Mauvaise nouvelle 1 : Les scientifiques nous l’avaient bien dit,.. il y a 25 ans
En 1992, fait totalement inédit, les 1 500 plus grands scientifiques mondiaux, dont une centaine de prix Nobel, sortaient de leur traditionnelle réserve et prenaient leur plume pour avertir le monde de ce qui se profilait à l’horizon : « Pour éviter de grandes misères humaines et empêcher la mutilation irréversible de notre planète, il nous faut opérer un changement profond dans notre gestion de la Terre et de la vie qu’elle recèle », écrivaient-ils dans une tribune historique, publiée à l’issue du Sommet de la Terre de Rio.
Ils listaient, les uns après les autres, les « graves dommages […] à l’environnement et aux ressources précieuses » causés par l’homme et la surpopulation : diminution de la couche d’ozone, pollution de l’atmosphère et des océans, raréfaction de l’eau douce, surpêche, appauvrissement des sols par l’agriculture intensive, destruction des forêts ou encore extinctions d’espèces.
L’excès de CO2 émis dans l’atmosphère par la combustion des énergies fossiles « pourrait fort bien modifier le climat à l’échelle de la planète. Les prédictions concernant le réchauffement du globe sont encore incertaines, les conséquences envisagées variant de tolérables à extrêmement graves, mais les risques sont énormes », prévenaient-ils, convaincus que « nous approch[i]ons de plus en plus près des limites de la Terre ».
Malheureusement, 25 ans plus tard, cette « Alerte des scientifiques du monde à l’Humanité » n’est plus qu’un souvenir flou et soigneusement enterré. À tel point qu’en novembre dernier, un nouveau coup de tonnerre a tenté de réveiller les consciences endormies. Ce ne sont plus 1 500, mais 15 000 scientifiques, une mobilisation d’une ampleur sans précédent, qui se sont ligués pour ameuter l’humanité. En neuf graphiques épurés – sur l’état des forêts, l’abondance des vertébrés ou encore les émissions de CO2 –, les chercheurs inquiets ont montré que depuis la mise en garde de 1992, la seule amélioration concernait la stabilisation de l’amincissement de la couche d’ozone.
Pour le reste, concluent-ils tristement, « non seulement l’humanité a échoué à accomplir des progrès suffisants pour résoudre ces défis environnementaux annoncés, mais il est très inquiétant de constater que la plupart d’entre eux se sont considérablement aggravés. Particulièrement troublante est la trajectoire actuelle d’un changement climatique potentiellement catastrophique, dû à l’augmentation du volume de gaz à effet de serre (GES) dégagés par la combustion d’énergies fossiles, la déforestation et la production agricole – notamment les émissions dégagées par l’élevage des ruminants de boucherie. Nous avons en outre déclenché un phénomène d’extinction de masse, le sixième en 540 millions d’années environ, au terme duquel de nombreuses formes de vie pourraient disparaître totalement […] d’ici à la fin du siècle ».
Conclusion : « Le temps presse. » Nous n’avons plus le choix. Nous disparaîtrons nous aussi d’ici peu si nous refusons « de modérer notre consommation matérielle intense », symptôme « d’une économie fondée sur la croissance », et « de prendre conscience que la croissance démographique rapide et continue est l’un des principaux facteurs des menaces environnementales et même sociétales ».
Mauvaise nouvelle #2 Les émissions de gaz à effet de serre sont reparties à la hausse
En dépit des alertes des scientifiques et alors que beaucoup espéraient que le monde ait enfin atteint son « pic d’émissions », une nouvelle est venue atomiser cet espoir le 13 novembre 2017. Le Global Carbon Project a alors annoncé que, selon ses calculs, les émissions de dioxyde de carbone étaient reparties à la hausse, après trois années de quasi-stabilité.
Si certains États comme le Japon, le Royaume-Uni, le Mexique ou les États-Unis ont réduit leurs rejets liés à la combustion des énergies fossiles, la Chine, premier émetteur mondial de CO2 avec plus du quart des rejets, a contribué à cette hausse, en raison notamment du boom de sa production industrielle. Pékin a beau être devenue la championne des panneaux photovoltaïques, il lui faudra des décennies pour réduire son usage du charbon et atteindre une production électrique significative issue des énergies renouvelables.
En matière de mauvaises nouvelles, Jean Jouzel, l’ancien vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), confie à Mediapart avoir été marqué par le rapport publié le lendemain par l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Selon le scénario de l’AIE, qui se fonde sur les politiques actuelles et les intentions affichées par les différents pays, les émissions de CO2 liées à l’énergie continueront à augmenter légèrement jusqu’en 2040. « Ce n’est clairement pas une bonne nouvelle », commente le climatologue.
Certes, les politiques ont leur part de responsabilité, mais, pointe-t-il, « c’est aussi au niveau du comportement de chacun. C’est chacun d’entre nous qui émet des gaz à effet de serre (GES) ». Par le tourisme par exemple, qui « prend de plus en plus d’importance et auquel chacun d’entre nous participe ». Le développement exponentiel des compagnies aériennes low cost notamment est très dommageable au réchauffement climatique.
Dans un article publié en mai dans Nature, des chercheurs ont mis en évidence « qu’entre 2009 et 2013, l’empreinte carbone du tourisme au niveau mondial avait augmenté de 3,9 à 4,5 gigatonnes d’équivalent CO2, soit quatre fois plus qu’initialement prévu, représentant désormais 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre ». Des efforts ont beau avoir été faits pour décarboner l’industrie touristique, ils ne suffisent guère face à la croissance rapide de la demande. Les scientifiques prévoient ainsi que, dans les années qui viennent, le tourisme va constituer une part de plus en plus grande des émissions de GES.
Ce regain des émissions, intimement lié à la croissance mondiale, n’a rien de mystérieux, explique Matthieu Auzanneau, directeur du Carbon Shift Project, qui milite pour une énergie décarbonée, car, en dépit des promesses, « la transition énergétique n’a nullement commencé ». Depuis 20 ans, la portion de la production électrique mondiale à partir de charbon tourne toujours peu ou prou autour de 40 %. Et sur cette même période, la production d’électricité a littéralement explosé.
Bilan des courses : selon Matthieu Auzanneau : « À ce jour, le découplage, supposé possible, entre croissance économique et consommation d’énergie est un vœu pieux. » Et si certains pays occidentaux affichent une baisse de leurs émissions, c’est en réalité qu’ils ont déporté leurs industries énergivores – acier, textile, pétrochimie… – à l’autre bout de la planète, essentiellement en Chine. Prenons la France, entre 1997 et 2017, elle a réduit ses émissions de CO2 de 10 % sur le territoire national. Mais, éclaire-t-il, ces émissions ont au contraire bondi d’un quart, si l’on prend également en compte les émissions induites à l’étranger par nos importations.
C’est donc sans surprise que, le 17 avril, l’observatoire hawaïen de Mauna Loa a enregistré un record des plus déprimants : une concentration de CO2 dans l’atmosphère dépassant les 410 ppm, un chiffre jamais atteint depuis… plusieurs millions d’années. La quantité de dioxyde de carbone dans l’atmosphère est exprimée en parties par million ou ppm : il s’agit du nombre de molécules de CO2 dans un volume contenant 1 million de molécules. Et le lien est aujourd’hui clairement établi entre cette concentration et le réchauffement climatique.
Avant que les cheminées industrielles ne commencent à cracher leurs fumées noires dans les ciels de Londres ou du Creusot, ce taux s’établissait à 280 ppm. En 1958, ce taux avait déjà bondi à 315 ppm, et en 1988 à 350 ppm. Si l’on remet nos graphiques à l’heure, cela signifie donc que 85 % du CO2 qui sature aujourd’hui notre atmosphère a été émis depuis la Seconde Guerre mondiale, et la moitié durant les 30 dernières années. En d’autres termes, depuis que des scientifiques renommés alertent les autorités mondiales sur la menace climatique qui nous pend au nez.
Si durant les deux prochaines décennies, les sociétés industrialisées continuent à faire la sourde oreille et à brûler au même rythme charbon, gaz et pétrole, « le CO2 dépassera probablement les 450 ppm dès 2038 », prévient Pieter Tans, l’un des scientifiques de la NOAA, le Service météorologique américain.
D’accord, pourquoi pas. Mais 450 ppm, qu’est-ce que cela veut dire au juste ? Eh bien, cela veut dire que la température moyenne globale aura grimpé de 2 °C par rapport à la fin du XIXe siècle. Sachant, quitte à risquer la lapalissade, qu’une température moyenne à 2 °C, c’est une moyenne concoctée avec des relevés réalisés à différents endroits (Bahreïn ou Megève par exemple) et à différents moments (au cœur de l’hiver ou dans la fournaise de l’été). Ce qui signifie qu’à certains endroits, et à certains moments de l’année, ce réchauffement sera beaucoup plus important : de +4 °C, +6 °C, et pourquoi pas +10 °C… Sachant, encore une fois, que le problème n’est pas de savoir si l’on pourrait supporter de telles températures, comme on le ferait quelques minutes dans un sauna ou un hammam, mais si l’on pourrait y vivre, voir y dormir, dans ce sauna ou ce hammam.
Si l’on veut rester sous cette « hausse moyenne » des 2 °C, l’objectif fixé fin 2015 par l’Accord de Paris, « il ne faudrait plus du tout d’émissions nettes de CO2 à l’horizon 2050 », résume Matthieu Auzanneau. « Si on s’y met dès maintenant, cela implique une réduction des émissions de CO2 de 5 % par an. Or, une telle réduction n’a jamais été atteinte en dehors des périodes de guerre ou de récession économique grave. Si on tarde et qu’on attend dix ans pour s’y mettre, alors il faudra une réduction de 10 % par an. Un chiffre inconcevable. » En d’autres termes, « c’est maintenant ou jamais ».
Or une étude montre d’ores et déjà que les réductions d’émissions de GES auxquelles se sont engagés les États fin 2015 à la suite de l’Accord de Paris aboutiront à une montée de 3 °C à la fin du siècle. Et +3 °C, ce n’est pas rien. Ce n’est pas juste un coup de soleil, mais plutôt un détraquement climatique majeur, avec sa cohorte d’inondations, de vagues de chaleur, de hausse du niveau des mers ou d’extinction d’espèces.
Mauvaise nouvelle #3 La température mondiale grimpe et les événements extrêmes se multiplient
La douceur particulière de l’hiver et les pics de chaleurs enregistrés cet été de Brest à Nice, en passant par Paris, attestent d’un climat qui se réchauffe. Dans l’Hexagone, le mois de janvier 2018 a été le plus chaud depuis 1900. Au niveau mondial, si l’on en croit la température moyenne globale – relevée à un mètre des sols et à la surface des océans –, les trois dernières années, 2015, 2016 et 2017, sont les plus chaudes jamais enregistrées depuis les premiers relevés de température à la fin du XIXe siècle. « C’est toujours 2016 qui se trouve en tête de liste », recense l’Organisation météorologique mondiale (OMM).
Cela étant dit, 2017 décroche la palme « de l’année sans Niño la plus chaude jamais constatée ». Le phénomène océanique El Niño, qui affecte tous les trois à sept ans le régime des vents, la température de la mer et les précipitations, est « connu pour pousser à la hausse la moyenne mondiale des températures », contrairement à La Niña, un phénomène qui a pour effet opposé de refroidir le climat.
La difficulté en matière de climat est d’imputer – ou d’« attribuer » comme le disent les scientifiques – un événement extrême au changement climatique. Dans une étude publiée fin juillet, le World Weather Attribution (WWA), qui regroupe des chercheurs de plusieurs laboratoires internationaux, s’est justement penché sur les vagues de chaleur qui traversent l’Europe du Nord cet été. Pour eux, l’attribution ne fait aucun doute, et il est clair que la probabilité de ces épisodes « est deux fois plus élevée aujourd’hui que si les activités humaines n’avaient pas altéré le climat ». Aux Pays-Bas, ils seraient même cinq fois plus courants. Et, avertissent les scientifiques, « avec des températures moyennes mondiales qui continuent à augmenter, de telles vagues de chaleur vont devenir de moins en moins exceptionnelles ».
Le réchauffement climatique s’accompagne d’une plus grande variabilité du climat. Ouragans, moussons, inondations, feux de forêts, sécheresses, vagues de chaleur : ce que les climatologues appellent les événements extrêmes a existé de tout temps, mais le changement climatique représente un facteur aggravant pour la plupart de ces aléas. Il rend par exemple les vagues de chaleur plus longues et plus caniculaires, les précipitations et les cyclones plus intenses, ou les feux de forêt plus fréquents.
Selon le rapport publié le 22 mars par le Conseil des Académies des sciences européennes (EASAC), en 36 ans, ces aléas climatiques ont vu croître tant leur fréquence que leur coût économique. Le nombre d’événements extrêmes aurait ainsi plus que doublé entre 1980 et 2016. Les crues et les inondations notamment auraient été multipliées par quatre. Quant aux pertes économiques, elles auraient gonflé tout autant : ainsi les orages auraient occasionné quelque 10 milliards de dollars de dégâts aux États-Unis en 1980, contre le double en 2015.
Les événements extrêmes ont d’ailleurs profondément marqué l’année écoulée, avec en tête des records l’été 2017. En Europe, des sécheresses et des incendies de forêt sans précédents ont frappé l’Espagne et le Portugal ; le Népal, le Bangladesh et l’Inde ont connu leurs moussons les plus violentes des 20 dernières années, faisant plus de 1 200 morts, tandis que les États-Unis ont essuyé les pires catastrophes, au moment même où Donald Trump décidait de se retirer de l’Accord de Paris sur le climat : la Californie a ainsi vu ses forêts se consumer comme jamais en 80 ans, une vague de froid inédite avec des pics à −40 °C a saisi la frange septentrionale du pays et, dans une séquence inédite, trois ouragans infernaux, Harvey, Irma puis Maria, ont tout dévasté sur leur passage, avec un bilan humain important et des dégâts matériels estimés à plus de 300 milliards de dollars.
Depuis quelques semaines, c’est l’Europe du Nord qui subit de plein fouet les effets de ce dérèglement : ainsi, la Scandinavie fait face à des feux de forêts particulièrement violents. En Suède, des dizaines de milliers d’hectares sont partis en fumée. Du jamais vu au cours de la dernière décennie. Ces incendies sont dus à la combinaison d’une sécheresse record et de températures historiquement hautes au cercle polaire. En Laponie, il y a quelques jours, le thermomètre a ainsi atteint 33 °C !
Mauvaise nouvelle #4 Les migrants climatiques vont continuer à augmenter
Qui dit températures trop élevées, terres inondées et sols incultivables dit planète inhabitable. Cette dégradation des milieux de vie pousse chaque année des milliers de personnes sur les routes de l’exil. Nihil novi sub sole. Ce qui est nouveau, pointe néanmoins François Gemenne, directeur de l’Observatoire HUGO, qui étudie à Liège les relations entre migrants et environnement, c’est que pour la première fois, deux études ont « quantifié ces migrations avec une vraie méthodologie, alors que depuis 20 ans, on était sur des chiffres au doigt mouillé ».
La première étude publiée en décembre dans Science évalue l’impact du réchauffement climatique sur les migrants voulant gagner l’Union européenne. Les deux chercheurs américains auteurs de l’enquête estiment que les demandes d’asile en Europe augmenteront de 28 % d’ici la fin du siècle dans un scénario de réchauffement autour de 2 °C, tandis qu’elles tripleraient (+188 %) avec un réchauffement de l’ordre de 4 °C.
Publiée au mois de mars par la Banque mondiale, la seconde étude cible les déplacés internes dans trois zones durement affectées par le changement climatique : l’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud et l’Amérique latine. L’institut international conclut qu’« à moins que des actions urgentes liées au développement et la protection du climat ne soient prises aux niveaux mondial et national, ces trois grandes régions pourraient avoir à gérer des dizaines de millions de migrants climatiques internes d’ici à 2050 ».
La Banque mondiale évoque, dans le pire des scénarios, 143 millions de déplacés environnementaux, soit près de 3 % des habitants de ces régions. Pour mémoire, dans ses dernières estimations, le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) chiffrait à 40 millions le nombre de personnes déracinées en 2017 au sein de leur propre pays, toutes causes confondues (climat, guerre civile…).
Une troisième étude, dévoilée en mars à Medellín, à l’occasion de la réunion de l’IPBES – le « GIEC de la biodiversité » –, a quant à elle mis l’accent sur le rôle des sols dans ces migrations massives. Selon la centaine de chercheurs à l’origine de cette enquête, ce sont surtout la dégradation des sols et la raréfaction des terres cultivables qui vont contraindre les gens à l’exode. D’après eux, dans les 30 prochaines années, cet appauvrissement des sols, « conjugué aux problèmes de changement climatique, qui y sont étroitement liés, va contraindre 50 à 700 millions de personnes à migrer ».
Ces chiffres montrent que les questions environnementales et climatiques sont en train de devenir le premier facteur de déplacement dans le monde. Pour François Gemenne, ils représentent « une avancée utile pour les politiques publiques ». La France pourrait-elle s’en saisir ? Probablement. Seulement, à ce jour, observe le chercheur, force est de constater que « la politique migratoire française est une politique uniquement idéologique, découplée de toute recherche scientifique ».
Le Pentagone, lui, a depuis bien longtemps pris la mesure du phénomène, il est d’ailleurs, selon le chercheur belge, « la dernière force politique dans le monde à financer de la recherche sur le changement climatique ». Mais les assauts répétés du premier climatosceptique mondial, Donald Trump, pourraient changer la donne. Bien que le ministre américain de la défense Jim Mattis ait réaffirmé il y a un an que « les effets du changement climatique, notamment un accès maritime plus facile à l’Arctique, la hausse du niveau des océans et la désertification, affect[ai]ent [la] sécurité » américaine, il n’a pu s’opposer en janvier à ce que le climat disparaisse de la nouvelle stratégie de défense des États-Unis.
Mauvaise nouvelle #5 Le rythme de fonte de l’Antarctique s’accélère
Pendant longtemps, les glaciologues ont cru qu’en Antarctique, les précipitations neigeuses compensaient le vêlage, qui consiste pour d’énormes masses de glace à se détacher de leur glacier et à devenir des icebergs. Mais deux technologies satellitaires – l’altimétrie en 1993, puis la gravimétrie en 2002 – ont permis de mieux caractériser l’épaisseur des calottes polaires et de constater que l’Antarctique était bel en bien en train de perdre de la masse, tout comme le Groenland.
Une étude toute récente, publiée le 13 juin dans Nature, a permis d’avoir une idée de l’ampleur de cette fonte. Les nouvelles étaient, encore une fois, mauvaises. Selon les plus de 80 scientifiques de l’équipe IMBIE qui ont cosigné cette analyse, l’Antarctique a perdu près de 3 000 milliards de tonnes de glace entre 1992 et 2017, un chiffre si extravagant qu’il est quasi impossible à un être humain de s’imaginer ce que cela représente.
Ce qui est plus accessible, et par conséquent plus inquiétant, c’est que cette fonte s’est accélérée de manière extraordinaire : 40 % a eu lieu sur les cinq dernières années, entre 2012 et 2017. Le rythme a triplé. Lors de sa dernière étude, publiée en 2012, l’équipe IMBIE, avait conclu que la fonte de l’Antarctique contribuait chaque année à une hausse de 0,2 mm du niveau marin. Mais les nouveaux calculs réalisés sur la période 2012-2017 concluent désormais à une contribution de 0,6 mm par an.
D’après les chercheurs, la fonte du continent antarctique sera responsable d’une montée des eaux de 15 cm supplémentaire d’ici à 2100. Dans ses pires scénarios, le GIEC table sur une hausse d’un mètre du niveau marin à la fin du siècle, une élévation alimentée à 40 % par la dilatation de l’océan – avec la chaleur, les molécules d’eau s’agitent et occupent un volume plus important –, à 20 % par la fonte des glaciers, à 25 % par celle du Groenland et à 15 % par celle de l’Antarctique. S’il fondait totalement, le Groenland entraînerait une montée de 7 mètres du niveau des mers, tandis que l’Antarctique, qui est huit fois plus étendu, équivaudrait à une hausse de plus de 70 mètres.
Alors qu’on pensait que la hausse du niveau des océans était constante depuis plusieurs décennies, on a compris récemment que cette montée s’était en fait accélérée ces dernières années : selon des recherches publiées il y a un an dans Nature Climate Change, les océans auraient ainsi gagné 3,3 mm en 2014, alors que 20 ans plus tôt, le rythme n’était que de 2,2 mm par an.
Mauvaise nouvelle #6 Les courants océaniques se sont affaiblis
Si je vous parle de l’AMOC, vous risquez fort de faire les gros yeux et de vite passer à la section suivante. En revanche, si je vous dis Gulf Stream, vous revenez en terrain connu, non ? Le Gulf Stream, c’est ce courant marin chaud dont tous les enfants de France ont un jour entendu parler à l’école et dont on leur a appris qu’il contribuait au climat tempéré d’Europe de l’Ouest.
Eh bien ce courant régulateur, qui est notre ami depuis plusieurs millions d’années, est dans une mauvaise passe. Il commence à ralentir sérieusement. Les chercheurs s’y attendaient depuis des décennies, mais depuis le mois d’avril, le constat a enfin rejoint les prévisions. Deux études parues dans Nature ont révélé que les courants océaniques de l’Atlantique Nord, dont fait partie le Gulf Stream, s’étaient affaiblis de 15 %.
Ce système – dénommé circulation thermohaline ou encore AMOC (pour « circulation méridienne de retournement de l’Atlantique ») – est une des composantes essentielles du climat terrestre. Il fonctionne comme un gigantesque tapis roulant : l’eau de surface est plus chaude à l’équateur qu’aux pôles. Ce contraste cause le départ des eaux chaudes de surface de l’Atlantique des tropiques vers le pôle Nord. Là, elles se refroidissent. L’eau froide étant plus dense que l’eau chaude, elle plonge en profondeur. Le courant ainsi formé retourne alors vers le sud, où il se réchauffe et remonte en surface.
À cause du dérèglement climatique, les précipitations neigeuses s’accroissent au pôle Nord, tandis que la fonte des glaces de l’Arctique s’accentue. Depuis plusieurs dizaines d’années, ces deux phénomènes libèrent des quantités supplémentaires d’eau douce dans l’Atlantique Nord. Or celle-ci est moins dense que l’eau salée, ce qui grippe le tapis roulant : l’eau n’est plus assez lourde pour plonger dans les profondeurs et regagner les latitudes plus au sud.
L’océan est un remarquable puits de carbone, puisqu’il absorbe un tiers du CO2 émis par l’homme. Et le mécanisme des courants océaniques contribue à cette absorption et à ce stockage du carbone atmosphérique. Donc, si la vitesse de ce tapis roulant se réduit, automatiquement, la vitesse d’absorption du CO2 sera réduite d’autant et le réchauffement climatique encore amplifié…
Les deux études publiées dans Nature s’accordent sur le ralentissement de l’AMOC et sur sa cause : le réchauffement des eaux de surface. En revanche, elles analysent différemment ce déclin.
Pour la première étude, le courant océanique n’a jamais été aussi faible depuis au moins 1 600 ans : cet affaiblissement aurait débuté vers 1850, à cause de l’afflux d’eau douce provenant de la fonte des glaces de l’Arctique à la fin du Petit âge glaciaire (une période froide survenue entre le début du XVe siècle et la moitié du XIXe siècle). Les auteurs de la seconde étude, qui ont utilisé une méthode différente, situent eux les prémices de ce déclin à la moitié du XXe siècle. Pour eux, c’est bien le changement climatique induit par les activités humaines qui est à l’origine de cette altération de la circulation thermohaline.
Les inconnues restent donc importantes, admet Nature dans son éditorial de l’époque. « Cela frustrera probablement ceux qui attendent de la science qu’elle leur envoie un signal clair. Mais c’est ainsi, la science est rarement si obligeante. Est-ce que la responsabilité du changement climatique et celle de la variabilité naturelle de l’AMOC peuvent être clairement dissociées ? Et si la circulation océanique est sensible au changement climatique, comme c’est hautement probable, est-ce que les courants réagiront abruptement, et peut-être violemment, une fois atteint un certain seuil, ou la transition sera-t-elle progressive ? »
Concrètement, un ralentissement sévère, voire un arrêt pur et simple de ce tapis roulant océanique, pourrait avoir des impacts énormes sur le climat européen : sur la trajectoire des tempêtes, la distribution des précipitations ou encore la fréquence des vagues de froid ou de chaleur.
Selon le Woods Hole Oceanographic Institution, « si le système continue à faiblir, cela pourrait perturber les conditions météorologiques depuis les États-unis et l’Europe jusqu’au Sahel, et provoquer une hausse plus rapide du niveau des mers sur la côte est des États-Unis. » Autre conséquence : les eaux de surface qui plongent en profondeur grâce au système de l’AMOC sont riches en oxygène, elles ont donc pour effet de ventiler l’océan profond. Les organismes vivant en profondeur pourraient donc être affectés, avec des incidences sur la distribution du plancton, des poissons et des oiseaux de mer.
Mauvaise nouvelle #7 La biodiversité marine menacée par des océans plus acides et moins oxygénés
C’est l’occasion de refaire un point sur deux autres phénomènes préoccupants qui impactent la biodiversité marine : l’acidification des océans et sa désoxygénation. L’augmentation du CO2 dans l’atmosphère est la principale cause du réchauffement climatique en cours, cela, tout le monde l’a compris. Mais elle est aussi responsable d’un processus moins connu, parfois surnommé « le jumeau diabolique » du changement climatique : l’acidification des océans.
Les océans absorbent en effet 25 % des gaz à effet de serre émis par l’homme. En chimie, l’acidité est mesurée par le potentiel hydrogène ou pH : plus il est bas, plus l’acidité est élevée. Or depuis la Révolution industrielle, le pH de l’eau de mer en surface est passé de 8,2 à 8,1. Cette réduction d’un dixième peut sembler marginale, mais elle correspond en réalité à une augmentation de 30 % de l’acidité. Selon le GIEC, d’ici à 2100, cette valeur devrait continuer à diminuer de 0,1 à 0,4 point, selon que l’homme se décide ou non à réduire ses émissions de CO2.
Or cette acidification a d’ores et déjà des effets sur la vie marine, notamment sur les coraux, les mollusques ou le phytoplancton. En effet, ces derniers utilisent le carbone présent dans l’océan pour former leur coquille ou leur squelette, mais plus l’acidité augmente, plus ils peinent à se calcifier. Une eau acide agit comme un produit corrosif qui les fragilise.
Une étude publiée en novembre 2017 par le réseau allemand BIOACID, composé de quelque 250 chercheurs, a conclu, à l’issue de huit ans de travaux, que cette acidification avait un impact fort sur la vie marine. « Puisque cette acidification de l’océan arrive extrêmement rapidement, comparée aux processus naturels, seuls les organismes avec des courts cycles de vie, tels que les micro-organismes, peuvent tenir le choc », ont constaté les auteurs. En d’autres termes, les beaux jours des poissons – et des humains qui les pêchent – sont comptés.
Si l’excès de CO2 est un problème, le manque d’oxygène en est un autre. Il entraîne l’apparition de déserts marins ou, en anglais, de dead zones. Cette fois, c’est un groupe de travail international, le Global Ocean Oxygen Network (GO2NE), mis en place en 2016 par l’UNESCO, qui a pris son plus beau porte-voix pour annoncer la chute drastique de la teneur en oxygène dans les océans « Au cours des 50 dernières années, résume le CNRS dont une océanologue, Véronique Garçon, a participé aux travaux, la proportion de zones de haute mer dépourvues de tout oxygène a plus que quadruplé. Quant aux sites à faible teneur en oxygène situés près des côtes, y compris les estuaires et les mers, ils ont été multipliés par 10 depuis 1950. »
La problématique diffère selon la localisation. Sur les côtes et dans les estuaires, le milieu aquatique est déséquilibré par la pollution, plus précisément par les apports en azote et en phosphore venant de l’agriculture, des eaux usées et des rejets industriels. Cet enrichissement en éléments nutritifs favorise la prolifération des algues. Des bactéries se développent alors pour décomposer cette matière organique excessive. En respirant, ces bactéries consomment de l’oxygène et en font chuter la teneur dans l’océan.
Pour survivre, les poissons se rassemblent alors dans les eaux de surface, plus oxygénées. Leur habitat se réduit et ils se retrouvent plus exposés aux prédateurs et à la pêche. L’une des dead zones les plus connues se situe dans le golfe du Mexique, au large du Mississipi : la teneur en oxygène est si basse que des animaux y meurent asphyxiés. En haute mer, c’est le changement climatique qui est le principal responsable de cette raréfaction de l’oxygène. En effet, plus la mer se réchauffe, moins elle retient l’oxygène. Par ailleurs, le réchauffement des eaux de surface empêche l’oxygène d’atteindre les profondeurs.
Les coraux vont être affectés, les espèces de poissons vont migrer ou tout simplement disparaître, mettent en garde les membres du GO2NE, qui estiment que « la survie de l’humanité est en jeu ». Si les dead zones inquiètent, les zones hypoxiques, à faible taux d’oxygène, sont tout aussi préoccupantes, ajoutent-ils. Car « même de plus petites baisses en oxygène peuvent freiner la croissance des espèces, entraver leur reproduction et entraîner des maladies, voire la mort. Le changement des teneurs en oxygène peut aussi déclencher le rejet de substances chimiques dangereuses telles que le protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre jusqu’à 300 fois plus puissant que le dioxyde de carbone, et le sulfure d’hydrogène toxique ».
Que ce soit en mer ou sur terre, on ne peut pas dire que les 12 derniers mois aient charrié leur lot d’excellentes nouvelles concernant la faune et la flore. Plusieurs études ont confirmé que la sixième extinction des espèces était bien en marche. C’est la première depuis la disparition des dinosaures il y a 65 millions d’années et la sixième en 540 millions d’années.
« Il y a toujours eu des extinctions, mais en ce moment, il y a 100 à 1 000 fois plus d’extinctions d’espèces que dans une ère géologique “normale” », relève Franck Courchamp, chercheur en écologie à l’université Paris-Sud. « La plupart des espèces vont être affectées. Or elles sont liées à d’autres espèces et vont ainsi perdre certains de leurs alliés obligatoires » à la survie des écosystèmes : « Le pollinisateur va perdre sa plante, ou la plante va perdre son pollinisateur, ce qui risque d’entraîner encore plus d’extinctions. »
Dans une étude surprenante parue en avril dernier dans PLOS Biology, le scientifique français s’est penché avec plusieurs de ses collègues sur le cas des animaux stars. Pour la plupart menacées d’extinction dans les 10 à 50 prochaines années, ces espèces charismatiques comme le lion, le tigre, l’ours blanc ou l’éléphant ne sont souvent pas perçues comme telles par le public. Paradoxalement, à force de les voir partout virtuellement – jusqu’à une trentaine de fois par jour ! – au cinéma, dans la publicité, sur les vêtements, les jouets… le public finit par occulter leur rareté.
Sur le journal en ligne du CNRS, le biologiste prend pour exemple le résultat frappant de la girafe. « Chaque année, recense-t-il, il est vendu plus de jouets “Sophie la Girafe” qu’il n’y a de bébés qui naissent (plus de 700 000 en 2016) ; et évidemment bien plus que de girafes vivantes sur Terre ». D’après l’étude, « le public ne semble pas savoir […] que la girafe masaï a perdu 97 % de ses effectifs en quelque 35 années, ce qui est quasiment un génocide lorsqu’on parle d’une espèce et de ses gènes ».
Par ailleurs, « le public interrogé ignorait que les lions pourraient disparaître dans 20 ans si rien n’était fait. C’était un résultat que je trouvais assez probant, surtout pour des espèces qui sont les préférées du public. Car si nous n’arrivons pas à sauver le lion, le roi des animaux et l’espèce emblématique que l’on retrouve sur tous les blasons, tous les drapeaux, tous les logos sportifs, quel espoir avons-nous de sauver un papillon des forêts tropicales d’Amérique du Sud que personne n’a jamais vu ? ».
Illustration avec le rhinocéros blanc du Nord. Personne n’a pu échapper en mars à la mort du dernier mâle, une disparition qui a scellé à jamais le destin de cette sous-espèce de mammifères au nez corné. Mais cette extinction fracassante a tendance à occulter le déclin massif d’un grand nombre d’espèces bien plus communes qui, lui, se poursuit à bas bruit et s’avère catastrophique. Ce déclin n’est pourtant que le « prélude » à l’extinction de masse, ont alerté l’été dernier des chercheurs américains et mexicains, selon lesquels « pas moins de 50 % du nombre d’animaux qui un jour ont partagé la Terre avec nous a déjà disparu ».
Aux fins de cette étude parue dans les Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA (PNAS), ces scientifiques ont étudié les populations de 27 600 espèces d’animaux vertébrés, soit environ la moitié des espèces connues de cette catégorie. Et sur ces 27 600 espèces, 32 % ont vu leur population décroître entre 1900 et 2015. Ces chiffres, écrivent les biologistes, « indiquent qu’au-delà des extinctions d’espèces au niveau mondial, la Terre traverse un énorme épisode de déclin et de disparition des populations, qui aura des conséquences négatives en cascade sur le fonctionnement des écosystèmes et sur les services vitaux à notre civilisation ».
Pour les auteurs, qui n’hésitent pas à parler d’« annihilation biologique », les causes sont assez claires : « Durant les dernières décennies, la perte de l’habitat, la surexploitation [par la chasse, la pêche – ndlr], les espèces invasives, la pollution, l’usage de produits toxiques, et plus récemment le dérèglement climatique, ainsi que les interactions entre ces différentes causes, ont mené à ces baisses catastrophiques, tant dans le nombre que dans l’étendue des populations. »
Mais, poursuit l’équipe de scientifiques, « beaucoup moins souvent cités sont pourtant les moteurs ultimes […] de cette extermination : la surpopulation humaine, liée à une croissance continue de la population, et de la surconsommation, en particulier par les riches. […] La sixième extinction est déjà là et la fenêtre pour agir efficacement est très réduite, probablement deux à trois décennies au plus ».
Ce tableau, datant de l’été dernier, n’était, reconnaissons-le, guère enthousiaste… Mais la nouvelle la plus décoiffante est venue d’Allemagne. Dans un article publié en octobre dans la revue PLOS ONE, des chercheurs allemands et britanniques ont révélé que la population d’insectes ailés avait décliné de 80 % sur le territoire allemand, et tout cela en moins de 30 ans !
Des chiffres qui font passer les animaux vertébrés pour d’incroyables chanceux : selon l’état des lieux des espèces menacées publié tous les deux ans par le WWF, ces derniers n’auraient en effet vu leurs effectifs baisser que de 58 % entre 1970 et 2012. Une broutille comparée à l’effondrement colossal observé en Allemagne : depuis 1990, les scientifiques ont collecté à épisodes réguliers, dans 63 réserves naturelles du pays, des millions d’insectes volants à l’aide de pièges en tulle. Ils ont ensuite consciencieusement pesé ces mouches, libellules, punaises et autres coléoptères pris au piège.
Au bout de 27 ans, le bilan est sans appel : la biomasse de ces insectes ailés a fondu de 77 %, et même de 82 % en période de pleine activité, au cœur de l’été. Or les insectes contribuent de manière cruciale à la survie des écosystèmes puisqu’ils pollinisent 80 % des plantes sauvages et représentent 60 % de la nourriture des oiseaux.
Des chercheurs avaient déjà alerté sur de semblables déclins chez les abeilles ou les papillons de nuit. Mais jamais une étude n’avait montré que l’ensemble des insectes volants était ainsi menacé de disparition. Si les chercheurs disent ne pas être parvenus à identifier la cause précise de cette hécatombe, ils remarquent néanmoins que les réserves où étaient placés les pièges étaient toutes « entourées de terres agricoles » : l’agriculture intensive et son cortège de pesticides sont une « cause plausible », concluent-ils.
Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls à jeter l’opprobre sur l’industrie chimique. Deux – énièmes – études publiées l’été dernier dans Science ont ainsi très clairement établi la nocivité pour les abeilles des néonicotinoïdes. La première canadienne et la seconde britannique ont montré que ces pesticides qui enrobent les semences, puis se diffusent dans toute la plante au gré de sa croissance, ont un impact délétère sur l’espérance de vie et la fertilité des butineuses. « Les dangers des néonicotinoïdes ont été sous-estimés par le passé et leurs bienfaits exagérés », commente pour Science Jeremy Kerr, un biologiste de l’université d’Ottawa, qui n’a pas participé à ces travaux.
Réactions en cascade : qui dit disparition des insectes dit mécaniquement disparition des oiseaux. La chose n’est pas nouvelle. Dès 1962, dans un livre devenu une bible de l’écologie, la biologiste Rachel Carson pleurait déjà ces printemps devenus silencieux et dénonçait les ravages de l’insecticide du moment, le redoutable DDT : « Sur des portions de plus en plus nombreuses du territoire américain, le retour des oiseaux n’annonce plus le printemps, et le lever du soleil, naguère empli de la beauté de leur chant, est étrangement silencieux. La disparition soudaine du chant des oiseaux, la suppression de la couleur, de la beauté et de la valeur qu’ils apportent à notre monde est survenue en douceur, insidieusement, sans même que s’en rendent compte ceux qui, chez eux, ne sont pas encore touchés par ce phénomène. »
Deux études publiées simultanément le 20 mars, jour du printemps, par le Muséum national d’histoire naturelle et le CNRS ont confirmé cette tendance inquiétante sur le territoire français. Les deux centres de recherche ont annoncé que les oiseaux des campagnes disparaissaient « à une vitesse vertigineuse », avec des populations réduites d’un tiers en 15 ans. So long alouettes, fauvettes, grisettes et autres bruants ortolans… Avec huit individus disparus sur dix, les perdrix sont quant à elles « presque décimées ».
Les deux instituts jugent ce déclin « proche de la catastrophe écologique » et le lient à l’effondrement des insectes en milieu agricole. En effet, observent-ils, « cette disparition massive […] est concomitante à l’intensification des pratiques agricoles ces 25 dernières années, plus particulièrement depuis 2008-2009. Une période qui correspond entre autres à la fin des jachères imposées par la Politique agricole commune, à la flambée des cours du blé, à la reprise du suramendement au nitrate permettant d’avoir du blé surprotéiné et à la généralisation des néonicotinoïdes ».
Bonus - L’avenir : bonne ou mauvaise nouvelle ?
À 49 ans et animé d’une passion puissante pour la vulgarisation scientifique, Franck Courchamp a l’allure d’un éternel adolescent. Il se dit d’un naturel optimiste et voit le changement climatique comme « un super challenge, un défi à la hauteur du génie humain ». Que ce soit à la ville ou à la campagne, on n’a jamais vu autant de mobilisations citoyennes ou d’initiatives individuelles visant à mettre en place des alternatives pour lutter contre le dérèglement climatique. Encore minoritaire, le changement est pourtant bel et bien en marche.
Derrière le sourire aussi confiant que contagieux du biologiste se tapit tout de même une petite peur. Enfin, pas si petite d’ailleurs. Et cette peur, ce sont « les points de basculement » – les tipping points en anglais. Un point de basculement, explique-t-il dans son bureau du campus universitaire d’Orsay, « c’est comme une pile de pièces qu’on entasse les unes sur les autres et qui penche un peu. Et puis un jour, on met la pièce de trop et tout s’écroule : on bascule vers un autre état. Et pourtant, on a l’impression de n’avoir rien fait du tout : on a juste rajouté une pièce de plus… »
Or, pour que les gens relèvent le défi climatique, dit-il, « il faut qu’ils soient au courant des problèmes à l’avance, pour pouvoir modifier leurs habitudes. Et, si ces tipping points arrivent trop tôt, disons dans une décennie, ils risquent de nous priver de ce temps nécessaire à la réaction ».
« Le problème des politiciens, déplore-t-il, c’est qu’ils ne sont pas au courant de ce qui se passe, ils ne sont pas formés. L’écologie, ils pensent que c’est un mouvement politique, un réseau de tree huggers [des hippies écolos, littéralement des embrasseurs d’arbres – ndlr] mais ignorent que c’est une véritable science. » Alors que la protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique devraient être au cœur de toutes nos politiques, s’agace en écho le climatologue Hervé Le Treut, « on a réussi l’exploit de débattre durant trois mois de notre réseau de chemin de fer et de quels trains on voudrait en France, sans jamais parler de climat… »
Pour Franck Courchamp, c’est assez clair, « tant que les problèmes importants seront le terrorisme et le salaire des footballeurs, on ne pourra relever ce défi. Si les gens comprenaient qu’ils avaient 1 000 ou 10 000 fois plus de risques de mourir avec les problèmes environnementaux, peut-être réagiraient-ils… »
Agir tout de suite. Sans plus atermoyer. C’est l’unique solution, crient depuis plusieurs décennies sans être entendus les climatologues, les écologues, les glaciologues et autres chercheurs qui prennent le pouls de la planète. Dans leur nouvelle mise en garde, 25 ans après celle de 1992, les 15 000 scientifiques refusent de baisser les bras.
Car face à toutes ces mauvaises nouvelles, il y en une bonne, qui vaut le coup de se battre : « Grâce à un raz-de-marée d’initiatives organisées à la base, assurent-ils, il est possible de vaincre n’importe quelle opposition, aussi acharnée soit-elle, et d’obliger les dirigeants politiques à agir. Il est également temps de réexaminer nos comportements individuels, y compris en limitant notre propre reproduction (l’idéal étant de s’en tenir au maximum au niveau de renouvellement de la population) et en diminuant drastiquement notre consommation par tête de combustibles fossiles, de viande et d’autres ressources. »
On a beau critiquer les insuffisances de l’Accord de Paris, s’il était respecté, cet accord, « ce serait le jour et la nuit », se prend à rêver Étienne Berthier, glaciologue au laboratoire LEGOS de Toulouse. « Concernant, par exemple, les glaciers de l’Himalaya, qui représentent une ressource en eau pour des centaines de millions de personnes, on passe du simple au double. Concrètement, si on respecte l’Accord de Paris, 35 % des glaciers des hautes montagnes d’Asie auront disparu d’ici la fin du siècle, alors que ce sera 65 % dans le scénario le plus pessimiste envisagé par le GIEC. » Autrement dit, « ça vaut vraiment le coup de faire quelque chose ».
Les nouvelles sont mauvaises. Il ne tient qu’à nous d’en avoir de meilleures l’an prochain.
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