lors du Forum social. Plusieurs ateliers ont en effet amorcé une réflexion afin de contrer les stratégies des compagnies pour diviser les travailleurs et les communautés en ce qui concerne l’emploi. Les travailleurs de l’extraction proviennent des communautés, et leurs revenus permettent à ces dernières de survivre. En même temps cette exploitation est responsable de la détérioration des terres et de la contamination des ressources en eau potable.
La déclaration finale a insisté sur la conversion des emplois en affirmant que : « Une transition juste serait basée sur la conversion industrielle où les travailleurs des industries polluantes se recycleraient pour effectuer un travail socialement et écologiquement nécessaire. Les travailleurs incapables de faire la transition vers ces nouveaux moyens de subsistance se verraient garantir un revenu, grâce à la réorientation des subventions de l’État versées aux industries extractives, en mettant fin aux flux financiers illicites et en taxant les riches. »
La transition équitable, une perspective anticapitaliste…
L’autre segment qui a pris une grande importance a été celui de l’application de la transition équitable. Les perspectives sont cependant inégales et demandent à être développées. Certains considèrent que le terme Transition est lui-même incorrect parce qu’il prolonge la période d’exploitation et d’utilisation des ressources polluantes. D’autres ont fait valoir qu’il est essentiel de mettre en place une infrastructure alternative en production d’énergie renouvelable, en moyens de transport collectifs électriques et en plan de décroissance et de recyclage qui permettra de récupérer les minéraux actuellement disponibles ou en circulation afin de réduire au minimum l’extraction.
Ainsi la déclaration finale insiste sur le fait que le droit de dire NON doit être au cœur des luttes pour des alternatives, toutes les réserves de charbon, de gaz et de pétrole restantes doivent rester sous terre ; les économies circulaires dans lesquelles les minéraux et les métaux sont recyclés et remis en production doivent caractériser un avenir durable. La consommation excessive des riches pays du Nord et du Sud doit être réduite, sur la base des principes de suffisance.
… internationaliste
L’établissement d’un plan de décroissance ne fait cependant pas appel à la même réalité au nord que dans la plupart des pays du sud, comme en Afrique. Réduire sa consommation quand on lutte pour avoir de l’eau potable, quand sortir de la pauvreté est un combat de tous les jours ne représente certainement pas la même perspective de consommation qu’en Amérique du nord ou en Europe et pour cause, en termes financiers les pays du Sud ne tirent aucun bénéfice de l’activité minière comme l’expriment bien Alain Deneault et William Sacher dans les extraits suivants :
« En effet les deux tiers de la population vivant sous le seuil de pauvreté habitent dans des régions riches en ressources minières. Pourtant la richesse de leur pays sur le plan des ressources ne leur procure presque jamais des avantages significatifs. » (1)
« En Amérique du nord et particulièrement au Canada les sociétés financières ont investi dans cette spéculation minière et les compagnies canadiennes ont joué un rôle de premier plan dans l’exploitation des populations du Sud. La complicité du gouvernement canadien qui s’est doté d’une législation permissive a ouvert la porte à une industrie qui peut ensuite à souhait, à l’extérieur du Canada, polluer, piller, corrompre, armer, et bafouer toute logique de droit, en sachant qu’aucune mesure ne sera sérieusement mise en œuvre pour l’en empêcher. »(2)
« Le gouvernement canadien ne se contentera pas d’encourager les placements financiers nationaux spécifiquement dans le domaine minier. Il fera sienne la conviction qu’il doit soutenir l’industrie minière canadienne à l’étranger, d’encourager la capitalisation de celle-ci en Bourse, d’attirer par conséquent au Canada les investissements étrangers dans cette filière et, enfin, de légitimer aux yeux des citoyens le bien-fondé d’une telle démarche. C’est sur cette base de l’activité controversée des minières (…) que les Canadiens vont faire fructifier leurs actifs, financer leur retraite et accumuler des biens de consommation. » (3)
…et féministe
Les débats au Forum social ont aussi touché l’impact de l’extractivisme sur le corps des femmes, et leur maintien dans la pauvreté et la dépendance en tant que main-d’œuvre très peu rémunérée. Les femmes de plusieurs pays d’Afrique n’ont pas droit au congé de maternité et sont en général congédiées lorsqu’elles sont enceintes. La pollution de l’eau par les résidus miniers contaminés à l’arsenic est également dommageable pour la santé de la population et particulièrement dramatique pour les femmes chez qui elle provoque des fausses-couches. Étant généralement les responsables de la famille et des enfants, les femmes subissent beaucoup de culpabilité lorsqu’elles doivent délaisser leurs enfants pour travailler à la mobilisation.
La question essentielle demeure, comment y arriver ?
L’objectif de faire pression sur les gouvernements n’est pas suffisant. Cela n’est pas suffisant parce que nous sommes déjà considérablement en retard par rapport à la survie de notre planète en termes de réduction des émissions de carbone et de pollution de l’environnement. Cela n’est pas suffisant non plus parce que les gouvernements, dans la grande majorité des cas, ont des intérêts liés aux multinationales extractivistes tant en termes de croissance de l’économie capitaliste que d’intérêts privés des individus au pouvoir qui investissent dans ces compagnies.
Nous ne pourrons y arriver qu’en ayant l’objectif de prise de pouvoir par la population laborieuse. Il faut mettre dehors les multinationales qui se sont suffisamment enrichies aux dépends de la population, prendre le contrôle de l’industrie d’extraction (particulièrement des mines) pour s’en servir là où c’est possible en préservant l’environnement ou à défaut les fermer.
Comme l’ont mentionné en point de presse les porte-paroles du Forum : « Les compagnies multinationales ont été impliquées depuis des années dans divers abus envers les droits humains et environnementaux, incluant la persécution, la criminalisation et même l’assassinat de ceux qui s’opposaient à leurs projets destructeurs. Elles ont aussi le poids financier nécessaire pour imposer leurs vues aux gouvernements afin qu’ils ferment les yeux sur les injustices causées par les industries d’extraction. »
Face à la mondialisation de l’économie et du contrôle des multinationales au-dessus du pouvoir législatif des gouvernements, sinon de leur complicité, il est maintenant essentiel de développer une stratégie globale concertée et une structure de riposte coordonnée des populations exploitées.
(1) Alain Deneault, William Sacher, Paradis sous Terre , p 72 .
(2) Ibid p 71
(3) Ibid p 79
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