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Le Monde

Rentable préparer l’omnicide !

En temps de pandémie les énormes dépenses sur les armes nucléaires ont continué à plein régime

« Préparer l’omnicide - c’est très rentable, » a déclaré dans une récente interview Daniel Ellsberg, célèbre dénonciateur et militant anti-armes nucléaires. « Northrop Grumman, Boeing, Lockheed, et General Dynamics gagnent beaucoup d’argent en se préparant à une telle guerre. Les membres du Congrès reçoivent des contributions de campagne ; ils attirent des voix dans leur district et dans presque tous les États pour s’y préparer. »

7 juin 2021 | tiré du site The Intercept | traduction David Mandel

Les investisseurs sont d’accord. Lors d’une conférence en 2019, le directeur général de la banque d’investissement Cowen Inc. a interrogé le PDG de Raytheon à ce sujet. « Nous sommes sur le point de sortir du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire avec la Russie, » a déclaré ce dirigeant de Cowen. Cela signifie-t-il que « nous obtiendrons vraiment un budget de la défense qui profitera vraiment à Raytheon ? » Le PDG de Raytheon a répondu joyeusement qu’il était « assez optimiste » quant à l’orientation de choses.

Un nouveau rapport d’ICAN (la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaire) examine en détail qui gagne tout cet argent radioactif et pourquoi. ICAN a obtenu le prix Nobel de la paix en 2017 en reconnaissance de son travail « pour attirer l’attention sur les conséquences humanitaires catastrophiques de toute utilisation d’armes nucléaires et pour ses efforts novateurs pour parvenir à une interdiction de ces armes fondée sur un traité. »

Il y a actuellement neuf pays qui possèdent des armes nucléaires : les États-Unis, la Chine, la Russie, le Royaume-Uni, la France, l’Inde, le Pakistan, Israël et la Corée du Nord. L’ICAN a calculé qu’ils ont dépensé collectivement 72,6 milliards de dollars en 2020 pour les armes nucléaires.

Les É-U étaient responsables d’un peu plus de la moitié de cette somme apocalyptique, à $37,4 milliards. Selon le Congressional Budget Office, les dépenses nucléaires américaines augmenteront fortement bientôt en raison des plans de mises à niveau technologiques, atteignant $41,2 milliards l’année prochaine et totalisant $634 milliards au cours des années 2021-2030.

La Chine est arrivée deuxième en 2020 avec un montant estimé à $10,1 milliards. La Russie était troisième avec $8 milliards. Au cours d’une année où l’économie mondiale a été aplatie par la pandémie, les dépenses nucléaires ont continué sur leur trajectoire ascendante.

Mais ces chiffres sont probablement sous-estimés. « Il y a toujours plus [de dépenses nucléaires] … et encore plus dans l’ombre », a déclaré Susi Snyder, co-autrice du rapport et directeur général du projet Don’t Bank on the Bomb. Snyder souligne que « les gouvernements, en particulier les États-Unis, le Royaume-Uni, [et] la France exigent aux autres toujours de la « transparence »... mais ne se conforment pas aux normes eux-mêmes. »

Une grande partie des dépenses nucléaires américaines consiste en des contrats rentables avec des sociétés privées. Les quatre sociétés qui, selon Ellsberg, amassent de l’argent « pour se préparer à la guerre » ont en effet reçu le plus d’argent en 2020 :

Northrop Grumman — $13,7 milliards
General Dynamics — $10,8 milliards
Lockheed Martin — $2,1 milliards
Boeing — $105 millions

Ces énormes contrats créent des incitations évidentes pour ces entreprises à faire pression pour plus de dépenses gouvernementales sur Armageddon, et elles le font assidûment. En effet, le lobbying est incontestablement leur investissement le plus rentable. Selon le rapport de l’ICAN, pour chaque dollar dépensé en lobbying, ils ont reçu 239 $ en contrats d’armes nucléaires.

Il y a en fait beaucoup plus de lobbying que ce qui se passe par son nom. Dans le documentaire de 2006 « Why We Fight », le journaliste Gwynne Dyer a expliqué que le président Dwight Eisenhower considérait que le complexe militaro-industriel avait en fait trois composantes : l’armée, les sociétés de défense, et le Congrès. Mais maintenant, a déclaré Dyer, il y en a un quatrième : les « think tanks » (groupes de réflexion), qui font pression en faveur des politiques de leurs bailleurs de fonds sous un mince vernis de recherche scientifique.

Selon le rapport, les entreprises tirant profit des armes nucléaires ont contribué $5 à $10 millions à des think tanks en 2020. À elle seule, Northrop a dépensé au moins $2 millions pour en financer neuf, dont l’Atlantic Council, la Brookings Institution, le Center for A New American Security, et le Centre d’études stratégiques et internationales.

Ce rapport d’ICAN fait partir d’une stratégie qui vise à rendre les armes nucléaires aussi taboues que les armes chimiques et biologiques le sont actuellement. ICAN a été une force-clef derrière le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, adopté en 2017 aux Nations Unies. Ce traité rend illégale toute activité liée aux armes nucléaires. Il a été signé par 86 pays, et ratifié par 54. Il est entré en vigueur en janvier dernier.

Aucune des puissances nucléaires n’est évidemment signataire. Mais il ne faut pas qu’elles le soient pour que le traité mette un nœud coulant autour de ces pays et de leurs entreprises qui devrait se resserrer avec le temps. Par exemple, Airbus produit des missiles pour l’arsenal nucléaire français. Mais il a son siège aux Pays-Bas, donc si ce pays ratifie le TPNW, il ne pourrait plus le faire.

Cette menace financière a attiré l’attention des actionnaires de ces sociétés nucléaires. Snyder note qu’une résolution des actionnaires de Northrop en 2020 indiquait que la société a « au moins 68,3 milliards de dollars de contrats d’armes nucléaires en cours, qui sont désormais illégaux en vertu du droit international ». La résolution a obtenu un soutien de 22%. Une résolution similaire de Lockheed a obtenu plus de 30%. Le Groupe KBC, la 15e banque d’Europe, a annoncé qu’il ne financerait aucune activité liée aux armes nucléaires en raison du TPNW.

Le succès nécessitera évidemment une campagne à long terme et un activisme accru à travers le monde. Mais la trajectoire va dans le bon sens. « Les jours de dépenses en toute impunité sur les Armes de destructive massive », estime Snyder, « ont comptés ».

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