Édition du 7 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Éducation

Marchandisation de l’éducation

De l'éducation humaniste à l'éducation marchande

De plus en plus, on nous dit « qu’étudier est un investissement rentable. » Comment sommes-nous passé-e-s d’une société prônant le droit à l’éducation (l) à une société considérant l’éducation comme une vulgaire marchandise ?

(Tiré du journal L’Ultimatum)

L’université humaniste

À ses débuts au XIe siècle, l’université était très influencée par l’Église catholique. Une de ses missions était de servir d’outil de reproduction du clergé. À toutes fins pratiques, elle était une grosse machine où l’on faisait rentrer de jeunes hommes d’un côté, pour qu’il en ressorte de l’autre côté des hommes prêts à servir les fins de l’Église.

Cette vision de l’éducation fut remise en question au XVIIIIe siècle. Les Lumières -un mouvement culturel et philosophique qui cherche à se défaire de la superstition et de l’oppression de l’Église et de l’Étal -critiquent l’emprise de 1’Église sur l’université. Selon les penseurs de l’époque, l’université devrait plutôt être un lieu d’émancipation où le partage du savoir, la collégialité et l’esprit critique devraient être mis de l’avant. Ce modèle d’éducation, un modèle humaniste, est celui qui fût le plus répandu dans le monde jusqu’en 1980.

Au Québec, cette vision de l’éducation était entre autres présente dans le rapport Parent, le rapport fondateur des cégeps et du réseau des universités du Québec. Ce dernier avançait également qu’il devait y avoir un équilibre à l’intérieur de l’université. Cet équilibre devait se faire entre les exigences de la sphère économique et une vision de l’éducation la définissant comme un droit et un bien commun, Phs spécifiquement, il devait y avoir un compromis entre une formation créant des travailleuses cl des travailleurs compétent-e-s dans leur domaine et des citoyen-ne-s doté-e-s d’un esprit critique pouvant leur permettre de remettre en question les dérives modernes.

Un changement insidieux

Malheureusement, cet équilibre n’existe plus. Depuis le début des années 1980, la mission première de l’université n’est plus la transmission du savoir, mais bien la production d’argent. Pire encore, cette transformation se fait d’une manière insidieuse : plutôt que d’être issue d’un débat de société, elle est imposée par des regroupements d’élites économiques mondiales comme le Fonds Monétaire International (FMI), la Banque mondiale et l’Organisarion de coopération et de développement économique (OCDE)(2) dans un processus de mondialisation de l’éducation supérieure, et ce, souvent à l’encontre de la volonté des communautés universitaires.

Ce genre de changement est souvent le résultat de l’application de plusieurs réformes à première vue déconnectées : l’assurance-qualité, les subventions de recherche ciblées et le changement de mode de financement des universités. Ce ne sont que quelques exemples que l’on a pu observer au Québec dans les dix dernières années. Il est bien important de comprendre que ces mesures forment un grand tout issu d’un projet politique bien précis. Elles se renforcent entre elles pour former une vision cohérente d’un nouveau monde, d’un renouveau du capitalisme en crise qui tente d’utiliser l’éducation pour relancer la croissance. En ce sens, l’université marchande ressemble beaucoup à celle du XIe siècle : elle devient un outil politique que les riches et les puissant-e-s tentent de s’accaparer pour augmenter leur profit et leur pouvoir.

L’université marchande

L’université marchande est donc un modèle où l’université devient une machine à brevets et à diplômes. L’État finance à coups de millions la recherche et le développement au détriment de l’éducation. Par la suite, les résultats sont revendus aux compagnies privées pour une fraction de leur valeur réelle. On privatise donc les profits et on collectivise les pertes.

Plutôt que de voir l’éducation comme une façon de s’épanouir et de s’émanciper, on nous répète que nous achetons un bien, un diplôme ne servant qu’à avoir accès au marché du travail. Et cette idée a fait bien du chemin : lors de la grève, les personnes déposant des injonctions considéraient qu’elles avaient droit au service quelles avaient acheté !

On nous dit que nos universités et nos cégeps doivent « être rentables ». Le système de santé « coûte » de l’argent à l’État, et pourtant, on comprend bien pourquoi la mission première de ce dernier doit être de soigner la population et non de dégager du profit. Pourquoi devrait-il en être autrement avec une institution qui joue un rôle aussi vital que l’université ?

Face à une droite mondialisée, une mobilisation mondiale

Nous le voyons bien, l’éducation est maintenant dans la ligne de mire de la mondialisation. Partout, nous faisons face à un ennemi commun qui tente de prendre notre éducation pour en faire une marchandise. Et il est clair que seul-e-s, nous ne pourrons pas gagner.

L’ampleur de l’attaque demande une réponse équivalente : la semaine de solidarité internationale est un bon début. Si nous voulons un jour cesser de laisser l’économie diriger nos vies, nous devons comprendre que seule une réelle mobilisation mondiale pourra renverser la vapeur et empêcher le naufrage de l’université et de la société avec elle.


Notes

1. Comme "UQAM, "UQTR, "UQAR, etc.

2. Trois organisations internationales incroyablement influentes sur l’économie planétaire.


Louis-Philippe Véronneau, étudiant en sciences pures

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