Édition du 17 décembre 2024

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France

Dans les Alpes, la solidarité avec les migrants l’a emporté sur la xénophobie

Samedi 21 avril, en plein débat parlementaire sur le projet de loi Asile et Immigration, le groupe d’extrême droite Génération identitaire a mené une action anti-migrants au col de l’Echelle, dans les Hautes-Alpes. Dimanche, militants italiens et français ont franchi la frontière au col de Montgenèvre pour mettre à l’abri une quarantaine de migrants à Briançon.

Tiré de Reporterre.

À 1.762 mètres d’altitude, le col de l’Échelle (Hautes-Alpes) est le plus bas entre la France et l’Italie. Depuis bientôt deux ans, y compris en hiver alors que sa route est fermée, c’est un lieu de passage des migrants. Plus au sud, leur parcours est devenu très difficile par Menton ou la vallée de la Roya (Alpes-Maritime). Depuis ce week-end, l’Échelle est au cœur d’une bataille de symboles. Mi-décembre, 300 manifestants en faisaient l’ascension pour une « cordée solidaire », par moins 15 °C dans une neige abondante, pour alerter sur les dangers de la montagne auxquels s’exposent les migrants.

Ce samedi 21 avril, le groupe d’extrême droite Génération identitaire y débutait une opération de communication pour un tout autre message. Reporterre les a rencontrés au petit déjeuner ce dimanche 22 avril, sur leur campement au milieu des montagnes encore enneigées. Sous un franc soleil, par une température déjà presque estivale, une trentaine de jeunes militants et militantes venues de toute l’Europe montent la garde le long d’une clôture de plastique orange. « Nous avons pris possession du col et matérialisé la frontière pour signifier aux migrants qu’ils ne doivent pas passer », nous explique Marc. Une frontière qui ne se situe plus ici, depuis que l’Italie a concédé à la France une partie de territoire au titre des réparations de la Seconde Guerre Mondiale. Elle est depuis plus à l’est et bien plus bas, autour du bourg italien de Bardonecchia.

« L’Europe aux Européens. L’Europe n’a pas vocation à accueillir toute la misère du monde... », la suite de l’argumentation détaillée par un autre membre du groupe, prénommé Aurélien est un enchaînement des idées d’extrême droite. « Beaucoup d’habitants nous soutiennent et nous ont remerciés », nous assure Marc. Une affirmation qui tranche avec la réputation solidaire de Névache envers les exilés. « Il y a d’énormes richesses d’un côté. Les migrants cherchent à échapper aux misères du monde », dit Michel, habitant solidaire que nous avons rencontré en montant au col de l’Échelle.

Dans la bouche des Identitaires, la police serait absente de cette frontière. Pourtant les témoignages d’habitants font entendre un autre son de cloche. Comme celui du maraudeur Benoit Ducos, qui a sauvé une femme migrante enceinte de 8 mois de la tempête au col du Montgenèvre le 10 mars. Les patrouilles de la gendarmerie et de police aux airs et aux frontières (PAF), jusqu’en motoneige sur les pistes de ski du domaine transfrontalier de Montgenèvre sont bien présentes, dit-il. Au col de l’Échelle, elles reprendront en 4X4 une fois que la circulation sera à nouveau ouverte.

La présence policière oblige les migrants à toujours plus de risques. En mars 2016, Mamadou, un jeune Malien, a eu ses pieds gelés après avoir erré dans la neige. Ce fût l’un des premiers d’une longue liste de personnes gelées. Le 19 août, deux Guinéens ont dévissé de 40 mètres du haut d’une falaise en essayant d’échapper aux gendarmes. L’un est passé par une longue période de coma. Ils s’en sont tirés tous les deux. Pour Bastien, un soutien des migrants rencontré le 21 avril au Refuge, lieu de premier accueil mis-à-disposition par la communauté de communes à Briançon, « c’est la répression qui crée le danger pour les exilés. S’il n’y avait pas de répression, il n’y aurait pas d’accident ».

L’État a toléré le blocage du col de l’Echelle par l’extrême droite

Le coup de communication de Génération identitaire a fait parler jusque sur les bancs de l’Assemblée nationale, réunie pour débattre et voter la loi Asile immigration. Jean-Luc Mélenchon a protesté : ils « se sont autorisés à aller à la frontière repousser dans la neige de pauvres gens […]. Nous demandons au ministre de l’intérieur ce qu’il compte faire pour empêcher que dorénavant les frontières soient protégées par les amis de Madame Le Pen ».

Réponse du ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb : « C’est de la gesticulation [des Identitaires] que nous condamnons. Il ne règne qu’une seule chose, le droit, l’ordre républicain, que nous garantissons partout ».

Dans les Alpes dimanche matin, les Identitaires persistent. « Par cette action, nous montrons que 100 gamins peuvent contrôler le col. L’État peut donc le faire », nous dit Aurélien. Il confirme que son groupe a bien choisi ce week-end pour peser sur le débat parlementaire. « En politique rien n’est dû au hasard », dit-il fièrement. Sur les coups de midi et demi, le camp est démonté. Au bas du col de l’Échelle, non loin du village de Névache, les gendarmes laissent aux militants le temps d’une dernière séance photo. Au moment de la pose, Reporterre ne compte que 50 protestataires, soit moitié moins que revendiqué par le groupuscule.

Puis le gradé des gendarmes assure « entre guillemets, une sorte d’escorte » pour raccompagner les militants d’extrême droite en dehors du département, « en évitant toute confrontation » avec les militants anti-fascistes qui se rassemblent sur le versant italien du col de Montgenèvre. « Éviter tout trouble à l’ordre public et garantir le respect du droit » a été le leitmotiv de la préfecture des Hautes-Alpes tout le week-end. Écoutez sur ce point Jean-Bernard Iché, le Sous-préfet de Briançon.

L’eurodéputé de Turin, Daniele Viotti, a fait le déplacement à Névache pour constater. Si pour ce membre du Parti Démocrate (gauche), « on doit être libre de manifester, il est inacceptable que des citoyens érigent des fausses frontières et s’arrogent le droit de contrôle ». Il va interpeller la Commission européenne sur ses observations de ce dimanche.

« Que se serait-il passé si ces fascistes avaient rencontré des migrants ? », interroge l’eurodéputé. Fort heureusement, à cause d’un enneigement qui reste exceptionnel, le col de l’Échelle n’est pas encore emprunté par les exilés. Ce que nous confirme Paolo Narcisi, de l’association Raimbow 4 Africa, qui gère un lieu de soutien aux migrants à Bardonecchia, en Italie. « Nous les avons dissuadé d’emprunter le col depuis le début de l’hiver, à cause des dangers de la montagne. Aujourd’hui, aucun migrant n’a eu affaire aux Identitaires », dit-il. Les « défenseurs de l’Europe » n’auraient donc « repoussé » personne, contrairement à leurs affirmations. Pour Paolo Narcisi, leur action n’est « qu’une démonstration pour journalistes ».

« Nous n’avons pas abandonné nos montagnes, ni aux fascistes, ni à la police »

La réponse à cette offensive de communication, est venue de la part des soutiens des migrants à 14h ce dimanche 22 avril, alors que quelques skieurs frayaient encore sur les pistes de Montgenèvre. Ils peuvent glisser comme bon leur semble de la France à l’Italie et de l’Italie à la France. Sur le domaine skiable, une quarantaine de migrants, entourés de près de 120 soutiens italiens et français marchent le long de la seule route qui relie Turin à Briançon.

Pour le militant de l’association Tous Migrants, Benoit Ducos, il s’agit de « répondre à ces gens, [les Identitaires], en défendant les droits fondamentaux, ceux de la déclaration de l’Homme, qui assurent le droit d’asile dans le pays de son choix ». La manifestation passe devant le poste frontière sans que les fonctionnaires de la Police aux frontières (Paf), peu nombreux, ne puissent intervenir. Puis elle s’engouffre dans un tunnel routier. A la sortie, un cordon d’une vingtaine de gendarmes en tenue anti-émeute l’attend. Les manifestants contournent le cordon par un talus enneigé. Enfin, après une petite bousculade avec les gendarmes, ils parviennent à poursuivre leur chemin sur la route de Briançon.

Après des heures de marche sous la surveillance des forces de gendarmerie, les manifestants parviennent à rejoindre Le Refuge, lieu de premier accueil à Briançon, aux cris de « Liberta, liberta ». Soulagement pour les migrants. Mattias, qui vient du Cameroun, se dit « fier d’avoir échappé à beaucoup de choses », sur tout son parcours de migration. Alex, originaire du Sénégal, n’a pas trouvé de « solution d’asile en Italie ». Il espère que ce sera le cas en France. Briançon, dont 2 % des habitants seraient des « aidants », ce qui représente 250 personnes au quotidien, offre un nouveau départ. « Nous n’avons abandonné nos montagnes ni aux fascistes, ni à la police », se réjouit Agnès, militante de Tous Migrants. « Ensemble, Italiens et Français, nous rappelons que l’esprit montagnard n’a pas de frontières », poursuit-elle. « Ils voulaient fermer la frontière. Nous, on va l’ouvrir », dit Lisa qui s’investit dans le squat Chez Marcel. Ce dimanche, comme beaucoup d’autres avant eux et beaucoup qui suivront, 40 exilés sont placés sous la protection des citoyens de Briançon.

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