Édition du 14 mai 2024

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Europe

Irlande : la peur l’a emporté

Admettons-le d’emblée : le résultat du référendum du 31 mai en Irlande, avec plus de 60 % des votants favorables au nouveau traité européen, n’est pas une bonne nouvelle pour les peuples.

Que s’est-il passé ?

Les Irlandais ont massivement rejeté il y a un peu plus d’un an un gouvernement conservateur qui avait appliqué successivement deux plans d’austérité drastiques.
C’est une coalition alliant les très socio-libéraux travaillistes (Labour) et un parti de centre droit (Fine Gael) qui l’a remplacé, après une campagne durant laquelle ils avaient affirmé qu’ils feraient en sorte de renégocier les termes du « plan de sauvetage » imposé au pays par la Troïka. Il n’en a évidemment rien été. La crise s’est poursuivie, l’austérité aussi, au point qu’il y a quelques mois on parlait par exemple de remettre en cause l’engagement de ne plus baisser les salaires avant 2014, et que le chômage continue d’augmenter.

Dans ce contexte, après bien des hésitations, le premier ministre Enda Kenny a décidé de recourir au référendum en vue de ratifier le nouveau pacte budgétaire européen qui obligerait chaque pays à inscrire dans ses lois une « règle d’or » d’équilibre budgétaire dont le non-respect l’exposerait automatiquement à des sanctions. Les Irlandais furent donc les seuls à être consultés à propos du nouveau traité européen qui constitutionnalise les politiques d’austérité.

En 2001 et 2008, les Irlandais avaient rejeté le traité de Nice puis celui de Lisbonne, paralysant temporairement la construction européenne.

Les dirigeants européens avaient pris soin de faire en sorte que le scénario catastrophe des consultations précédentes ne puisse pas se reproduire : lors de l’écriture du texte, il a été précisé qu’il suffisait que douze pays sur les dix-sept de la zone euro l’adoptent, pour une entrée en vigueur dès 2013. Cela dit, à l’heure où plane la probabilité d’une explosion de la zone euro, et avec la crise politique grecque, l’enjeu du référemdum était important. Assez pour que la propagande ouiouiste, comme on disait en 2005, se déchaîne des semaines durant, relayée non seulement par les deux partis au pouvoir mais aussi par l’essentiel de l’opposition (Fianna Fail et les Verts). Les arguments sont simples : si l’Irlande refuse le nouveau traité, plus question pour elle de bénéficier de nouveaux « plans de sauvetage » – que la population avait massivement rejetés fin 2011 ! Second argument : le non donnerait le signal que les Irlandais veulent sortir de la zone euro voire de l’Union européenne.

Face à cette large coalition, le front du non était réduit. À une série d’organisations syndicales s’ajoutaient le Sinn Fein, anciennement aile politique de l’IRA, en passe de devenir le principal parti de gauche et l’United left alliance, qui rassemble diverses organisations d’extrême gauche. La campagne fut vigoureuse, dénonçant l’austérité, la Troïka, revendiquant sa solidarité avec les Grecs, tentant de faire porter le débat sur le fond. Les acteurs de la campagne du non s’appuyaient par ailleurs sur la mobilisation en cours contre les nouvelles taxes que le gouvernement veut imposer.

Mais après trois ans de cure d’austérité, avec le passif que représente la jurisprudence de 2001 et 2008, lorsque l’Union européenne avait contraint les Irlandais à revoter pour « bien voter », et surtout en l’absence de mobilisations massives des salariés contre l’austérité, la propagande a fait son effet en jouant sur la peur.
Les résultats indiquent nettement une frontière de classe, le vote non étant particulièrement haut dans les zones les plus ouvrières, comme à Dublin, et dans les endroits où la résistance à l’austérité s’est un peu organisée localement, notamment dans une région aussi enclavée que le Donegal, longtemps fidèle à Fianna Fail.

Le résultat en Irlande indique à la fois les difficultés de la lutte contre la Troïka, et son caractère absolument décisif.

Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 152 (07/06/12)

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