Édition du 21 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

À l’occasion de la journée de commémoration de victimes du travail

Maladies liées au travail : La CNÉEST cache la vraie situation

À la veille de la Journée de commémoration en mémoire des personnes blessées ou décédées à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle (le 30 avril), la CNÉEST a publié le triste chiffre des victimes du travail au Québec pour 2023. Pour cette année, la commission rapporte 210 décès liés au travail (73 lors d’un accident et 137 suite à une maladie professionnelle) et 95,683 lésions professionnelles (89,984 accidents et 10,699 maladies). [1]

29 avril 2024

Ces chiffres, aussi tristes qu’ils soient, permettent à la commission d’observer une baisse importante des lésions professionnelles (11,782) en comparaison avec 2019. Quant aux décès dûs au travail, il y a eu une augmentation de 20 par rapport à 2019, mais une baisse de 6 par rapport 2022 [2].

On pourrait donc penser peut-être que La loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail, adoptée en 2021, a déjà eu un effet positif, notamment grâce à l’extension, déjà dans le régime intérimaire, à tous les secteurs économiques des droits des travailleurs et travailleuses de participer en prévention (cela même si ces droits sont fortement réduits par rapport à la lettre de l’ancienne loi, qui elle n’a jamais été appliquée dans la majorité des secteurs de l’économie pendant ses quatre décennies d’existence.)

Mais cela n’est vraiment pas le cas. Cela pour deux raisons.

D’abord, la majorité des travailleurs et des travailleuses, notamment les non syndiqué.e.s, n’ont pu en pratique faire usage de leurs droits formels de participation à la prévention. C’est le cas parce que le règlement provisoire régissant leur participation était parfaitement inapplicable. [3] C’est la raison pourquoi les organisations qui défendent les non-syndiqué.e.s (le CTTI, l’UTTAM, le RATTMAC et le CIAFT) exigent que le gouvernement finance une organisme consacré à la formation et au soutien des non-syndiqué.e.s en prévention.

L’autre raison est que la CNÉEST a décidé arbitrairement d’exclure de son calcul pour 2023 les 18,662 lésions attribuables à la COVID-19, ce qu’elle n’a pas fait pour les années 2020, 2021 et 2022. La CNÉEST n’a pas cherché à expliquer cette décision, qui nous semble plus que douteuse, puisque la COVID en 2023 était une vraie lésion professionnelle, tout comme en 2020, 2021 et 2022. Pourquoi alors cette décision arbitraire de ne plus la compter ?

Voici donc les chiffres des lésions (accidents et maladies) depuis 2014 :

2014 – 88 046
2015 – 87 618
2016 – 90 414
2017 – 96 135
2018 – 103 406
2019 – 107 465
2020 – 104 732 (incluant Covid)
2021 – 105 692 (incluant Covid)
2022 – 161 962 (incluant Covid)
2023 – 114 345 (incluant Covid)

En somme, 2023 était le 2e pire année des dix dernières années en termes du nombre de lésions !

Quant au nombre de décès au travail, 2023 a été la deuxième année la pire des 5 dernières années, avec 20 décès liés au travail de plus qu’en 2019.

2019 – 190 décès
2020 – 173 décès
2021 – 207 décès
2022 – 216 décès
2023 – 210 décès

Il n’y a donc vraiment pas de quoi se vanter !

Et notons que les chiffres de la CNÉEST n’incluent que les lésions acceptées et indemnisées, ce qui est loin du véritable nombre de lésion, grâce en partie à la pratique de contestation du patronat. [4]

Une recherche faite en Ontario estime que le nombre réel de travailleurs et de travailleuses qui sont mort.e.s en 2022 à cause de leur travail était dix fois plus élevé que le chiffre officiel. [5] C’est le cas parce que relativement peu de maladies professionnelles sont rapportées ou reconnues, selon le Centre de santé et sécurité des travailleurs de l’Ontario. C’est particulièrement le cas du cancer, des maladies pulmonaires et d’autres maladies chroniques avec de longues périodes de latence entre l’exposition sur le lieu de travail et l’apparition de la maladie. Selon certain.e.s, la situation est pire quant aux lésions non-mortelles. [6]

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[1Mes remerciements sincères à Félix Lapan de l’UTTAM pour m’avoir alerté au tour de passe-passe de la CNÉEST et à la vraie situation.

[3Le règlement provisoire disait : « Lorsque les travailleurs d’un établissement ne sont représentés par aucune association accréditée, les représentants des travailleurs au sein du comité sont désignés par scrutin, lors d’une assemblée convoquée à cette fin par un travailleur de l’établissement. » Il n’est pas difficile d’imaginer la réaction de la direction d’un entrepôt Amazon à une telle demande de la part d’« un travailleur ». Au mieux c’est le silence et l’immobilité ; au pire c’est des sanctions disciplinaires. Cela n’a pas empêché la présidente de la CNÉEST d’affirmer à l’auteur de cet article que « nous comptons sur la collaboration habituelle des employeurs pour assurer la prise en charge de la santé et de la sécurité du travail de façon paritaire. »

[4À ce sujet voir, N. Charbonneau et G. Hébert, « La judiciarisation du régime d’indemnisation des lésion professionnelles au Québec » IRIS, 2020 https://iris-recherche.qc.ca/wp-content/uploads/2021/03/CNESST_WEB.pdf

[5OHS Canada, « Number of Workers Killed on the Job is 10 Times Higher than Official Reports : WHSC”, https://www.ohscanada.com/number-of-workers-killed-on-the-job-is-10-times-higher-than-official-reports-whsc/?ref=readthemap”le.com

[6B. Barnestson et al., “Estimating Under-claiming of Compensable Workplace Injuries in Alberta, Canada, Canadian Public Policy, vol. 44, no. 4, 2018. https://www.jstor.org/stable/26585561?ref=readthemaple.com

David Mandel

Professeur retraité à l’Université du Québec à Montréal

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