Les cibles de hausse maximale de la température terrestre moyenne d’idéalement de 1.5°C, d’au pire 2°C, à l’horizon 2100 sont la norme fixée par l’Accord de Paris généralement acceptée, y compris par la gauche radicale, sauf par les trumpiens dit climato-sceptiques. Officieusement, les concomitantes réductions de GES ont été calculées par Climate Action Tracker (CAT) [2] pour les États seulement. CAT est un consortium de recherche germano-néerlandais dont les évaluations des plans nationaux inadéquats liés à l’Accord de Paris font autorité et sont souvent citées. Plusieurs dizaines de ses analystes sont des scientifiques faisant partie du GIEC.
C’est la cible canadienne de la CAT pour 2030 que Québec solidaire a adopté à son congrès du printemps 2016. Malheureusement, la cible pour 2050 est en-deça et correspond à la fourchette supérieure de la cible des Libéraux :
Programme Solidaire :
Préconiser, d’ici 2050, une économie décarbonisée, c’est-à-dire de réduire de 95 % les émissions de gaz à effet de serre (GES) en dessous du niveau de 1990, notamment en appliquant un plan de transition énergétique visant l’élimination des hydrocarbures dans la production et la consommation d’énergie et une réduction substantielle de l’utilisation de produits à base de dérivés du pétrole d’ici le milieu du siècle. Afin de rattraper le retard accumulé par rapport à nos engagements internationaux et afin de contenir la hausse moyenne de la température mondiale à
1,5 degrés Celsius, il faut accélérer la transition énergétique pour la période entre 2018 et 2030 de façon à atteindre 67% de réduction en dessous du niveau de 1990. Au niveau international, il faut faire pression pour arriver à un nouvel accord légalement contraignant.
Programme des Libéraux :
M. David Heurtel, annonce l’adoption par le gouvernement d’une cible québécoise de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) de 37,5 % sous le niveau de 1990 en 2030. […] Pour 2020, le Québec s’est donné un objectif encore
plus ambitieux, soit celui de réduire ses émissions de GES de 20 % sous leur niveau de 1990. […] Elle place également le Québec sur la trajectoire de la réduction d’émissions de GES recommandée par le Groupe d’expertsintergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) pour les pays industrialisés […] réduire leurs émissions de GES de 80 % à 95 % d’ici 2050. [3]
Proposition de la plateforme 2018
Québec Solidaire réduira au maximum les émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la cible d’une réduction de 95% d’ici 2050 par rapport au niveau de 1990 grâce à des cibles intermédiaires à chaque cycle de 5 années » (point 7.3)
On dira que les Libéraux se sont dotés d’objectifs pour la galerie, ce que dénonce même le dirigeant du Conseil du patronat [4]. Vrai, mais que dire d’un parti qui se met hors jeu dès le départ en se positionnant, dans sa plateforme, à la droite des Libéraux peut-être pour éviter, n’ayant pas de cible intermédiaire, d’être interrogé sur son plan d’action dont il ne s’est pas doté. Les grands médias risquent de toute façon de débusquer ce stratagème tout en disant à QS qu’il n’a pas encore subi l’épreuve du « pouvoir ». Le crû réalisme scientifique des cibles, mais politiquement très exigeant, a-t-il fait paniquer le parti ? Plusieurs crient à l’irréalisme. De faux arguments clefs sont concoctés : cette cible ne s’appliquerait pas au Québec pour lequel elle n’est de toute façon pas réalistement faisable que ce soit techniquement ou financièrement ou politiquement. :
A. La cible d’une réduction des deux tiers pour 2030 est plus facile pour le Québec que pour le Canada
1. La cible Solidaire serait non pertinente pour le Québec lequel ne peut avoir recours à l’élimination « facile » du charbon et de l’extraction pétrolière. Heureusement, le Québec ne produit aucun hydrocarbure même si son gouvernement fait tout pour en encourager l’exploration tous azimuts, ce qu’il faut évidemment bloquer tout comme son transport transitaire par pipeline ou par train.
2. Voudrait-on avoir le problème de l’Ontario dépendante de l’industrie automobile à recycler et du nucléaire, qui n’est pas une alternative écologique, ou de l’Alberta dont la prospérité repose sur une économie dopée au pétrole bitumineux sans compter ses centrales électriques au charbon ?
3. Les émissions canadiennes de GES dépassaient en 2015 de 18% le niveau de 1990 alors que le Québec les avaient réduites de 10% [5]. La marche est plus haute pour le Canada que pour le Québec qui a 28 points de pourcentage d’avance.
4. Le Québec non seulement n’a-t-il pas besoin de massive reconversion énergétique et industrielle, mais il jouit d’un surplus substantiel d’hydroélectricité [6] disponible pour le transport électrique de même que d’une importante industrie de fabrication de moyens de transport collectif.
B. La cible d’une réduction des deux tiers pour 2030 est techniquement faisable
Le document consultatif de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec [7] de 2013 affirmait :
Que représente la cible de 25% de réduction des gazes à effet de serre ?
La cible de 25% de réduction des GES par rapport à 1990, appliquée au secteur de l’énergie, signifie que l’on doitencore diminuer notre consommation d’énergie fossile (pétrole, gaz naturel et charbon) d’environ 23% par rapport
à aujourd’hui. Pour y arriver d’ici 2020, voici quel niveau d’effort nous devrions réaliser si une seule mesure était appliquée dans chacun des quatre secteurs.Secteur résidentiel :
Convertir environ 100 000 logements encore chauffés au mazout ou gaz naturel à l’électricité (sur environ 650 000 logements non chauffés à l’électricité).Secteur commercial et institutionnel :
Convertir à l’électricité environ 31 000 bâtiments – fermes d’élevage, exploitations agricoles, bâtiments institutionnels, lieux de culte, hôpitaux et écoles.Secteur des transports :
Retirer de la route ou convertir à l’électricité environ 2.1 millions d’automobiles ou camions légers (tout près de 50% du parc).Secteur industriel :
Réduire de plus des deux tiers les émissions de l’industrie de l’aluminium.
Ces mesures partielles réduiraient les émanations de GES du tiers (23% + 10% déjà acquis) par rapport à 1990.
1. Il est possible d’ici 2030 de convertir le demi-million restant de logements non climatisés à l’électricité.
2. À court terme, il est techniquement banal de substituer l’électricité au gaz naturel pour la limatisation des bâtiments particulièrement commerciaux et institutionnels.
3. Il est aussi possible de convertir à l’électricité l’autre moitié du camionnage léger. Avec Hydro-Québec qui s’est mise à installer des bornes électriques un peu partout et parce que la livraison locale de marchandises supposent de courte distance et le retour fréquent des camions légers à un même point, leur électrification
d’ici 2030 est banale.
4. On peut diminuer drastiquement les autos en propriété privé au prorata du développement du transport public et de l’autopartage communautaire quitte à en faire une obligation.
5. On peut interdire immédiatement l’achat des véhicules les plus nergivores [8].
6. La construction du « grand virage » de Climat-Montréal (et l’arrêt du train aérien REM) [9] pour le transport des personnes, étant en surface seulement et donc comportant l’avantage de pénaliser l’automobile d’autant plus que ce transport collectif serait gratuit d’ici dix ans, est faisable d’ici 2030 [10].
7. Tout comme est réalisable une généralisation à tout le Québec de l’autopartage électrifiée et communautaire soutenue publiquement.
8. On ajoute des progrès pour le transport lourd : on en serait déjà technologiquement au camion lourdélectrifié [11] pour compléter train et cabotage [12]… mais non pour s’y substituer
9. La foresterie et l’agriculture peuvent absorber des GES au lieu d’en émettre (reforestation, agriculture biologique)
L’autre tiers est ainsi à portée de main d’ici 2030 et à parachever pour 2050. Last but not least, on doit dès maintenant légiférer pour aller vers une ville sans auto solo et sans maison individuelle et en rangée, à fonction mixte, à logement et transport collectifs, approvisionné par des circuits courts et pénétré par l’agriculture. Reste le noyau dur des procédés industriels : les énergivores et polluantes alumineries très peu créatrices d’emplois sont un pensez-y-bien [13].
C. La cible d’une réduction des deux tiers pour 2030 est financièrement faisable
1. Les paradis fiscaux regorgent de billions de dollars — au moins 10% du PIB mondial (5% pour le Canada) [14].
2. La pseudo lutte contre les paradis fiscaux sert de prétexte pour abaisser l’impôt des entreprises et celui sur les revenus, surtout ceux élevés. Au Québec, la baisse de l’impôt des entreprises, relativement au PIB, a été spectaculaire comparée à celle du Canada hors Québec et des autres pays de l’OCDE [15]. Par sa baisse inattendue de l’imposition des particuliers d’un milliard $ [16], le gouvernement du Québec vient d’y contribuer.
3. Il faut arrêter de flipper à propos du financement. Dans le cadre d’un Québec indépendant doter de sa monnaie, une réforme fiscale en profondeur, dont le blocage des paradis fiscaux et la fin de l’évasion et de l’évitement fiscaux, y suffira.
4. La Coalition mains rouges a démontré que le seul Québec fédéral pouvait aller chercher dix milliards $ de plus l’an en revenus fiscaux supplémentaires [17].
5. Rappelons que financement ne signifie pas nécessairement dépense budgétaire mais investissement récupérable. On finance les négawatts de la réhabilitation énergétique des bâtiments et les flottes de camions électrifiés de la même façon que les mégawatts d’Hydro-Québec. Sauf que l’usager payeur, par la conservation de l’énergie, débourse moins pour payer sa dette que ses frais énergétiques initiaux.
6. La disparition du véhicule privé soulage les ménages d’un deuxième loyer lequel constitue une somme supérieure à toute hausse d’impôt requise par le financement du transport public.
7. Si les moyens financiers disponibles abondent, ceux technologiques ne sont pas en reste. Efficience énergétique, énergies solaire et éolienne sont même rentables ou le deviennent tout comme les véhicules électriques en sont sur le seuil [18].
D. La cible d’une réduction des deux tiers pour 2030 est politiquement faisable
1. Atteindre la cible Solidaire dérivée des Accords de Paris exige une mobilisation semblable à la reconversion vers une économie de guerre comme en 39-40 ou vice-versa comme en 45-46. Même la classe d’affaire canadienne avait compris la nécessité de la planification étatique se soumettant le marché pour entreprendre l’effort de guerre [19].
2. Cette démarche est impossible en passant par le marché contrôlé par une poignée de transnationales dont 90 d’entre elles sont responsables d’un peu moins des deux tiers des GES historiques (1854-2010) [20]. Les marché et taxe carbone, rejetés par le programme Solidaire mais non par son projet de plateforme électorale, ne font que modifier les rapports de prix au détriment des produits carbonés afin d’influencer le comportement des
entreprises dont ces 90 sont décisives. Elles sont en mesure de résister bec et ongles, par des moyens tant
économiques que politiques, afin de rentabiliser leurs lourds équipements fossiles pour, à pas de tortue [21], recycler leurs profits vers la géo-ingénierie et l’électrification de l’auto solo [22] au sein d’une ville bungalow.
3. Pour sauver la civilisation à l’avantage non du capital mais de la majorité populaire, il faut encore plus de planification, démocratique cette fois-ci, financée par une mobilisation de l’épargne nationale et le contrôle des échanges commerciaux, ce qui requiert l’indépendance.
Marc Bonhomme, 7 février 2018
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
Un message, un commentaire ?