Le nouveau gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ), le plus à droite des partis de l’Assemblée nationale, surfe sur la vague de mobilisation post-électorale pour le climat. La nouvelle ministre de l’environnement, complètement verte en la matière dans le mauvais sens du mot et femme d’affaire à succès, était présente à la grande manifestation citoyenne « La planète s’invite au parlement », avec deux ou trois autres ministres et des représentants-députés de tous les autres partis, Libéraux compris. Cette manifestation regroupait 50 000 personnes sans compter les quelques autres milliers dans plusieurs autres villes du Québec1. La grande canicule de cet été et la dévastatrice tornade de Gatineau-Ottawa2 à la fin de la campagne électorale mais aussi les premières manifestations citoyennes sur le sujet de quelques milliers de personnes en pleine campagne électorale, boudées par Québec solidaire malgré que cette thématique était sa grande priorité électorale, avaient labouré le terrain. Ce à quoi s’ajoute en ce moment la forte impression laissée par les très meurtriers feux de forêt en Californie que le gouverneur de l’état accueille comme la « nouvelle normale ». Il faut certes se réjouir de ce réveil de la mobilisation, endormie depuis la défaite du Front commun au début de 2016, d’autant plus qu’elle se réalise sur la question clef qui taraude le XXIiè siècle et pour laquelle la militance écologique se désespérait, et pas seulement au Québec, de pouvoir mobiliser à une échelle conséquente. Il est symptomatique de la contemporaine méfiance envers les organisations, vautrées dans la compromission pour obtenir des sous et l’appui des monopoles médiatiques, que cette mobilisation ait comme moteur un groupe citoyen animé par un artiste connu. C’est sur le tard que ce mouvement citoyen a été appuyé d’abord par le mouvement écologique organisé et puis par le mouvement syndical et populaire. L’organisation citoyenne avait même organisé un lieu pour confectionner des affiches (voir l’album de photos pour un échantillonnage), ce dont ne se sont pas privé quelques centaines de personnes, même si ces pancartes étaient noyées dans le flot de la manifestation. Toutefois l’imagination des slogans s’arrêtait au seuil des revendications concrètes, sauf pour le refus des hydrocarbures, que ne met pas non plus de l’avant le collectif organisateur, ce à quoi se conformait Québec solidaire bien visible avec ses dizaines d’étendards oranges mais sans bannières ni affiches ni tracts projetant des revendications.
La montagne mobilisatrice accouche d’une souris revendicative. Que ce soit le collectif « La planète s’invite au parlement » ou de son frérot pour vedettes, le « Pacte pour la transition »3 signé à date par 150 000 personnes, l’emphase est mis sur les gestes individuels laissant dans l’ombre les revendication concrètes relevant d’une politique alternative autre que les généralités habituelles de s’enligner sur le GIEC, dont les aspects politiques du dernier rapport à propos du 1.5°C sont fort contestés4, et de se doter ou de mettre en branle un plan de transition tout à fait inadéquat. Tout au plus, ce mouvement réclame de renoncer aux hydrocarbures et aux autoroutes et ponts comme le « troisième lien » dans la région de Québec. Ce sont là des revendications nécessaires mais qui font l’impasse sur l’alternative. Le plan gouvernemental de transition n’a guère été critiqué pas plus que son noyau dur portant sur le transport, la Politique de mobilité durable (PMD), par Québec solidaire et par le mouvement écologique hormis quelques aspects particuliers comme le transport actif. Quant au petit cousin, provenant de la militance écologique ayant discrètement rangé ses étendards pour l’occasion, la « Déclaration d’urgence climatique » (DUC)5, qui les a précédés mais qui est négligée par les grands médias, elle contient une bonne dose d’alarmisme pertinent mais qui débouche sur les mêmes généralités revendicatives.
Tout ce flou artistique permet aux gouvernements municipaux, dont la Communauté urbaine de Montréal, d’endosser la Déclaration et à la direction du Pacte, adossée aux manifestations, d’avoir un tête-a-tête avec le nouveau Premier ministre. Cet endossement par les municipalités leur permet de dorer leur blason sans aucun engagement concret quoique on pourra peut-être plus tard leur reprocher leur hypocrisie. Mais il y aura toujours des grands projets inutiles tels le train aérien REM et la ligne de métro dite rose pour servir d’alibis. Plus étonnant est le compte-rendu de la rencontre avec le Premier ministre6 qui parlait d’ouverture de dialogue, de relation de confiance et de « page blanche en environnement ». Cette page blanche était effectivement la plateforme électorale de la CAQ ! Tout de suite après la rencontre, la CAQ se désistait du seul supposé engagement pris, soit une rencontre de scientifiques. Mais elle se réjouissait de la comparaison avantageuse par rapport au gouvernement fédéral acheteur d’oléoduc pour 4.5 G$. Il n’était pas souligné que la CAQ est devenue le grand allié des Libéraux canadiens pour défendre la taxe sur le carbone contre l’Ontario de Ford et consorts.
Pour le plan de transition, une troublante similitude de la CAQ à Québec solidaire Évidemment quand on est tacitement pour le marché du carbone... tout en appelant au culte de la Science auquel on croit naïvement convertir la CAQ comme si elle ne défendait pas des intérêts lucratifs à odeur de pétrole et d’asphalte. Toute cette saga rend conscient de la spécificité québécoise eut égard à la polarisation nord-américaine et même mondiale de la scène politique. La droite caquiste n’utilise pas la tactique de confrontation des Trump ou Ford. Pour l’instant du moins, elle joue le consensus propre au nationalisme de l’opprimé tout comme elle joue de ses préjugés et insécurité identitaires. Il s’agit de surfer la vague jusqu’à ce qu’elle s’affaisse dans l’épuisement de la non-revendication et de la non-organisation au-delà des manifestations ponctuelles et des pétitions.
Il faudrait un relais du mouvement écologiste et de Québec solidaire. Mais comment est-ce possible quand ces organisations ont consenti de facto au marché du carbone (et à priver la lutte contre l’austérité de l’usage du Fonds des générations) et qu’ils se sont ralliés aux lignes directrices de la PMD gouvernementale (REM et métros au lieu d’un réseau de transport collectif en voies réservées et inséré dans la trame urbaine, soutien à l’auto solo électrique) au point que le plan Solidaire s’en distingue à peine à propos du Grand Montréal au cours du premier mandat. Faut-il s’étonner que Québec solidaire ait renié sa cible de réduction des GES pour 2030 pour se rapprocher aux deux tiers de celle gouvernementale ! Et encore a-t-il fallu la pression de la base écologiste du parti pour que la direction du parti ne s’y rallie pas à peu près complètement. Au final, de la CAQ à Québec solidaire en passant par les Libéraux et le PQ tous se rallient à la PMD gouvernemental et à son mode droitier de financement. Heureusement qu’il y a l’attraction de l’or noir et le troisième lien pour faire des distinctions. L’opposition aux autoroutes ?
Selon le plan de transition Solidaire7, le parti « abandonnera tout nouveau projet de construction routière sauf ceux qui visent à améliorer la sécurité routière ou qui permettent de désenclaver des régions isolées. » C’est ce qu’on appelle une promesse politicienne... ce qui justifierait le prolongement de l’autoroute 20 jusqu’à Rimouski. En fait la connivence tous azimuts va encore plus loin. Selon le plan Solidaire, les transports ferroviaire et maritime n’ont pas la priorité sur le camionnage lourd qui jouira d’autoroutes électriques et dont les entreprises seront soutenues alors que le transport à longue distance des marchandises peut être considéré comme une industrie stratégique à nationaliser selon le programme du parti. Faut-il se surprendre qu’alors que le transport des marchandises est le grand responsable de la hausse des GES au Québec, le plan de transition ne prévoit qu’une réduction minime de ses GES par rapport à celui des personnes, soit un rapport de 14%. Non seulement la part du camionnage lourd en émanations de GES est-elle supérieure à celle de l’automobile, ce qui est presque aussi vrai pour le camionnage léger, sa contribution à la croissance des GES depuis 1990, tout comme celle du camionnage léger, est largement supérieure à celle de l’automobile8.
Dans le plan Solidaire, il n’est nullement fait mention de l’interdiction de la construction de maisons individuelles dans l’ensemble de la trame urbaine, ce qui devrait être immédiat, autrement il devient impossible de construire une urbanité basée sur le transport actif et sur celui collectif et de maximiser la mixité des fonctions et l’agriculture urbaine. Son complément serait une politique de densification des quartiers d’unifamiliales soit en obligeant un déménagement soutenu techniquement et financièrement pour les ménages occupant un espace habité trop grand soit en obligeant une subdivision du logement. Que ce soit pour le camionnage lourd, ou pour la collecte et la gestion des déchets, ou pour la transformation et la distribution alimentaire, ou pour la climatisation des bâtiments non-résidentiels, on note un parti-pris pour le soutien à l’entreprise privée et la faiblesse du cadre législatif et réglementaire. On ne sent aucune urgence climatique dans le plan de transition Solidaire mais le souffle froid de la technocratie prisonnière du marché. Faut-il se surprendre que dans la période post-électorale, le parti ait rangé dans l’armoire à glace la populaire revendication de la gratuité du transport collectif ?
Une revendication mobilisatrice laissée à refroidir qu’il faut relancer par une campagne. En assimilant le plan de transition Solidaire, on en vient à réaliser l’incongruité de cette revendication dans le plan d’ensemble. La gratuité du transport collectif fut-elle une revendication populiste de gauche pour le temps d’une élection ? Le temps n’est pas venu de faire une vague campagne sur le climat qui finira pas tomber à plat faute de concrétude et encore davantage soutenue par un plan de transition au capitalisme vert jamais discuté ni adopté par les instances de base du parti. Il faut plutôt soumettre ce plan au tamis de la démocratie en vue de son adoption lors du congrès de révision du programme du parti en 2019 ou 2020. Par contre, le temps est venu de capitaliser sur la popularité de la revendication de la gratuité du transport collectif, que les Libéraux et le PQ ont tenté d’imiter en laissant tomber son caractère universel, afin d’inciter à la construction d’un mouvement écologiste urbain pérenne comme la gratuité scolaire avait catapulté le Printemps érable en 2012.
En vue des assemblées générales préparatoires au Conseil national du début décembre, voici des résolutions qui pourraient être proposées : Proposition de débattre et de confirmer le plan de transition . Étant donné que
a. des points clefs du plan de transition (cible GES 2030, marché du carbone) découlent des modifications du programme par le conseil national de mai dernier pour raison d’urgence qui n’existe plus (l’éminence de la campagne électorale),
b. plusieurs points importants du plan de transition (subventions à l’auto solo électrique, REM, ligne rose, biocarburants...) n’ont jamais été l’objet ni de discussion ni de décision lors d’un congrès ou conseil national, même dans le comité thématique sur l’environnement,
c. le nouveau rapport du GIEC sur la limitation de la hausse de la température terrestre à 1.5°C a haussé la barre de la cible GES 2030, Il est proposé que :
1. Il est prématuré de lancer une campagne politique sur le climat
2. Le plan de transition devra être confirmé et amendé le cas échéant au prochain congrès suite à une discussion dans tout le parti.
Proposition d’une campagne pour la gratuité du transport en commun sur dix ans Étant donné que
a. la gratuité du transport en commun sur dix ans a été grandement popularisée lors de la dernière campagne électorale,
b. sa popularité a été telle que les Libéraux et le PQ lui ont opposé des revendications de leur cru,
c. en 2012, la gratuité scolaire a été l’amorce du Printemps érable,
d. fait défaut au Québec un grand mouvement urbain écologique,
e. la gratuité du transport en commun sur dix ans pourrait être l’amorce de ce mouvement, il est proposé que :
1. le parti fasse campagne pour la gratuité du transport en commun sur dix ans
2. le parti appuie la pétition pour la gratuité du transport en commun pour les sorties scolaires
3. le parti fasse une assemblée publique à Montréal pour le soutien de cette pétition et pour la gratuité du transport en commun
Marc Bonhomme, 12 novembre 2018, www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.c a
Notes
1 Radio-Canada avec la Presse canadienne, Mobilisation citoyenne sans précédent pour l’environnement à travers le Québec, 10/11/18
2 Wikipédia, Tornades d’Ottawa et de Gatineau en 2018, visité le 23/10/18
3 Yanick Cyr, 500 personnalités appellent les Québécois à s’engager pour le climat, Radio-Canada, 7/11/18
4 Voir sur mon site, Un exercice d’équilibre entre science et politique qui freine l’urgence d’agir, 10/11/18
5 Déclaration d’urgence climatique (DUC), visité le 12/11/18
6 Alexandre Shields, Dominic Champagne met le climat à l’ordre du jour de François Legault, Le Devoir, 10/11/18
7 Québec solidaire, Plan de transition économique 2018
8 Inventaire québécois des gaz à effet de serre, 1990-2015, tableau 5
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