L’hiver dernier, après l’assermentation de D. Trump on a assisté à une augmentation sensible des « entrées irrégulières » à la frontière canado-américaine partout au Canada. Les gens évitaient les postes frontières officiels et tentaient d’arriver en sécurité en traversant les forets, les champs et les fossés. Depuis janvier 2017, les autorités canadiennes ont intercepté environ 17,000 migrants.es venant des États-Unis. D’autres sont entrés.es sans avoir été remarqués.es. La revendication du statut de réfugié se fait après l’entrée sécurisée au Canada, non pas à la frontière (officielle). Dans ce cas ces gens seraient refoulés.es à cause d’une entente controversée entre les deux pays.
Les risques liés aux entrées irrégulières augmentent en hiver. Et il semble que celui qui commence sera froid. L’an dernier, durant les mois les plus froids, on a entendu des reportages crève-cœur qui parlaient d’orteils et doigts gelés au point de devoir être amputés à l’arrivée au pays. Deux hommes originaires du Ghana ont perdu leurs doigts dans leur périple vers le Manitoba. L’un d’eux a déclaré aux journalistes qu’il se comptait chanceux d’avoir conservé un de ses pouces.
Malgré tous ces dangers, on peut penser que le flot d’immigrants.es qui fera son chemin vers les roulottes de Lacolle va continuer même si la température se refroidit considérablement. Il se peut que le trafic à pied, avec bagages, s’intensifie au cours des semaines et mois à venir à cause de la décision du 20 novembre de l’administration Trump qui met fin aux permis temporaires grâce auxquels 50,000 Haïtiens.nes (depuis leur exil après le tremblement de terre de 2010) ont pu vivre et travailler légalement aux États-Unis. Dans 20 mois, cette protection tombera et cette population sera sujette à l’expulsion.
L’administration a aussi annoncé qu’elle priverait les Nicaraguéens.nes du même programme et elle indique que ce sort devrait aussi toucher les Honduriens.nes l’an prochain. En septembre dernier, les Soudanais.es ont été informés.es que leur tour viendra également. Il est probable que les Salvadoriens.nes seront les prochains.es.
Ce programme appelé Statut temporaire de protection (TPS en Anglais) donne un statut légal spécial aux ressortissants.es de pays sélectionnés, durement touchés par la guerre et les désastres naturels, pendant que la situation se rétablit chez-eux. (…) Après le tremblement de terre dévastateur de 2010, l’administration Obama a inscrit Haïti sur la liste des pays dont les citoyens.nes pouvaient bénéficier de ce statut.
Au cours des ans, des milliers d’Haïtiens.nes se sont prévalu du programme qui leur accordait la liberté de construire leur vie aux États-Unis : étudier, travailler dans les soins de santé, la construction, les hôtels, de payer leurs impôts et taxes, d’y avoir des enfants qui sont donc citoyens.nes américains.es. Au total, il est question de 300,000 personnes et plus, venant du Soudan, du Honduras, d’El Savaldor, du Nicaragua, de Somalie et autres, qui bénéficient de ce programme. Au point de départ, il a été conçu comme un moyen de lancer une « bouée de sauvetage à un pays touché par un désastre jusqu’à ce qu’il se remette sur pied » comme le dit Mme Sarah Pierce de l’Institut de politique en matière de migration. Dans certains cas, comme la Somalie presque continuellement en guerre, les bénéfices du programme lui ont été attribués pendant 26 ans comme s’il s’agissait d’un programme instable de pseudo refuge. Même il ne peut s’y ajouter personne ; seuls.es les Somaliens.nes déjà sur le territoire américain depuis des décennies, continuent d’être protégés.es.
Au cours de sa campagne électorales, D. Trump a donné de fortes indications qu’il soutenait le programme au moins pour les Haitïens.nes. En quête de votes, il a déclaré à la foule de « Petite Haïti » : « Que vous votiez ou non pour moi, je veux vraiment être votre plus grand défenseur et je le serai ».
Tout à bien vite changé. Dans sa croisade contre les immigants.es, l’administration Trump a très tôt commencé à considérer le TPS comme une escroquerie, une porte arrière permettant à des étrangers.ères de vivre indéfiniment aux États-Unis. Peu importe que leurs pays d’origine, couverts par le programme, soient encore ravagés par la guerre ou les désastres et qu’ils comptent sur l’argent que ces travailleurs.euses y renvoient pendant la longue reconstruction.
En mai, John Kelly, alors Secrétaire du département de la sécurité intérieure, a déclaré que les Haïtiens.nes bénéficiant de la protection du TPS devaient commencer à penser à retourner chez-eux.
D’un jour à l’autre, des milliers de personnes ont dû envisager des options impliquant de grands risques : rester là et espérer le mieux, se tourner vers l’économie illégale, retourner au pays où la vie est loin d’être sûre, où l’épidémie de choléra sévit et fait encore mourir des centaines de personnes chaque année, traverser au Canada, pays où le Premier ministre à fait de grandes déclarations de bienvenue aux réfugiés.es.
Depuis juin un grand nombre de ces personnes ont opté pour cette dernière solution ; jusqu’à 250 Haïtiens.nes ont passé la frontière chaque jour au cours de l’été 2017, avec ce qu’il leur était possible d’apporter. Après un voyage en avion ou en autobus vers Plattsburgh dans l’État de New York et une course d’environ 30 minutes en taxi, ils et elles sont arrivés sur le chemin Roxham près de Lacolle et ont marché à travers le fossé qui sépare le Canada de Justin Trudeau et les États-Unis de D. Trump.
Respirer un air nouveau
« Au moment où je suis arrivée ici, j’ai sentit que l’air était différent. J’avais l’habitude de sentir une douleur dans mes épaules et tout-à-coup, elle était partie. Je me suis demandé ce qui m’arrivait. Je me suis rendue compte que mon stress était parti ». Voilà ce que m’a dit Agathe St-Preux, une femme d’âge moyen vêtue d’une modeste jupe et d’une veste noire, au moment où elle est arrivée au Canada après 12 ans de vaines tentatives pour obtenir un statut légal permanent aux États-Unis.
À la mi-octobre nous nous retrouvons entassés.es dans une pièce de la Maison d’Haïti, un des centres de la communauté haïtienne de Montréal. Des douzaines de personnes, entrées au Canada irrégulièrement depuis la menace du retrait de la protection du TPS américain, ont bien voulu partager leurs histoires de migration.
Ces expériences varient grandement mais toutes sont pénibles. Plusieurs ont réclamé l’anonymat. Une mère de 3 enfants qui travaillait légalement à l’aéroport JFK de New York à décidé que, pour que sa famille ne soit pas séparée, il valait mieux qu’elle traverse la frontière à Lacolle. Un homme, qui s’est présenté au poste de maire d’une petite ville haïtienne et a été élu, a « été attaqué par 3 voyous d’un parti adverse ». Une femme fait remarquer que sa survie tient du miracle. Elle-même a travaillé pendant 3 ans aux États-Unis mais a décidé de partir quand elle a su que de ses compatriotes avaient déjà été expulsés. Un homme à la fin de la vingtaine, a déclaré à la petite foule qu’il avait habité aux États-Unis pendant 15 ans, qu’il y était allé au collège, et y avait travaillé pendant 7 ans : « Je contribuais à l’économie, je payais mes impôts et mes taxes, (mais avec Trump), le stress est devenu assez pesant pour me faire mourir. J’ai pris l’avion pour Plattsgurgh puis un taxi et j’ai traversé à pied ». Il y avait aussi une mère de 6 enfants qui a vécu 8 ans à Miami.
Elle y a étudié pour devenir infirmière tout en travaillant de nuit. Elle dormait à l’arrêt d’autobus attendant le lever du soleil. Elle a finalement obtenu un travail et soigné des malades américains.es, payé ses impôts et taxes au gouvernement américain. « Nous travaillons comme des bêtes, m’a déclaré Mamie Yanica Quetant en créole traduit par son interprète, et il nous dit partez ». Il, c’est bien sûr D. Trump (…).
Pour la vaste majorité des Haïtiens.nes rassemblés.es à la Maison d’Haïti, le chemin pour entrer aux États-Unis n’a pas été le plus facile ni le plus direct, c’est-à-dire celui par bateau depuis l’ile jusqu’en Floride. C’est un passage lourdement sécurisé et patrouillé depuis des décennies par la Garde côtière américaine. À la recherche de travail et de politiques d’immigration accueillantes, leur voyage a été bien plus tortueux : depuis Haïti jusque dans les Caraïbes, puis au Brésil où le travail était promis avant la Coupe du monde (de soccer) de 2014 et les Olympiques de 2016. Quand ces ouvertures se sont refermées, le voyage s’est continué à travers l’Amérique du sud et centrale jusqu’à la Californie.
Plusieurs dans la salle ont traversé 10 ou 11 frontières avant leur arrivée à destination. Ce sont des années de déambulation, de clandestinité pendant que les autorités et les voleurs les pourchassent.
Rosemen François, une jeune fille aux cheveux frisés m’a raconté ce qui lui était arrivé au Panama et qui l’affecte encore : « Je traversais une rivière et je suis tombée trois fois dans l’eau. À un moment donné, je ne sentais plus mes pieds parce que la peau partait. Ça me hante encore ».
Un homme réagit à ce récit. Il avait été silencieux jusque là mais il prend la parole : « Quand nous étions au Panama, nous avons dû dormir dans la forêt…Nous avons vu de gens mourir, une femme être violée. Nous avons passé 6 jours dans la forêt panaméenne sans manger, en dormant dehors sous la pluie ». Ils ont entendu des bruits insupportables : « nous avons pensé que c’étaient des animaux sauvages et nous sommes partis en courant. Nous avons perdu tous nos biens, absolument tout ». C’était pourtant le bruit d’une organisation d’aide aux migrants.es dans l’illégalité. Il ajoute : « Mais nous avions encore confiance et nous avions toujours les États-Unis à l’esprit. Nous pensions qu’une fois là ce serait le paradis ».
Après tout il y avait ce programme spécial, TPS, qui reconnaissait que leur pays souffrait après le terrible tremblement de terre, qui leur permettait de demeurer aux États-Unis et de travailler en pleine lumière. Mais ça n’a pas fonctionné pour tous et toutes. R. François en témoigne : « Quand nous sommes arrivés.es en Californie, (il y a 3 ans), je pensais que c’était la fin de mon périple. Mais j’ai été arrêtée et placée dans un centre de détention. Je ne pouvais voir la clarté ; impossible de faire la différence entre le jour et la nuit. J’y suis restée 7 jours. Pas de douche et une nourriture immangeable. J’étais sûre d’avoir été oubliée dans un trou noir. Je me suis mise à crier et c’est comme ça que j’en suis sortie ».
Les choses se sont stabilisées et normalisées pour elle après quelques années. Elle a obtenu un permis de travail. Elle a étudié. Mais l’été dernier : « mes amis.es sont été expusés.es. J’ai donc décidé de venir au Canada ». Quand je lui demande comment c’est arrivé, sa réponse est simple : « À cause de Trump. Chomp (comme le prononce ces immigrants.es), Chomp m’a volé mon rêve et a tout viré à l’envers ».
Mme Quetant, l’infirmière de Miami, décrit le choc qu’elle à eut lorsqu’elle entendu aux nouvelles que des Haïtiens.nes qui se sentaient en sécurité grâce au TPS, étaient tout à coup devenu les cibles des autorités encore une fois : « Tu ouvres la radio pour les nouvelles et tu entends que les Haïtiens.nes sont arrêtés.es. Il faut partir en courant, à bout de souffle en vous demandant vers où vous tourner ». Elle souligne que le stress était insupportable : « Vous ne savez pas pourquoi vous pourriez être arrêtée. Vous examinez tout le monde autour de vous en vous demandant comme vous êtes vue et vous ne savez pas quoi faire. Vous ne voulez plus courir ».
Trump et les réfugiés.es
Ceux et celles qui sont arrivés.es aux États-Unis après l’assermentation de D. Trump, ont vécu une expérience plus épouvantable encore. Dieuliphète Derphin est un jeune qui est arrivé aux États-Unis juste avant l’assermentation de D. Trump après être passé par le Brésil : « J’ai été étonné d’être arrêté et de passer 6 jours dans un centre de détention. Je me suis demandé pourquoi on traitait les noirs d’une manière aussi inhumaine. Pourquoi ne me donnaient-ils même pas une brosse à dents ?
Pourquoi n’ais-je pas accès à de l’eau ? Pourquoi nous font-ils cela ? C’est parce que nous sommes noirs ? Après cela je ne voulais pas rester là. Même pas une seconde de plus. C’est comme cela que l’idée m’est venue de venir au Canada ». Il a traversé la frontière en août après avoir passé tout juste 8 mois aux États-Unis.
Beaucoup dans cette salle reprennent les mots qu’utilise Agathe St-Preux pour décrire son arrivée au Québec : « Respirer un air nouveau ». Et les applaudissements fusent lorsque Mme Quetant souhaite que D. Trump ne vienne jamais au Canada : « …parce que la terre canadienne est bénie ».
Mais, très vite, il devient évident que malgré un certain soulagement advenu grâce à la fuite devant les arrestations menées par l’administration Trump, la recherche de la sécurité et de la stabilité est loin d’être réglée. Beaucoup d’Haïtiens.nes sont venus au Canada après avoir entendu J. Trudeau déclarer que son gouvernement les accueillerait les bras ouverts. Ces migrants.es connaissaient son fameux Tweet publié le jour des protestations contre la première interdiction d’entrée sur le territoire américain aux musulmans.es par l’administration Trump, et qui disait : « à ceux et celles qui fuient la persécution, la terreur et la guerre, les Canadiens.nes vous souhaitent la bienvenue indépendamment de vos croyances. La diversité est notre force. Soyez les bienvenus.es au Canada ». Un homme parle de ce message et d’autres semblables venant du nord comme « un signe divin, que Dieu montrait la voie et disait, venez au Canada ».
Pourtant il leur a fallu faire face à une réalité bien plus complexe. Ces derniers mois, les autorités canadiennes ont fébrilement découragé l’immigration américaine par les voies irrégulières, spécialement celle d’origine haïtienne. Elles ont souligné que ces Tweets ne représentaient pas les politiques restrictives du pays en matière d’immigration. Ainsi, des centaines d’Haïtiens.nes ont été renvoyés dans leur pays d’origine depuis janvier 2017. Marjorie Villefranche, la directrice de la Maison d’Haïti, dit qu’encore une soixantaine d’Haïtiens.nes traversent la frontière chaque jour. Elle estime qu’environ 50% d’entre eux et elles pourront se prévaloir du statut de réfugié et qu’un autre quart pourra bénéficier d’un autre statut quelconque. Les autres seront explusés.es (vers Haïti).
En plus, le Canada et les États-Unis sont liés par une entente dite « des pays sûrs » qui stipule que les revendicateurs.trices du statut de réfugié doivent le faire dans le premier pays de leur arrivée. Comme les États-Unis sont reconnus « sûrs », en arrivant au poste frontière officiel, revendiquant le statut de réfugié, ces personnes sont refoulées immédiatement en territoire américain.
Mais si leur arrivée au Canada se passe ailleurs, leur demande peut être considérée. C’est la raison primordiale pour laquelle les Haïtiens.nes et les milliers d’autres immigrants.es qui fuient les sentiments et les politiques qui leur sont hostiles aux États-Unis, traversent la frontière à pied avec tous les risques physiques et légaux que cela comporte. Comme le dit Mme Quetant : « Pour avoir une chance d’avoir un statut légal au Canada on doit transgresser la loi. On ne veut pas faire ça mais nous n’avons pas le choix ; il faut le faire ».
Une seule personne dans ce groupe, une dame, a bien voulu faire savoir qu’elle avait tenté de rentrer au Canada par la voie officielle avant de le faire à pied. On l’a refoulée et cela parait maintenant dans son dossier. Elle est donc celle dont la position est la plus délicate dans ce groupe : « Je ne peux pas avoir de permis de travail parce que j’ai été expulsée ». Une dame hoche la tête en disant : « C’est ce que nous tentons tous et toutes d’éviter ».
Le Canada n’a pas non plus été absent de racisme envers cette vague
d’immigrants.es noirs.es. Des militants.es en faveur de la suprématie blanche ont manifesté à la frontière de Lacolle et installé des bannières contre l’immigration à l’extérieur du Stade olympique de Montréal convertit en refuge temporaire pour ces réfugiés.es poussés.es à la fuite par D. Trump. Et jusqu’à maintenant l’accueil qui leur a été réservé par le grand public n’est pas à la hauteur de la fameuse générosité déployée envers les réfugiés.es d’origine syrienne.
Toutefois, les Montréalais.es ont été touchés.es par leur arrivée. On a pu voir plusieurs manifestations incroyablement chaleureuses. Mme Villefranche affirme qu’il fallait que tous ces gens se sentent comme chez-eux dans cette Maison d’Haïti où nous étions réunis.es. Cette maison a ouvert en 1972 au moment où l’immigration haïtienne surgissait durant la brutale dictature de Duvalier. L’an dernier, après des décennies au cœur de la vie des Haïtiens.nes dans la ville, ils ont pu emménager dans un bâtiment moderne et ensoleillé dans le quartier St-Michel. Du sol au plafond, les fenêtres s’ouvrent sur la rue, les membres de la communauté se retrouvent dans un café et l’art haïtien si éclatant, est installé sur le moindre espace des murs.
Ce nouveau local est prêt juste à temps pour faire face à l’ouragan Trump. Comme au lendemain du tremblement de terre de 2010, des bénévoles aident les arrivants.es à compléter les formulaires pour les permis de travail temporaire. Le personnel s’assure que les enfants sont inscrits dans les écoles et les équipe des uniformes nécessaires comme des autres équipements requis.
Mais plus important encore, il y a là, d’autres Haitiens.nes dont plusieurs vivent à Montréal depuis des décennies où ils ont fait leur vie. Un réfugié fraîchement arrivé insiste : « Ils nous disent de ne pas avoir peur. Le soleil brille pour nous aujourd’hui, ce sera la même chose pour vous un jour dans le futur ». Philogene Gerda, une jeune mère de 3 enfants, qui a passé 3 semaines au Stade Olympique explique que la Maison est : « comme un foyer spécialement pour les femmes qui ont leur espace chaque vendredi soir ; vous pouvez emmener vos enfants ».
Le mouvement de défense des droits des immigrants.es fait aussi un travail politique pour que le gouvernement Trudeau mette fin à son marketing pro-réfugiés.es. C’est bien d’installer des roulottes chauffées à la frontière mais ça ne suffit pas. Des centaines de Canadiens.nes ont écrit (au Premier ministre et aux journaux) pour demander que le gouvernement mette fin à l’entente sur « le pays sûr » avec les États-Unis. D’autres demandent que des ressources suffisantes soient affectées à l’examen des demandes d’asile pour que les revendicateurs.trices de ce statut ne passent pas des années dans l’attente.
À la Maison d’Haïti, l’atmosphère est aux solutions. Après avoir traversé toutes les Amériques pour arriver dans cette poche de calme, il n’est littéralement plus possible d’aller beaucoup plus loin ; il n’y a pas d’autre nord où fuir. Mme Derphin pense qu’il : « y a une fin à cette route….Nos vies devraient se passer ici et être protégées. Voilà ! Je ne veux pas traverser cette tempête encore une fois ».
Pour Mme Villefranche c’est le plus important. Et elle pense aux 50,000 Haïtiens.nes visés.es par le Département américain de la sécurité intérieure qui vivent maintenant dans l’expectative. « Nous attendons encore beaucoup de monde » dit-elle. Mais elle espère que ceux et celles qui prévoient traverser la frontière à pied, prendront le temps d’attendre et ne le feront pas en hiver ; c’est trop risqué et il y a encore 20 mois pour le faire : « Venir en hiver est une mauvaise idée. C’est très dur mais nous sommes prêts à les accueillir. Les roulottes sont là. Et la Maison d’Haïti est toujours là ».
Bien sûr, ce ne sont pas tous et toutes dépourvus.es de leur TPS qui se dirigeront vers le Canada. Les craintes étaient que l’obligation de partir soit en janvier 2018 comme J. Kelly l’avait laissé entendre en mai dernier. En ajoutant 18 mois, les espoirs de réussir à obtenir la résidence permanente aux États-Unis d’ici là se sont manifestés. Une proposition de loi bipartisane vise à ce que les détenteurs.trices du TPS depuis 5 ans et plus, puissent être sur la voie de la résidence permanente.
Il est plus probable toutefois que des dizaines de milliers d’Haïtiens.nes qui vivent et travaillent légalement aux États-Unis en ce moment, vont y rester et se faufiler dans les « craques du plancher ». Une avocate de Miami, Mme Patricia Élizée, qui a une clientèle haïtienne, souligne que « tous et toutes ne prendrons pas un bateau pour rentrer au pays. Leur option sera le marché noir (de la main-d’œuvre) ». Beaucoup pourront encore travailler mais en cas de plainte pour mauvais traitements ce sera l’expulsion ou l’incarcération. Voilà une chance pour les prisons privées pour les immigrants.es et les compagnies qui en sont propriétaires qui se réjouissent de l’élection de D. Trump.
Pour beaucoup, le retour au pays est la décision la plus difficile. Le Département de la sécurité intérieure souligne fortement que le tremblement de terre à eut lieu il y a 7 ans et que le TPS est justement temporaire. Mais le tremblement de terre n’est pas la fin (ou le commencement peut-être ?) des nombreuses crises qui s’empilent en Haïti. La corruption et les déficiences de la reconstruction parrainée par des étrangers après le tremblement de terre à introduit le choléra et en plus le pays a été frappé par l’ouragan Mattew l’an dernier. Cette année, quand ont prévoyait qu’Irma allait y déverser des tonnes d’eau, plusieurs ont montré des signes de fatigue face aux désastres. Il se peut que cela devienne la situation la plus courante dans l’avenir, quand les chocs et les crises deviendront si fréquents qu’ils seront une sorte de normalité macabre.
Un habitant de Port-au-Prince a expliqué à un journaliste : « Je pense que nous sommes effarayés.es Nous vivons déjà dans un autre ouragan, l’ouragan Misère. Donc, il faudrait que je renforce ma maison. Avec quoi ? Du bois ? Qui va le payer ? Avec quel argent je vais acheter cela ? Je n’ai même pas un toit digne de ce nom. Si le vent arrivait, je n’aurais que l’espoir pour continuer à vivre ».
Les liens avec le climat
Politiquement, les attaques de l’administration Trump contre le TPS sont déconcertantes. Il n’y avait pas beaucoup de pression pour l’expulsion des Haïtiens.nes et des personnes originaires d’Amérique centrale. Bien des employeurs.es sont frustrés.es par la perte de travailleurs.euses fiables. Selon le syndicat Unite Here, Disney World à lui seul emploie environ 500 Haïtiens.nes protégés.es par le TPS.
Mais, pour les Républicains.es c’est une source de risques politiques : les Haïtiens.nes protégés.es par le TPS ne peuvent pas voter, mais plusieurs de leurs amis.es et des membres de leurs familles le peuvent. Compte tenu que beaucoup vivent en Floride, un État électoralement incertain, (leurs votes deviennent stratégiques). La décision de leur éventuelle expulsion doit être mise en lien avec les résultats électoraux à venir. Parce que cette population s’ajoute aux résidents.es de Porto-Rico dont l’arrivée a beaucoup augmenté récemment, et qui ne sont pas très heureux.euses de la manière avec laquelle les Républicains.es les ont traités.es. Cela pourrait bien se retourner contre leurs candidats.es.
Il faut toutefois voir plus large dans cette situation et il y a des enjeux qui ont peu à voir avec les Haïtiens.nes et les Honduriens.nes mais beaucoup plus avec les changements climatiques. Une des principales raisons pour bénéficier du TPS est que le pays dont ont est originaire soit frappé par un « désastre environnemental ». C’est en ce moment le programme américain le plus efficace pour apporter un minimum de répit aux innombrables personnes dans le monde qui sont, en ce moment même, touchées par les crises liées aux changements climatiques. C’est sans parler de l’avenir. On ne peut pas s’étonner que l’administration Trump se dépêche d’en fermer l’accès. Les désastres environnementaux sont la première raison invoquée par les ressortissants.es des 10 pays couverts par le programme en ce moment.
Ce programme n’a pas été créé pour ces raisons. Il a débuté pour répondre aux déplacements des personnes touchées par les guerres civiles. Mais comme le climat se réchauffe, il est devenu un des premiers moyens par lequel les États-Unis ont offert des droits limités à des milliers de gens dont le pays était frappé par un désastre naturel. Car pour les gouvernements des pays ainsi affligés par des supers tempêtes ou des sécheresses, il ne reste qu’à faire appel à leurs citoyens.nes vivant aux États-Unis, bénéficiant du TPS ou de programmes équivalents dans d’autres pays, (pour un support financier).
Jane McAdam, directrice du Kaldor Center for International Refugee Law à l’Université de New South Wales, (Angleterre), ma décrit ainsi la situation : « Le TPS est le programme le plus solide, même le seul mécanisme en vigueur » pour les migrants.es chassés.es de leur foyer à cause des changements climatiques. « Il donne minimalement une sorte de protection temporaire ». C’est ce qui a poussé plusieurs chercheurs.es à penser que son importance va augmenter au fur et à mesure de l’accélération des changements climatiques.
Bien sûr, tous les désastres qui ont justifié cette protection ne sont pas liés aux modifications du climat. Les tremblements de terre en Haïti et au Népal ne le sont pas. Mais d’autres, tels que les ouragans, les grandes inondations et les sécheresses sont précisément le genre d’événements climatiques extrêmes qui le sont et qui sont aussi de plus en plus fréquents et sévères avec le réchauffement.
La directive de l’administration Trump vise aussi les Honduriens.nes et les personnes originaires du Nicaragua. Leur arrivée et leur protection grâce au TPS, est liée à l’ouragan Mitch. Au point de départ, la protection temporaire à été accordée aux Somaliens.nes à cause d’un conflit armé. Mais l’administration Obama l’avait prolongée à cause des « inondations étendues et de la sécheresse sévère » qui affectaient leur sécurité alimentaire et en eau. De même pour le Yémen. Au point de départ c’est le conflit armé qui a justifié l’application du TPS à ses ressortissants.es. Mais plus récemment, lors des renouvellements, les cyclones et les pluies diluviennes ont été ajoutés à ces justifications parce qu’ils « causent des pertes de vies, des blessures, des inondations, des glissements de terrain, des dommages aux infrastructures, des disettes, des pénuries d’eau, de matériel médical et de pétrole ».
Ce programme qui permet à certaines catégories de migrants.es venant de ces pays, de vivre et travailler aux États-Unis, est une reconnaissance dans les faits, que des droits humains à la sécurité leurs sont reconnus lors de crises environnementales. Mais il s’agit d’un outil terriblement limité. Même pour le petit nombre qui réussit à satisfaire à toutes ses exigences, il ne constitue toujours qu’un passeport pour une éternelle insécurité. Les bénéficiaires doivent en demander le renouvellement tous les 6 à 18 mois, payer environ 500$ à chaque fois et par définition, le programmes n’est toujours que temporaire.
Il est aussi arbitraire. On a refusé de mettre sur la liste bien des pays frappés par de grands désastres. Et en plus il n’est conçu que pour des désastres majeurs et soudains. Les impacts du climat qui s’avancent à pas lents, comme la désertification, la montée des mers et l’érosion des sols ne sont pas considérés. En plus, il prévoit que les bénéficiaires pourrons tous et toutes rentrer chez-eux lorsque le désastre sera terminé comme le souligne M. Koko Wagner, expert des migrations internationales aux Nations Unies : « C’est une présomption irréaliste en ces temps où les iles disparaissent (laissant leur population sans pays) et où les rivages ne cessent de reculer ».
En dehors de tous ces avertissements, les attaques de D. Trump contre le TPS sont d’autant plus graves qu’il n’existe rien d’autre, sinon des mesures discrétionnaires, pour ceux et celles qui sont coincés.es aux États-Unis. La Convention des Nations Unies de 1951 sur les les réfugiés, ne considère pas les désastres environnementaux ou les changements climatiques comme raisons de revendication du statut. Il doit y avoir des risques de persécution.
La nécessité de combler ces « trous » dans les lois internationales surgit chaque fois que les gouvernements se réunissent pour discuter des enjeux liés aux dérangements du climat. C’est encore ce qui s’est produit récemment, au Sommet sur le climat à Bonn en Allemagne. Plusieurs ont plaidé pour que des amendements soient introduits à la Convention. Mais la solution n’est peut-être pas aussi simple. Nous vivons un moment où bien des gouvernements de pays riches cherchent à fermer leurs frontières. Ouvrir la Convention sur les réfugiés.es pour y inclure les migrants.es en raison du climat est voué à l’échec. Le résultat ne pourrait qu’être encore plus faible que les ententes que nous avons en ce moment.
Donc, il ne reste que le TPS. C’est pourquoi l’administration Trump se dépêche de l’attaquer. Même ce faible moyen est en danger. Ce sont les ressortissants.es des pays d’Amérique centrale, d’Haïti, du Soudan et sans doute d’autres, qui en feront les frais. Il faut le voir dans un contexte d’actions qui amplifient la crise climatique par le soutient de l’industrie des énergies fossiles comme jamais et l’élimination des programmes visant à faire face aux impacts du réchauffement.
Il n’y a donc pas que l’antipathie de l’entourage de D. Trump envers les immigrants.es d’autre couleur que blanc, qui soit en cause. Nous assistons à une adaptation brutale aux changements climatiques. Pour une logique simple : cette administration sait très bien que de plus en plus de personnes deviendront admissibles au TPS dans le futur. Il n’y a qu’à voir les désastres records de l’été dernier : les inondations du Sud est asiatiques et du Nigéria, l’évacuation des Barbades et l’exode des Porto-ricains.es. Même si, publiquement il nie ou non les preuves scientifiques, l’entourage de D. Trump est bien au courant que dans l’avenir de plus en plus de gens devront se déplacer. Et si les mesures d’humanité valent pour un désastre naturel (comme pour le terrible tremblement de terre d’Haïti et les ouragans qui s’y sont succédés) pourquoi pas pour un autre ? De leur point de vue et du fameux « America First », ce programme est simplement un précédent dangereux.
Comme seul programme américain qui accorde des droits aux immigrants.es poussés.es hors de leur pays par des désastres climatiques, il doit être vu comme un test ultime par les pays les plus riches, historiquement les plus grand émetteurs de gaz à effet de serre, qui provoqueront les prochaines vagues de réfugiés.es climatiques.
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