Dès 2010, lors du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), Gaz Métro /Énergir et le ministre des ressources naturelles du temps souhaitaient un « projet de type « pilote » permettant de démontrer le développement ordonné de l’industrie du gaz de schiste au Québec ». C’est exactement le discours qu’a relayée la compagnie Questerre par sont président Monsieur Binion en février dernier, au bénéfice de son seul éventuel client. Bien entendu, lorsqu’on demande aux personnes intéressées si ces projets sont toujours bien vivants, la réponse est « Ça dépendra de l’acceptabilité sociale ». Une acceptabilité qui passera par les élu.e.s locaux-ales selon l’administration Couillard. Et pourtant les pièces du jeu se mettent présentement en place !
On sait parfaitement que le principal intéressé, Gaz Métro/Énergir, souhaite ardemment ces essais d’extraction de gaz au Québec. L’entreprise est persuadée que de tels « pilotes » permettront de démontrer la faisabilité technique et économique de la fracturation des puits ; et permettront de développer la « chaîne » complète d’approvisionnement en gaz ; du puits jusqu’au client. Enfin l’unique distributeur de gaz au Québec bénéficierait d’un approvisionnement local dont on pourrait encore mieux contrôler la disponibilité. Les personnes élues municipales qui jaugeront l’acceptabilité sont présentement en place, puis les élections provinciales arrivent à grand pas. On garde publiquement le silence, on change son image, mais 2018 sera le grand moment des jeux de coulisses.
Lotbinière ciblé
De toutes évidences, le premier prolongement de son réseau vers des puits de production gazière se fera dans Lotbinière. Le projet visera à raccorder les puits de Leclercville et de Saint-Édouard-de-Lotbinière aux installations existantes de Gaz Métro/Énergir à Saint-Flavien. La pièce maîtresse de ce projet est l’ancien puits conventionnel de gaz naturel de Saint-Flavien, maintenant utilisé comme réservoir de stockage pour approvisionner en gaz la rive-sud du Saint-Laurent. On y stock présentement le gaz importé et les marges sont faibles. La perspective de pouvoir s’approvisionner localement et à moins de 20 kilomètres du réservoir est plus qu’alléchante pour l’entreprise. On perçoit un potentiel de rentabilité à très long terme, malgré les bas prix du combustible.
Gaz Métro/Énergir se prépare activement à cette éventualité, et l’élimination du mot « gaz » de son nom afin de ne pas faire peur n’y est pas étranger. Son entreprise de recherche et stockage Intragaz a développée le volume utilisable du réservoir de Saint-Flavien. Il est passé de 24 106m3 en 1998, à 120 106m3 en 2008 ; et l’entreprise partenaire travaille au développement du plein potentiel de ce site qui est évalué à plus de 142 106m3. Il faut maintenant accroître l’approvisionnement en gaz pour rentabiliser l’infrastructure. Dans le cadre de ses activités de stockage, Intragaz (Gaz Métro) a acquis des permis de recherche au Québec. Selon le site internet d’Intragaz, « Dans la majorité des cas, Intragaz a exploité seule ses permis. Par contre, des ententes d’affermage ont été conclues avec Talisman Energy (maintenant Repsol) en 2006 concernant son permis de Villeroy et Gastem en 2007 pour celui de Joly. Ces deux sociétés ont par la suite procédé à des forages et continuent d’analyser le potentiel de ces sites. L’approvisionnement par la fracturation hydraulique selon le site internet de sa société Intragaz est toujours une évidente option pour récupérer ses investissements.
Avec notre argent !
Non seulement prépare-t-on une capacité de stockage accru, mais d’important plans d’expansion du réseau de distribution sont prévus sous peu. C’est d’ailleurs à l’été 2017 que le signal de départ a été lancé. On apprenait avec indignation que le gouvernement du Québec avait pris la décision d’accorder 20 millions de dollars provenant du « Fonds vert » à Gaz Métro/Énergir. Cet octroi d’une « aide financière maximale » de 6,7 millions, puis d’une autre de 13,2 millions fut contesté de façon unanime par les groupes citoyens et environnementaux. Ces fonds doivent servir à deux projets d’extension du réseau de distribution du gaz naturel sur les territoires desservis par le réservoir de Saint-Flavien dans Lotbinière. On vise l’expansion des réseaux de distribution d’hydrocarbures dans la région de Thetford Mines et l’autre en Beauce. En moyenne, les contribuables québécois et québécoises paient 75 % de la facture de ces projets d’agrandissement du réseau. Un geste qui constitue une inquiétante perversion dans l’utilisation des sommes consacrées à la transition énergétique. En ce sens Gaz Métro aime bien présenter son gaz conventionnel ou non, comme une énergie de transition. Au Québec, on transit sur le très long terme et en subventionnant massivement la consommation d’hydrocarbures.
Le gouvernement est allé puiser dans le Fonds vert pour financer l’installation de nouvelles conduites pour transporter le gaz naturel vers de futurs clients de Gaz Métro/Énergir. La construction devrait débuter à l’été 2018, selon ce que précise l’entreprise. Il est important ici de rappeler que le Fonds Vert a été créé en 2006, et qu’il a été institué en vertu de la Loi sur le Ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (RLRQ, chapitre M-30.001) afin de favoriser le développement durable du Québec par la protection de l’environnement, la préservation de la biodiversité et la lutte contre les changements climatiques. Le Fond Vert devrait constituer un puissant levier financier pour développer l’économie du 21e siècle, une économie moderne, innovante et plus sobre en carbone. Mais, un milliard de dollars plus tard, on a récemment appris que les programmes du Fonds n’ont toujours qu’un effet marginal sur les émissions québécoises de gaz à effet de serre (GES). Cette réalité est confirmée par les derniers états financiers de l’organisme. Des résultats qui donnent raison aux dires de l’opposition qui martèle « que le programme n’est dans les faits qu’une « hausse d’impôt déguisée ». Et nous verrons que pour la préservation de la biodiversité dans le cas de Gaz Métro/Énergir, on repassera.
Dépendance chronique aux Fonds publics
Dans les années 1990, Léo-Paul Lauzon critiquait vivement l’entreprise Gaz Métropolitain (décidément les changements de nom sont une habitude). La société désirait à ce moment mettre la main sur le réseau d’aqueduc des Montréalais et Montréalaises. Il soulignait avec documentation à l’appui qu’au fil des ans, l’État avait grassement subventionné Gaz Métropolitain. Il soulignait que Gaz Métropolitain était une société opérant en situation de monopole au Québec, et que ses tarifs pouvaient être ajustés pour atteindre le rendement visé. Des tarifs qui étaient établis à l’avance par la Régie du gaz naturel. Il s’agissait donc à ce moment d’une société assistée de l’État, et assurée d’un rendement presque sans risque.
Malgré tout, le monopole privé est un abonné de longue date aux fonds de l’État et a obtenu pour un montant de 414.3 millions de dollars en subventions diverses au milieu des années 90. C’est donc dire que pour ses investissements en infrastructures totaux de 2.2 milliards de dollars à cette période, près de 19% ont en fait été financés par l’État. En 1995, par exemple, la société a consacré 82.0 millions de dollars à des projets d’extension du réseau, dont 35.8 millions de dollars (43.6%) ont été subventionnés directement par le programme Travaux d’infrastructures Canada-Québec. Avec l’argent du Fonds Vert, on constate que rien n’a changé.
Les compagnies d’exploration et d’exploitation de gaz naturel comme les autres entreprises du domaine des énergies fossile ont droit au Canada à une pléthore d’avantages fiscaux. Entre autres, les sommes investies dans l’exploration sont passées entièrement en dépense dès la première année, et celles liées au développement sont amorties fiscalement au taux élevé de 30%. Ces amortissements accélérés permettent généralement aux compagnies de reporter tous leurs impôts sur le revenu. Les entreprises qui réalisent des pertes fiscales ont même la possibilité de transférer ces pertes à des individu.e.s qui achètent des actions accréditives. Évidemment, tous ces avantages fiscaux pour aider l’exploration et l’exploitation des ressources coûtent très cher à l’État. Bref c’est l’assistance de l’État qui permet depuis des décennies de maintenir le secteur économique des énergies fossiles à flot, et génère les bénéfices qui justifient les millions en salaire que se versent les dirigeants.
2018, un moment charnière
Malgré les dires, Gaz Métro/Énergir est fin prête pour passer à l’action dans Lotbinière. En décembre 2011, la Commission de la protection du territoire agricole a autorisé l’entreprise à prolonger son réseau de distribution de 28 kilomètres. Elle peut donc raccorder deux puits de gaz de schiste localisés dans les municipalités de Leclercville et de Saint-Édouard-de-Lotbinière. Dans le cadre de différents processus d’autorisation préalables, et en catimini ; les quatre municipalités concernées par le projet de gazoduc ont confirmé que le projet respecte tous les règlements municipaux. De plus, les conseils municipaux des quatre municipalités, de même que le conseil de la MRC, ont donné un avis favorable au tracé proposé pour la canalisation. Bien entendu lors de ces autorisations, peu de personnes étaient informées sur les problématiques de cette industrie et sur la menace environnementale que représente ses activités d’exploitation. Non sans controverse, Gaz Métro/Énergir par le biais de l’Union des Producteurs Agricoles a aussi obtenu le consentement des 28 propriétaires de terres concernés pour l’installation de son réseau sur leurs propriétés agricoles. Il semble par contre que l’UPA ait maintenant beaucoup plus de réserve sur ce type de projet utilisant les terres arables de la province. L’entreprise aurait établi des contrats pour 10 ans dans le cadre de son démarchage intéressé. Elle n’aurait que jusqu’en 2021, pour débuter les travaux pour le gazoduc. Les pilotes de fracturation doivent être concluants avant ! On doit débuter rapidement si on ne veut pas tout recommencer.
Les propriétaires ont exprimés leur impuissance face au procédé utilisé par Gaz Métro/Énergir pour obtenir un « consentement ». Selon eux, la démarche de persuasion du monopole gazier ne tenait pas réellement compte des intérêts des citoyens et citoyennes . Si les propriétaires ne signaient pas d’accord avec Gaz Métro/Énergir, on leur laissait entendre qu’ils seraient expropriés, et devraient payer pour les frais légaux de leur défense. « On ne peut pas parler d’entente de gré à gré quand une des deux parties a le pouvoir d’exproprier l’autre » soulignait un propriétaire du village de Saint-Edouard de Lotbinière. L’entente prévoirait une compensation tournant autour de 10 000 $, et pouvant dans certains cas aller jusqu’à 50 000 $ par propriétaire pour le passage du gazoduc. On a littéralement acheté le consentement des gens. Ce procédé a toutes les apparences d’un abus de pouvoir. On menace de recourir à des pratiques compatibles avec l’implantation d’un service public de distribution ; mais pour construire une canalisation qui vise à atteindre la rentabilisation de l’approvisionnement et d’une installation de stockage. Le gazoduc fera-t-il parti des infrastructures financées au bénéfice de Gaz Métro/Énergir par le Fonds vert ? Infrastructures dont le début des travaux est prévu à l’été 2018 ? Avant l’échéance des ententes qui serait en 2021 ?
Réactivation des puits
A ce jour, le puits situé à Leclercville est toujours en attente d’essais de faisabilité. Le puits foré par Talisman Energy pour le compte de Gaz Métro/Énergir, et qui a laissé fuir du gaz naturel pendant de longues années après avoir été l’objet d’opérations de fracturation hydraulique serait prétendument colmaté. Pour ce qui est du puits de Saint-Édouard-de-Lotbinière, l’entreprise Questerre a annoncé en février dernier qu’elle désirait reprendre ses activités, maintenant que l’environnement légal du Québec est favorable à l’industrie. Le projet de loi sur les hydrocarbures avait été adopté en décembre 2016. Le gouvernement de Philippe Couillard avait imposé le bâillon pour forcer l’adoption du volumineux projet de loi de quelques centaines d’articles, quatre projets de règlements aux fins d’étude dans le cadre de la Loi sur les hydrocarbures qui doit entrer en vigueur d’ici la fin 2017.
Intragaz, pour Gaz Métro/Énergir a développé les techniques modernes de forage permettant de telles exploitations. Le forage en déviation à partir d’un seul point a été utilisé au départ pour le puits conventionnel de Saint-Flavien. Des puits peuvent être l’objet d’opération simplement par déviation du forage ou par forage horizontaux à partir d’une même tête de puits. L’intérêt de ces puits horizontaux que l’on veut expérimenter dans la région par fracturation est d’optimiser la surface d’échange entre le puits et la roche-réservoir. Le drain étant beaucoup plus long dans la roche-réservoir, les puits horizontaux peuvent théoriquement avoir des productivités jusqu’à dix fois supérieures aux puits verticaux.
Intragaz a développé une expertise dans les forages horizontaux et nul doute qu’elle veut appliquer ses connaissances à la fracturation dans la Forêt Seigneuriale Joly de Lotbinière où sont situés les deux puits en attente. En réalisant ses forages pour créer le réservoir de stockage de gaz de Saint-Flavien, l’entreprise veut simplement rentabiliser l’expertise acquise. Intragaz société de Gaz Métro/Énergir opère présentement plus de huit kilomètres de drains horizontaux qui connectent six puits, lesquels ont permis d’accroître avec succès la capacité d’entreposage afin d’approvisionner le réseau Gaz Métro. Ces travaux se sont fait sur la base de réservoir naturellement étanche, sans procédé de fracturation.
Dans la majorité des cas, Intragaz (Gaz Métro/Énergir) a exploité seule ses permis. Par contre, l’entreprise n’a pas à ce jour les ressources pour les multiples opérations de forage requises pour évaluer la mise en exploitation des puits de la région. Ainsi, des ententes d’affermage visant à évaluer la faisabilité de la fracturation hydraulique ont été conclues avec Talisman Energy (maintenant Repsol) en 2006 concernant son permis de Villeroy et Gastem en 2007 pour celui de Joly. Ces deux sociétés ont par la suite procédé à des forages et continuent d’analyser le potentiel de ces sites. Les puits de Leclercville et de Saint-Edouard sont aussi objets d’ententes du même type. On doit bien saisir ici que peu importe qui détient le permis, et qui mène les opérations d’affermage des sites, le client ultime pour la distribution du gaz est le monopole Gaz Métro/Énergir.
Sur le terrain dès l’été 2018 ?
Le cœur de la mise en œuvre de ces projets c’est la forêt de Lotbinière. Les deux puits de Lotbinière y sont, et c’est le secteur où le potentiel de rentabilité est le plus grand. Les sites y seraient riches en gaz, et ce sont des sites de proximité pour les réservoirs de Saint-Flavien. De récents indicateurs laissent entendre que les intentions de relance des activités de fracturation dès l’été 2018 pourraient y être bien réelles. On l’a vu, les cadres réglementaires ont tout récemment été adaptés par le gouvernement afin de faciliter la mise en opération de ces projets.
Sur terrain que l’inquiétude persiste. Les deux puits de Lotbinière sont dans la forêt seigneuriale Joly de Lotbinière. Le gazoduc partant de Saint-Flavien doit traverser vers le nord une portion de la Forêt seigneuriale, contourner la réserve écologique Lionel Cinq-Mars, et prendre la direction ouest pour joindre le puits de Leclercville. La majeure partie du tracé est donc dans la forêt publique, gérée par nos ministères gouvernementaux qui s’évertuent à ajuster les lois en fonction d’accommoder ces projets. Par contre, ce que peu de personnes savent, c’est que ce secteur où sont localisés les puits est ciblé depuis 2012 comme le lieu pour établir une réserve de la biodiversité. La proposition est étrangement bloquée depuis dans les officines des ministères qui gèrent la forêt publique. La conservation des forêts anciennes du secteur semble bien loin des préoccupations des gestionnaires. A preuve, la zone de protection pour les sites de conservation dans le règlement sur l’exploitation des hydrocarbures a été établie à 60 mètres. Pourquoi vous pensez ? C’est une distance qui permet « de facto » l’exploitation du puits de gaz de Saint-Edouard qui est situé à 55 mètres de la réserve écologique Lionel Cinq-Mars. Ce constat fut un choc pour les gens qui suivent le dossier. De toute évidence les efforts des dizaines de lobbyistes au service de Gaz Métro/Énergir pour défendre le projet de gazoduc dans la forêt ont été couronnés de succès.
Lors des toutes récentes consultations sur les projets quinquennaux de coupe du Ministère des forêts de la faune et des parcs (MFFP). Le secteur forestier entre le puits de Saint-Edouard et celui de Leclercville, qui sont dans la zone ciblée pour la réserve de biodiversité, faisait partie des plans de coupe. Ce plan allait pourtant contre la logique la plus élémentaire de conservation, car il bloquait toute possibilité d’expansion de la trop petite Réserve écologique Lionel Cinq-Mars qui est présentement menacée. Ces plans de gestion des coupes forestières transmettaient l’étrange impression que les Ministères avaient décidés d’éliminer la totalité des arbres matures sur le chemin du futur gazoduc de Gaz Métro/Énergir. On a la nette impression que les dirigeants d’entreprise et les autorités gouvernementales mentent à la population lorsqu’ils parlent de la nécessité d’une acceptation pour la population. On tente d’endormir la population, tout en préparant « en catimini » le terrain.
Ce qui importe, c’est ce qu’on ne dit pas
L’entreprise Gaz Métro/Énergir et l’installation Intragaz seront au cœur de la relance du gaz de schiste au Québec. Le monopole de la distribution du gaz au Québec préfère travailler derrière les portes closes afin de ne pas attirer l’attention du public. Mais dans les officines des ministères, les lobbyistes s’activent afin de retirer un à un les obstacles à la conduite de gaz de Lotbinière. Nos dirigeants et dirigeantes politiques sont bien au courant de ce que l’entreprise a dans ses plans, mais prétendent toujours voir aux intérêts de la population. L’exercice politique actuel c’est de cadrer l’acceptabilité sociale, de la limiter à l’acceptation par les personnes élues régionales. Les groupes citoyens ne doivent pas être dupés par ces stratagèmes de ces bénéficiaires de nos programmes de « Bien-être » corporatif.
Normand Beaudet
Citoyen du village de Leclercville.
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