Édition du 14 mai 2024

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Amérique centrale et du sud et Caraïbes

« Haïti a besoin de paix » : le Premier ministre Ariel Henry annonce sa démission, un conseil de transition sera désigné

Par ailleurs, avant ces négociations, ces gouvernements étrangers se sont réuni en secret sans aucune participation haïtienne. Plus tard, ils les ont invités.es. Et ce sont ces gouvernements étrangers qui ont décrété les règles d’engagement, ce qui signifie que vous ne pouvez pas prendre part à la discussion si vous n’êtes pas d’accord d’abord et avant tout avec cette intervention étrangère que les États-Unis ont planifiée pour Haïti.

Democracy Now, 12 mars 2024
Traduction, Alexandra Cyr

Amy Goodman : Nous débutons notre émission avec la situation en Haïti où le Premier ministre non élu, Ariel Henry a annoncé sa démission (et se retirera) quand un conseil de transition sera constitué. Il a fait cette annonce au lendemain d’une rencontre des leaders caraibéens avec le Secrétaire du département d’État américain et d’autres (délégués.es politiques) en Jamaïque pour discuter de la crise haïtienne où des groupes armés se sont soulevés la semaine dernière contre M. Henry. Il a annoncé sa démission sur les réseaux sociaux. (…) Le Miami Herald rapporte que la CARICOM a proposé un plan pour créer un panel de sept personnes, nommées par intérim, qui devrait nommer un nouveau Premier ministre et gouverner jusqu’à ce que des élections aient lieu. Le Premier ministre de la Barbade, Mme Mia Mottley, a déclaré que ce panel ne devrait être constitué que d’Haïtiens.nes qui seraient d’accord pour le déploiement d’une force de sécurité soutenue par l’ONU. La semaine dernière le Premier ministre Henry est allé au Kénya dont le gouvernement doit diriger cette mission sécuritaire. Il n’a pas pu rentrer en Haïti et se trouve maintenant à Porto-Rico.

Lundi, une des leaders du soulèvement armé, Jimmy Chérizier, connu sous le sobriquet de « Barbecue » a mis en garde contre l’idée que ce soit des forces extérieures qui choisissent le prochain dirigeant : (depuis la traduction anglaise), « Nous profitons de cette opportunité pour dire à la communauté internationale que si elle continue sur ce chemin, nous allons plonger Haïti dans le chaos, si elle choisit un petit groupe de politiciens.nes, avec qui elle mène des négociations sur papier pour décider qui sera Président.e et quel genre de gouvernement nous aurons. Aujourd’hui il est clair que, ce sont les habitants.es des districts de la classe ouvrière et du peuple haïtien qui savent ce que sont leurs souffrances et c’est à eux que revient la tâche de décider qui va les diriger et comment ».

A.G. : Pour en savoir plus, nous nous tournons vers Mme Jemima Pierre. Elle est professeure à l’Institut pour la justice sociale à l’Université de Colombie-Britannique au Canada. Elle est aussi chercheuse associée à l’Université de Johannesburg. Elle est une universitaire haïtienne américaine et codirige l’équipe haïtienne américaine de la Black Alliance for Peace qui suit de près la situation en Haïti. Elle a publié récemment un article sur NACLA intitulé : « Haïti as Empire’s Laboratory ».

Soyez la bienvenue sur Democracy Now ! Les événements et les développements se déroulent à vive allure, professeure Pierre. Pouvez-vous réagir à l’annonce d’Ariel Henry. Depuis Porto-Rico, semble-t-il, il annonce sa démission à venir. Qu’est-ce que cela veut dire exactement ?

Jemima Pierre : Bonjour Amy et merci pour l’invitation.

C’est intéressant. Plusieurs personnes se demandent comment un Premier ministre qui n’a pas été choisi par le peuple ni aucun dirigeant.e peut ainsi, démissionner alors qu’il n’avait aucun mandat au départ. Ce que je comprends et plusieurs personnes également, c’est que cette fiction ne sert que de verni légal sur la situation : fondamentalement, on dit qu’il faut que A. Henry démissionne pour qu’un conseil présidentiel soit nommé pour organiser de soi-disant élections libres et justes. Pour moi, le peuple qui prend des décisions continue de le faire, cette mascarade de légalité est au service de ceux et celles qui prennent des décisions. C’est en soi un problème qui ne sera pas résolu.

Juan Ganzalez (D.N.) : Professeure Pierre, toutes les informations que nous recevons ici aux États-Unis, portent sur le chaos créé par les gangs dans les rues. Vous avez d’autres perspectives et vous vous opposez à l’emploi de ce terme. Pouvez-vous nous expliquer le rôle de ces gangs dans la démission d’A. Henry ?

J.P. : Comme je l’ai dit hier, les gens se fixent sur ce que les médias font et les grands médias américains se concentrent sur les images de l’extrême violence de ces groupes. Je n’aime pas le terme « gang » parce que je pense qu’elles n’en sont pas. C’est un terme extrêmement terrible, radical qu’on utilise quand on parle des Haïtiens. Je pense que ce sont des groupes armés. Certains sont paramilitaires mais d’autres ne sont que des groupes qui ont accès aux armes. Et nous devons être clairs : ce ne sont pas des attroupements de gens qui se déplacent dans les alentours comme nous le montraient les films des années 1990 portant sur les gangs aux États-Unis. Voilà pour un premier temps.

Deuxièmement, la violence de ces dites « gangs » n’est pas le principal problème d’Haïti. Son principal problème, c’est la constante interférence de la communauté internationale, c’est-à-dire, les États-Unis, la France et le Canada. Et c’est fascinant de constater qu’hier, les négociations avec la CARICOM se faisait avec des soi-disant négociateurs étrangers, hors des pays de la CARICOM, les États-Unis, la France, le Canada et le Mexique. C’est un problème en soi parce que ce sont ces pays qui sont derrière le coup d’État qui a sorti notre Président élu et qui nous a menés.es jusqu’ici. Alors, pourquoi la France, (…) pourquoi est-ce que, ce sont les Caraibéens qui négocient au nom d’Haïti ?

Par ailleurs, avant ces négociations, ces gouvernements étrangers se sont réuni en secret sans aucune participation haïtienne. Plus tard, ils les ont invités.es. Et ce sont ces gouvernements étrangers qui ont décrété les règles d’engagement, ce qui signifie que vous ne pouvez pas prendre part à la discussion si vous n’êtes pas d’accord d’abord et avant tout avec cette intervention étrangère que les États-Unis ont planifiée pour Haïti. Le statut quo veut que les États-Unis prennent les décisions. Ce qui arrive aujourd’hui se répétera dans le futur.

J.G. : Quels sont les intérêts des États-Unis, du Canada en Haïti ?

J.P. : Souvent les gens se demandent pourquoi les États-Unis ont tant d’intérêt pour Haïti. Il faut se poser la question du début. Les États-Unis ont tenté de prendre le contrôle d’Haïti depuis bien longtemps, depuis la fin des années 1880 quand ils voulaient s’emparer du sommet du Môle Saint-Nicolas, une ile sur le Passage Windward, une route directe vers le Canal de Panama leur permettant d’atteindre l’Asie. Ils devaient y avoir une force militaire conséquente pour détourner Cuba, le Venezuela etc. Ils avaient aussi besoin d’Haïti pour ses corporations et ses salariés.es sous payées.es. La population d’Haïti est de 12 millions, c’est la plus grande population de la CARICOM. Haïti a été déstabilisé par les États-Unis tant de fois.

Et la mission ; je veux parler de cette mission qu’on appelle mission des Nations Unies, ce qui est un problème car ce n’est pas une mission des Nations Unies. C’est une mission sanctionnée par les Nations Unies. On lit le libellé de la résolution qui permet ce déploiement mais, il vient en vertu du Chapitre 7 sur les déploiements. Ce qui veut dire qu’une telle force peut utiliser des capacités extrêmes, aériennes, terrestres ou maritimes. Si on lit l’entente, il y est dit que ce n’est pas une mission officielle des Nations Unies mais que s’en est une de pays volontaires. Cela veut dire qu’ils doivent en assumer les frais. C’est pour cette raison que le Secrétaire d’État A. Blinken et le Département de la défense (américain) ajoute plus d’argent pour payer les 200 millions de dollars, maintenant 300, de Kényans qui viendront.

Les implications pour le peuple haïtien, en terme de droits humains par exemple, sont différentes par le fait que ce ne soit pas une mission des Nations Unies. Nous n’avons plus le semblant de protection que nous avions avec la MINUSTAH durant l’occupation des Nations Unies qui a durée de 2004 à 2017. Chacun.e des Haïtiens.nes se rappelle ce que cela voulait dire. Je pense au choléra qui a tué de 10 à 30 millions de personnes et en a rendu un million malade. Elle a aussi apporté des morts et des meurtres hors justice, de l’exploitation sexuelle de jeunes filles et de femmes. Pour nous, c’est cela l’occupation.

Maintenant….c’étaient des gens sous mandat des Nations Unies avec ses règles d’engagement. L’entente actuelle n’est pas dans ce cadre. Les gens qui mènent ces négociations disent que la première exigence pour y participer est d’accepter cette force étrangère, Kényanne, qui ne parlent pas la langue et qui est reconnue pour ses abus des droits humains, pour moi, c’est problématique.

Je veux vite ajouter que cela me rappelle ce qu’a dit Dantès Bellegarde, un diplomate haïtien au début des années 1900. Le pays était sous occupation à l’époque. Il a déclaré : « Dieu est trop loin et les États-Unis trop proches ». Je pense que ça traduit le sentiment de beaucoup d’Haïtiens.nes en ce moment.

A.G. : Finalement, cela va permettre à A. Henry de revenir au pays maintenant qu’il a dit qu’il démissionnerait ? Quelles sont les implications pour lui qui est réputé avoir participé à l’assassinat du Président Moïse, qui a téléphoné à répétition à Badio, l’homme qui était dans la pièce quand les assassins colombiens qui ont reconnu le Président avant de le tuer et qui sont allés plusieurs fois au domicile de M. Henry ? Qu’est-ce que cela implique ? Pensez-vous qu’il va retourner au pays ?

J.P. : Je ne suis pas sûre qu’il y retournera parce qu’il y est persona non grata même si je pense qu’il n’est pas la pire partie du problème. Le pire problème, c’est la communauté internationale qui dirige Haïti.

Ariel Henry est impliqué dans l’assassinat ; ce qui nous oblige à nous demander pourquoi les États-Unis l’ont soutenu ces derniers 30 mois malgré le fait que cette implication était connue de tous et toutes. Il doit s’inquiéter des sanctions américaines à son égard plus tard, d’accusations d’assassinat par exemple.

Je ne suis pas certaine que cela va résoudre le problème actuel du pays. Les gens, les journalistes qui font des reportages disaient que les rues étaient plus calmes hier. Mais je ne suis pas convaincue que la population va adhérer (à ce programme) parce qu’il ne fait que démontrer qu’Haïti est constamment occupé par des étrangers.

En plus, je veux dire que Mme Mia Mottley, au nom des États-Unis, a parlé d’une autre condition pour participer aux négociations actuelles : vous devez y accepter les multinationales, et que quand le bureau électoral sera nommé par le Conseil de transition, et organisera des élections, ceux et celles qui auront participé aux négociations, ne devront pas contester les résultats annoncés par ce bureau. Donc, ils établissent les paramètres pour choisir les élus.es qui leur conviennent. Pour moi, cela veut dire que le problème va durer, qu’il y aura plus de situations explosives au cours des prochains mois, des prochaines années. Nous devons prendre le problème à sa racine, soit arrêter la constante imposition des conditions américaines sur le peuple haïtien avec la négation de sa souveraineté.

A.G. : Merci Jemima Pierre d’avoir été avec nous. (…)

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