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Europe

Italie : un parlement sans majorité, dominé par des partis antimigrants

5 mars 2018 | tiré de mediapart.fr

Selon les résultats partiels diffusés par les médias italiens, le Mouvement Cinq Étoiles est le parti vainqueur des élections législatives, et l’extrême droite de la Ligue du Nord dépasse son partenaire de coalition, Forza Italia. Mais aucune majorité claire ne se dessine.

Un parlement sans majorité. Et une bascule à droite toute de l’échiquier politique. C’est l’enseignement que l’on peut tirer ce lundi matin des élections législatives italiennes, alors que le dépouillement et le calcul extrêmement complexe de ce scrutin sont toujours en cours.

Le Mouvement Cinq Étoiles (M5S), qui se considère comme apolitique mais dont le programme, hostile aux migrants et favorable à des baisses d’impôts, le situe clairement à droite, est en effet le premier vainqueur de ce scrutin, avec plus de 30 % des voix. Il fait quasiment carton plein dans les régions d’Italie du Sud et dans les îles, où il caracole en tête. La coalition des droites, quant à elle, totaliserait plus de 36 % des suffrages et, en son sein, la Ligue du Nord dépasserait de cinq points la formation berlusconienne de Forza Italia. Avec plus de 18 % des suffrages, le parti d’extrême droite emmené par Matteo Salvini fait la culbute par rapport aux dernières législatives : il multiplie par quatre son résultat de 2013 (4,3 %).

Pour ces deux formations, M5S et Ligue du Nord (rebaptisée Lega), c’est la réussite d’une stratégie savamment élaborée. Comme nous le racontions dans nos colonnes, l’un et l’autre ont opéré une mue importante ces derniers temps. Le premier s’est trouvé un jeune leader, Luigi di Maio, pour prendre la suite de son fondateur Beppe Grillo, il s’est normalisé en interne, et il a mis entre parenthèses son discours anti-européen. Le second s’est transformé de parti régionaliste en parti national et a mené activement campagne en Italie du Sud.

Pour le Parti démocrate (PD) au pouvoir, en revanche, c’est un échec cuisant. Avec moins de 20 % des voix, ce parti né en 2007 recueille le plus mauvais score de son histoire, faisant tomber aux oubliettes les 40 % obtenus aux européennes de 2014. L’euphorie Renzi aura été de courte durée : le parti ne se sera pas relevé de sa politique de libéralisation du marché du travail (le « Jobs Act »), de l’échec, en décembre 2016, du référendum constitutionnel voulu par le président du Conseil, et de ses divisions internes dues à la personnalité très controversée du Florentin.

Résultats partiels, lundi 5 mars 2018 à 8 heures du matin © La Repubblica

Le Parti démocrate ne semble se maintenir que dans deux bastions historiques, la Toscane et l’Emilie-Romagne où il arrive en tête. Partout ailleurs, il est en net recul. Mais il n’est pas le seul : avec moins de 14 % des voix, Forza Italia perd plus de la moitié de son électorat par rapport à 2013. Le retour de Berlusconi dans le jeu politique, tant commenté pendant la campagne, ne lui aura donc pas porté bénéfice. Au fond, l’Italie suit la même voie que de nombreux pays européens : celle du déclin des anciens « grands » partis. C’était le cas, en septembre, aux élections législatives allemandes. C’était le cas, avant elles, aux élections françaises, autrichiennes, néerlandaises, espagnoles…

Autre enseignement de ce scrutin : les électeurs ne se laissent pas berner par les manœuvres électoralistes. La coalition Liberi e Uguali (« Libres et Égaux »), montée juste avant le scrutin par des transfuges du PD, franchit à peine le seuil des 3 % pour entrer au Parlement. Malgré un discours de justice sociale critique vis-à-vis du gouvernement sortant, les anciens députés du PD qui ont voté la plupart des réformes Renzi ont eu du mal à convaincre qu’ils pouvaient incarner autre chose aujourd’hui. Un échec qui n’est guère étonnant, quand on voit combien leur liste de candidats était à l’image du système et manquait de figures nouvelles : leur tête de liste n’était autre que Pietro Grasso, président du Sénat sortant, âgé de 73 ans…

Les élections de ce dimanche montrent finalement combien il est difficile, pour la gauche de la gauche italienne, de se reconstruire. Cela fait des années qu’elle est divisée à travers d’innombrables ramifications, et les deux stratégies différentes qu’ont mené Liberi e Uguali d’un côté, et Potere al Popolo de l’autre (formation née dans un centre social de Naples et soutenue en France par Jean-Luc Mélenchon), n’ont pas rencontré leur public. Cette seconde ne passe même pas le seuil des 3 %.

L’Italie est maintenant plongée dans une période d’incertitude. Aucune majorité claire ne se dessine, ni à la Chambre des députés, ni au Sénat. Avec cette inconnue magistrale : qui est prêt à gouverner avec qui ? Triomphaliste, le M5S a, dans la nuit, proclamé qu’il était prêt à s’allier avec un autre parti, prenant le contre-pied de ce qu’il avait jusque-là combattu. « Personne ne sera capable de gouverner sans le Mouvement Cinq Étoiles, a déclaré le député Riccardo Fraccaro. Dans les tout prochains jours, nous serons prêts à discuter avec toutes les forces politiques qui le souhaitent de ce dont l’Italie a besoin. » Le leader du parti Luigi di Maio a attendu lundi midi pour confirmer, devant les caméras, que le parti allait tout faire pour trouver une majorité. « Nous ressentons la responsabilité de former un gouvernement (...), a déclaré le jeune leader de 31 ans. Nous sommes prêts à nous confronter à toutes les forces politiques. »

Mais du côté des partis traditionnels, ni le PD ni Forza Italia, pendant la campagne, ne voulaient s’allier avec le M5S. La nouvelle loi électorale, votée en octobre, avait précisément été concoctée pour favoriser les coalitions et de ce fait, maintenir le M5S à distance du pouvoir…

Le PD, de son côté, a acté la défaite dimanche soir. « Les sondages de sortie des urnes se sont révélés très élastiques par le passé, mais si cela se confirme dans le résultat final, c’est clairement un score négatif pour le Parti démocrate et nous allons rentrer dans l’opposition », a constaté Ettore Rosato, le chef du groupe parlementaire de la Camera sortante. Une déclaration du secrétaire général du parti Matteo Renzi est attendue lundi en fin de journée ; les médias italiens s’attendent à ce qu’il annonce sa démission.

Une coalition entre les forces de droite et le PD, comme cela semblait se dessiner pendant la campagne, n’est désormais plus d’actualité. De fait, selon les projections faites par les médias italiens à partir des résultats provisoires, la somme des sièges Forza Italia et Parti Démocrate serait très en-deça de la majorité, à la chambre des Députés comme au Sénat. Reste le scénario des affreux : une alliance entre la Lega et le M5S. À eux deux, ils détiendraient la majorité dans les deux chambres.

Amélie Poinssot

Après des années de correspondances en Pologne puis en Grèce, expérience qui l’a amenée à travailler pour des médias aussi divers que La Croix, RFI, l’AFP... et Mediapart, elle rejoint la rédaction de Mediapart en février 2014.

https://www.mediapart.fr/biographie/amelie-poinssot

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