Édition du 19 novembre 2024

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Québec

La lutte pour l’indépendance en Catalogne, quelles leçons pour le Québec ?

La lutte de la population catalane pour son droit à l’autodétermination et ultimement pour son indépendance est certainement sans mesure avec celles qu’a connues le Québec dans son passé récent si on considère l’histoire des référendums de 1980 et de 1995. L’histoire et la constitution de l’Espagne, son héritage franquiste, dans un contexte d’une Union européenne, laquelle gère l’offensive d’austérité anti populaire, participent à donner une forme ouvertement plus rigide à la réaction du gouvernement espagnol contre la nation catalane. Mais si cette lutte se déroule dans un contexte différent il est important d’examiner la situation afin d’en tirer des enseignements pour la lutte que nous menons au Québec.

Retour sur le passé, différences et similitudes avec la Catalogne

Lors du référendum de 1995 le gouvernement canadien avait fait le choix de miser sur la défaite du référendum et s’était allié aux forces du NON au Québec comme il l’avait fait en 1980. Ce faisant il accordait cependant une validité à l’exercice référendaire du Québec, ce qui représentait un risque certain. En effet le NON n’avait obtenu que 50,58% des voies en 1995, une baisse significative comparée au référendum de 1980 où il avait obtenu 59,56%.

Le gouvernement libéral de Jean Chrétien n’avait cependant rien ménagé, il fallait gagner cette bataille à tout prix. Il avait donc dérogé aux règles financières imposées aux camps du Oui et du Non en détournant pas moins de 332 millions $ des coffres du gouvernement canadien vers des agences de publicité québécoises, ce qu’on a appelé le scandale des commandites. Sans compter l’organisation du love-in où les fédéralistes étaient venus manifester « leur amour du Québec ». Le coût de cette manifestation avait été évalué à près de 4,3 M$, contrevenant aussi à la Loi électorale. Chacun des camps était autorisé à dépenser 5 M$ pour promouvoir ses idées pendant la campagne référendaire. Parmi les milliers de personnes qui avaient investi le centre-ville de Montréal, on trouvait des Néo-Brunswickois venus dans des autocars nolisés par la pétrolière Irving, des étudiants et étudiantes venuEs de Vancouver grâce à un rabais de 90 % d’Air Canada, des employés de la municipalité d’Ottawa-Carleton qui avaient obtenu un congé payé.

Le gouvernement libéral avait donc dû tirer des leçons de cette aventure scabreuse où il avait perdu beaucoup de crédibilité et où le Oui avait perdu de peu. En 1997, Stéphane Dion reçoit le mandat du gouvernement Chrétien pour gérer cette question, afin de déterminer les actions à prendre au cas où un autre référendum sortirait gagnant. Il s’adresse d’abord à la cour suprême pour déposer un projet de loi sur la clarté référendaire qui sera adopté en juin 2000.

Cette loi stipule dans ses attendus que la Cour suprême du Canada a confirmé que ni l’Assemblée nationale, ni la législature, ni le gouvernement du Québec ne dispose, en droit international ou au titre de la Constitution du Canada, du droit de procéder unilatéralement à la sécession du Québec du Canada.

Cette loi décrète que le peuple du Québec n’a pas le droit de prendre par lui-même la décision de se séparer. Le gouvernement québécois aurait l’obligation de négocier. Mais encore là à condition que le gouvernement fédéral reconnaisse la validité du vote. Les termes de la négociation ainsi que les conditions pour négocier sont donc fixés par le gouvernement fédéral qui devient juge et partie.

Cela change considérablement la situation et renforcit l’État fédéral qui s’est doté de garde-fous contre l’indépendance. Comme l’avait démontré la commission Gomery les chances n’étaient déjà pas égales face aux tricheurs, nous savons maintenant que la lutte pour la souveraineté nécessitera un important rapport de force. Là nous nous rapprochons déjà un peu de la situation catalane.

Rappelons finalement que la constitution canadienne rapatriée en 1982 n’a jamais reçu le consensus nécessaire puisque le Québec ne l’a jamais accepté.

Est-ce que l’État canadien saura composer avec l’indépendance du Québec contrairement à l’État espagnol en ce moment ?

Rien n’est moins sûr, géographiquement le Québec n’est pas situé à la périphérie de l’État canadien. La sécession du Québec séparerait le Canada en deux en isolant les provinces maritimes de l’Ontario et des provinces de l’ouest. Il constituerait également une enclave en ce qui concerne le transport maritime dont la porte d’accès est au Québec. Il aurait dorénavant le droit de décider de tout ce qui peut traverser son territoire et interdire s’il le désire toute forme d’oléoduc. Il aurait aussi le plein contrôle des voies ferrées et du transport routier.

Cela suffit déjà à représenter une menace importante, pour ne mentionner que celle-là, pour un État qui carbure à l’extraction et à l’exportation pétrolière et dont le passage par le Québec est déterminant. Mais la population d’un Québec devenu indépendant choisirait-elle cette avenue ? À en juger par la mobilisation soutenue dans les différentes régions du Québec pour la protection de notre environnement à l’exemple des quelques 230 municipalités qui appuient la lutte de Ristigouche et ont adopté des règlements similaires de protection, à en juger à la sensibilité à la nécessité de la transition énergétique vers les énergies durables il est quelque part impensable qu’ une lutte pour la souveraineté du Québec ne représente pas une lutte pour l’appropriation et le contrôle de notre environnement. À quoi sert l’indépendance si ce n’est de se libérer aussi de notre dépendance aux multinationales ?

L’impact de la mobilisation

L’autre aspect est politique. L’indépendance, on le voit bien, ne pourra se faire à froid. Ce sera l’aboutissement d’une lutte à la fois sociale et parlementaire, ce sera la construction d’un rapport de force pour déloger les profiteurs et les corrompus qui accaparent nos ressources collectives et qui monopolisent les profits. Ce sera l’aboutissement d’un rapport de force afin de réaliser notre choix souverain de société au travers de l’assemblée constituante. La classe ouvrière du Reste du Canada pourra y voir un espoir qui dynamisera ses propres luttes à condition qu’elle sorte de l’assujettissement à sa propre bourgeoisie et donc au nationalisme canadien.

Là réside l’autre grande menace pour l’État fédéral canadien. La possibilité d’un État tronqué, avec un Québec en ébullition représentera certainement une situation plus que périlleuse pour la classe dirigeante canadienne. L’appui de la classe ouvrière du reste du Canada sera alors un élément déterminent comme il l’est actuellement en Espagne pour la population catalane.

André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

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