Édition du 28 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Arts culture et société

En quoi le décès de Karl Tremblay illustre le phénomène des artistes "passe-partout"

Le décès de Karl Tremblay, chanteur du groupe Les Cowboys fringants, a révélé un certain nombre de vérités quant aux rapports des partis politiques, la CAQ en particulier, avec les créateurs et les créatrices des arts, ici la musique. Tout un contraste avec les réactions épidermiques des politicien.ne.s lorsqu‘Émile Bilodeau a été choisi pour animer la Fête nationale à Québec en juin dernier. Clairement campé à gauche, ce dernier a déchainé les passions lorsqu’il s’est inscrit en faux sur la question de la laïcité de l’État à la sauce caquiste et de la loi 21. Une volée de bois vert a suivi de la part des partis de droite, CAQ, PQ et PLQ. Alors qu’aujourd’hui, Karl Tremblay et son groupe semblent faire l’unanimité. Qu’en est-il de l’intrumentalisation des artistes à des fins d’opportunisme politique. Ces artistes sont-ils ’trop consensuels" favorisant ainsi leur récupération politique ?

Clivante, la musique a été au Québec un outil de contestation dès les années ‘60 du siècle dernier. Les Robert Charlebois, Yvon Deschamps et Louise Forestier (et Mouffe) ont lancé le bal avec l’Osstidcho. Les Gilles Vignault, Felix Leclerc et autres se sont engouffrés dans l’ouverture pour faire de la chanson québécoise un outil de lutte pour l’indépendance d’un Québec progressiste et ouvert sur le monde. Les artistes devaient refléter la nouvelle réalité d’un Québec en mouvement et ils et elles étaient mis au défi de dépasser les façons traditionnelles de faire de la musique. Que l’on pense à Harmonium, à l’Infonie ou à Octobre, les Séguins ou Maneige. Une période féconde en mobilisations citoyennes et en créativité artistique.

Vint la défaite référendaire de 1980 qui eut des conséquences terribles dans la communauté artistique québécoise, tant une majorité de celles et ceux au centre de la création musicale s’identifiaient à la bataille pour l’indépendance du Québec. Cette défaite politique fut accompagnée d’un virage dans l’industrie de la musique. Celle-ci prit le virage néolibéral de la gestion style « Just in time » et coupait les liens avec les artistes « qui ne marchaient pas assez ». Dorénavant, il fallait posséder un potentiel de vente important pour être endisqué et distribué. Et qui dit potentiel de vente dit musique « facile », prête à être consommée, dit musique apolitique, commerciale et consensuelle. Finie la volonté de déranger, de provoquer, d’ébranler. Il fallait maintenant présenter des produits qui plairaient au plus grand nombre. Et l’industrie de la musique connut l’évolution que l’on sait.

Depuis le début du présent siècle, une recomposition du secteur s’opère. De nouveaux et nouvelles artistes apparaissent. Ils et elles découvrent ce que la génération précédente a légué. Certain »e.s s’en inspirent, que ce soit au niveau du message véhiculé ou du côté plus débridé, moins conventionnel, de leur musique. Plusieurs tentent de dépasser la situation actuelle où les artistes doivent évoluer dans un contexte beaucoup plus difficile que celui des années d’or de la musique québécoise.

C’est dans ce contexte qu’apparait la nouvelle génération d’artistes que nous connaissons maintenant et qui s’inscrit dans une conjoncture non pas de montée des luttes mais plutôt de progression des droites dures et de toutes les teintes de l’extrême droite, de régression sociale. Et le Québec n’est pas épargné par le phénomène. Les artistes-musicien.ne.s qui sont confrontés aux défis tels les changements climatiques ou l’avenir du Québec y répondent en fonction de leur perception de la réalité. Certain.e.s ratissent large et recherchent le consensus. C’est le cas des Cowboys fringants et de bien d’autres. D’autres choisissent de confronter, de mettre au défi face aux débats qui traversent la société. C’est le cas d’Emile Bilodeau et de quelques résistant.e.s aux goûts du jour.

Que le décès de Karl Tremblay fédère autant, de la CAQ à QS et au PQ, que le premier ministre aille jusqu’à proposer des funérailles nationales, on ne peut qu’y voir non pas une simple opération de récupération politique mais aussi une parenté politico-culturelle. Si les Cowboys fringants ont été présentés comme un groupe engagé, on peut se questionner sur l’orientation de cet engagement qui se veut tellement consensuel qu’elle en perd son côté abrasif tellement nécessaire pour faire réellement bouger les choses et contribuer à une véritable réflexion collective par la chanson. À force de vouloir plaire à tout le monde, on se refuse d’aborder les réflexions difficiles mais essentielles pour notre avenir collectif. Confronter les puissants, remettre certaines « vérités » en question furent les chevaux de bataille de nombreux artistes québécois.es à une certaine époque. Pour renouer avec ceux-ci, la recherche du consensus dans une société divisée et qui balance entre passé et avenir, c’est passer à côté des défis qui se présentent aux artistes. Plusieurs artistes possèdent ce flair de révéler les travers de notre société, flair qu’il faut cultiver comme artistes et encourager comme public.

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