Publié le 13 décembre 2018
Les oliviers du village palestinien de Burin, en Cisjordanie, dans le nord de la Cisjordanie, n’appartiennent pas à ces jeunes hommes, et personne ne leur a donné la permission de récolter des olives dans cette oliveraie à l’ouest du poste de contrôle de Hawara. Ils sont indubitablement juifs, comme l’indiquent clairement leurs kippas blanches, leurs papillotes et leurs franges rituelles tzitzit.
On a demandé à un résident de Burin, qui sera identifié ici seulement comme N., de filmer ce qui se passait. Il a réussi à arriver sur les lieux environ 20 minutes plus tard. Il a appelé la police et, à leur arrivée, 15 à 20 minutes plus tard, il avait réussi à filmer les jeunes hommes donnant des coups contre trois arbres.
Quand les intrus ont aperçu le véhicule de police, ils se sont enfuis. N. a expliqué que la police a ensuite trouvé trois sacs d’olives dans l’une des deux maisons abandonnées de l’oliveraie, dont l’une appartient au propriétaire de ce dernier. La deuxième maison appartient à une famille de Naplouse que les Juifs ont expulsée, au début de la deuxième intifada [qui a commencé en septembre 2000], après avoir jeté dehors tous leurs meubles et leurs biens. Cela s’est passé il y a une vingtaine d’années, et cette famille n’est jamais revenue vivre dans sa maison.
Les deux maisons et les centaines [1 dounam = 1 000 m2] de terres privées qui les entourent sont considérées comme une zone dangereuse et les Palestiniens doivent se coordonner avec l’armée israélienne pour y entrer. La permission n’est accordée que deux ou trois fois par an. Et pourquoi donc cette zone est-elle dangereuse C’est parce qu’elle recèle également une source d’eau. Celle-ci était autrefois utilisée pour irriguer les oliveraies de Burin, mais les Israéliens en ont fait un lieu réservé aux bains religieux rituels et aux loisirs.
C’est également parce que cette zone est près de la colonie juive de Har Bracha et de l’avant-poste non « autorisé » de Givat Ronen. C’est donc pour éviter les « frictions » que les autorités israéliennes interdisent aux propriétaires palestiniens de la terre d’y accéder.
Les policiers ont finalement trouvé les deux jeunes hommes aux franges rituelles sous un grand arbre. N. les a vus être emmenés dans la voiture de police. Lorsque le propriétaire de l’oliveraie est arrivé, il a découvert que d’autres arbres avaient également été cognés de la même manière, apparemment deux ou trois jours plus tôt, et qu’une part importante des olives avait disparu.
Le bureau du porte-parole de la police israélienne pour le district de Cisjordanie a fait la déclaration suivante sur cette affaire : « Grâce à l’action déterminante de la police israélienne, trois jeunes suspects ont été arrêtés pour vol agreste et délits à motivation raciste. L’enquête est toujours en cours, et quand elle sera terminée, l’affaire sera renvoyée pour examen et décision par le Bureau du Procureur de la République. »
Une violence « fonctionnelle » des colons ; s’emparer des terres de Palestiniens
N. a été invité à se rendre au poste de police de la colonie d’Ariel [quelque 20’000 habitants], en Cisjordanie, pour rendre compte de l’incident. Il a raconté que pour prendre note de sa déposition le policier avait utilisé l’extérieur de sa voiture de patrouille en guise de bureau. Et il avait précisé : « Pas à l’intérieur de la colonie, mais vers la porte d’entrée se situant à l’est de la colonie. » N. dit ne pas savoir combien de fois, il a signalé à la police des incidents similaires dans son village, mais que les plaintes des villageois n’ont jamais abouti à des accusations pénales ou à des condamnations qui pourraient dissuader d’autres personnes de commettre ce genre de forfaits.
Selon les chiffres des Nations Unies et les informations fournies par N., le récent vol d’olives est l’un des 48 actes de violence et de vandalisme commis par des civils israéliens à Burin au cours des seules trois dernières années. Il y a eu six attaques en 2016, 18 en 2017 et 24 jusqu’ici, durant cette année 2018. La nature des incidents a varié : raids de civils accompagnés de soldats qui les couvraient ; jets de pierres sur des personnes, dont des bergers et aussi des maisons ; champs et vergers incendiés ; vols d’olives ; abattage ou dégradation d’arbres ; attaques contre des agriculteurs au travail.
Le samedi 20 octobre, les agriculteurs palestiniens étaient autorisés à accéder à leurs terres, près de la colonie de Yitzhar [au sud de Naplouse, occupée pour l’essentiel par des Juifs orthodoxes] uniquement pour récolter des olives et après une coordination avec l’armée. N. raconte que lorsqu’un des agriculteurs dont l’oliveraie est située dans l’oued est venu récolter ses olives, il y a constaté la présence d’une jeep militaire. Alors que les soldats dans la jeep regardaient, 12 Israéliens sont descendus de l’un des avant-postes qui se multiplient autour de Yizhar et ont commencé à lui lancer des pierres. Mais quelqu’un a appelé la police des frontières et à leur arrivée, les intrus se sont dispersés. Suite à cet incident, l’agriculteur a reçu l’autorisation spéciale de travailler sur sa parcelle un jour supplémentaire – mardi 30 octobre.
Deux semaines plus tôt, le 13 octobre, N. était présent lors d’une récolte d’olives sur des terres appartenant à des villageois de Burin et Hawara, au sud de Givat Ronen. Les choses se sont passées de manière similaire à l’incident décrit ci-dessus : des Israéliens sont descendus de l’avant-poste pour jeter des pierres, faisant fuir les cueilleurs d’olives. Ensuite l’un des Israéliens s’est approché des bâches sur lesquelles les olives avaient été collectées, il a jeté les olives dans le taillis et s’est emparé des bâches. « Et tout cela a été enregistré sur une vidéo » a ajouté N.
Depuis 2016, des individus Israéliens organisent des raids dans les villages voisins, il y en a eu 16 à Urif et 35 à Hawara. Selon les chiffres des Nations Unies, sur les 99 attaques documentées dans ces trois villages voisins, 13 étaient des incendies criminels. Au moins 1 700 arbres et de nombreuses cultures ont été vandalisés dans les trois villages au cours des trois dernières années.
Madama, Asira al-Qibliya et Einabus figurent également sur la liste des villages qui ont été attaqués sur le même territoire de 25 kilomètres carrés (16 miles). Cette zone ne représente qu’une petite partie – un demi pour cent – de la Cisjordanie, et un récent rapport publié par l’organisation israélienne de défense des droits humains Yesh Din, porte sur cet épicentre de violence. Le rapport s’intitule « Yizhar – Une étude de cas, La violence des colons comme moyen de s’emparer des terres palestiniennes avec le soutien de l’État et de l’armée. »
Il y a eu d’autres cas dans la région. Yesh Din a récolté des données sur 275 attaques contre ces six villages entre 2008 et 2018, attaques qui auraient été commises par des citoyens israéliens. Dans 167 des cas documentés, les victimes palestiniennes ont porté plainte auprès de la police. En mai de cette année, 152 plaintes avaient été traitées. Seulement cinq des plaintes (soit 3%) ont abouti à un acte d’accusation, tandis que 117 (77%) ont été fermés parce que l’auteur n’a pu être identifié. Vingt-deux autres cas (14%) ont été classés en raison d’un manque de preuves.
Ces statistiques et le taux de cas d’impunité sont similaires aux données qui ont été recueillies sur les crimes contre des Palestiniens pour l’ensemble de la Cisjordanie. Rien qu’en octobre, les organisations israéliennes de défense des droits humains, B’Tselem et Yesh, ont documenté 12 cas d’attaques contre des cueilleurs d’olives ou des dommages infligés aux arbres qui auraient été commis par des Israéliens en Cisjordanie centrale.
La police filme, mais ne voit rien…
En réponse au présent article, le bureau du porte-parole du district de la police israélienne en Cisjordanie a déclaré qu’il n’était pas au courant des statistiques et qu’il ne pouvait pas déterminer leur fiabilité.
L’armée et la police savent toutes les deux que les plantations qui ont été dégradées ont déjà été attaquées par le passé et sont donc sujettes à de telles agressions de la part d’Israéliens. L’accès des Palestiniens à leurs plantations est généralement très restreint. Depuis le début de la deuxième intifada, qui a éclaté en 2000, l’accès a généralement été limité à deux ou trois fois par année. Chaque attaque dégrade en général des dizaines d’arbres, ce qui tend à prouver que plusieurs personnes sont impliquées.
Lorsque les oliviers sont jeunes, ils peuvent être facilement déracinés, mais les arbres plus anciens nécessitent une scie électrique. Cela signifie que l’attaque exige de la planification, et même avec deux scies il faut du temps pour les couper et cela fait beaucoup de bruit. Si les agresseurs peuvent réussir leur forfait c’est donc qu’ils se sentent assez confiants que même s’ils étaient pris ils ne seraient pas punis.
Les zones en question sont parsemées de caméras de surveillance de l’armée [pour surveiller les Palestiniens]. Parfois, les attaques (principalement des incendies criminels et des agressions contre des moissonneurs) ont même été perpétrées en présence de soldats. Les dommages matériels infligés sont importants et les dommages émotionnels ne peuvent être quantifiés.
Muhammad Awwad, du village de Turmus Ayya, a 80 ans. L’agriculture est sa principale source de revenus et il est considéré comme l’un des principaux agriculteurs de la région. Il a raconté à Iyad Haddad, qui effectue des recherches de terrain pour B’Tselem, à quel point il a été choqué lorsqu’il est arrivé dans son oliveraie le 7 octobre, en coordination avec l’armée et a découvert que des dizaines d’oliviers avaient été détruits, leurs branches tranchées au niveau du tronc. « Je pensais que je délirais », a-t-il dit.
Ces oliviers d’une qualité supérieure avaient été plantés il y a 40 ans. Un officier de coordination et de liaison de district l’Administration israélienne, ainsi qu’un policier et un soldat, sont arrivés sur les lieux, mais Awwad a dit à Haddad de manière catégorique : « Je n’ai pas envie de perdre mon temps à déposer une plainte, cela ne vaut pas la peine, les résultats sont connus à l’avance. »
En fait, ces dernières années, les chercheurs de B’Tselem et de Yesh Din ont constaté une nette diminution du nombre de victimes palestiniennes qui se plaignent à la police suite à de tels incidents.
Abou Atta du village d’Awarta a bien déposé une plainte en octobre 2017 pour le vol de ses olives. C’est un officier israélien de l’Administration israélienne de coordination et de liaison du district qui a surpris le citoyen israélien en train de voler des olives dans le verger palestinien près de l’entrée de la colonie d’Itamar [sud-est de Naplouse, à 28 kilomètres de la « ligne verte », quelque 15 000 habitants]. Il y avait donc de bonnes chances pour que la plainte fasse l’objet d’une enquête et donne lieu à un acte d’accusation et puisse servir d’exemple, d’autant que. l’officier avait photographié le voleur et s’était même donné la peine de rechercher Abu Atta, le propriétaire du terrain et l’a aidé à porter plainte.
Une enquête classée
Une équipe de Yesh Din et l’avocat Michael Sfard ont cherché à suivre les progrès de l’enquête sur ce vol des olives d’Abu Atta, mais pendant six mois ils n’ont reçu aucune information. C’est en août qu’à leur grande surprise ils ont appris qu’il avait été décidé de classer l’affaire sans même interroger le suspect. Sfard a écrit à l’avocat et à l’officier israélien Gil Deshe, de la police israélienne du district de Samarie, pour demander les raisons de cette décision. Il a également demandé qu’un représentant de Yesh Din soit autorisé à photocopier le dossier d’enquête.
Fin septembre, Deshe a répondu que le dossier avait été classé car il ne présentait pas d’intérêt public, et c’est pour cette raison qu’il n’a pas voulu permettre que le dossier soit copié. Par la suite, Sfard a fait appel contre le classement de l’affaire. Ce n’est qu’à la suite de questions posées sur par Haaretz, il y a 10 jours, que Sfard a été informé que le dossier pouvait en fait être copié.
M. Sfard a expliqué à Haaretz : « Cette histoire n’est pas différente de celle de centaines d’autres affaires qui ont été classées sans[que l’on interroge les suspects, sans acte d’accusation et sans même une véritable enquête … Ce qui était nouveau cette fois, c’est que j’ai reçu une confirmation officielle de la part du système d’application de la loi de ce que nous savons depuis longtemps, à savoir que les dommages infligés à un agriculteur palestinien ne les intéresse pas. » Dans ses commentaires sur la réponse officielle de Deshe, Sfard a expliqué que Deshe avait « tellement intériorisé l’esprit du temps » qu’il a même oublié de se livrer à une « mascarade » et avait « simplement dit la vérité, à savoir l’affaire était close parce qu’elle ne présentait pas d’intérêt public ».
Pour sa part, le bureau du porte-parole de la police israélienne en Cisjordanie a déclaré qu’aucune demande de photocopie du dossier n’avait été reçue par le bureau du procureur. « Et dans la mesure où le plaignant souhaite le faire, il doit présenter une demande en bonne et due forme ». Mais il n’a pas expliqué pourquoi l’affaire avait été classée pour manque d’intérêt public.
Suite à l’appel déposé par Sfard, le bureau du porte-parole a déclaré : « l’accusation examine le dossier d’enquête et les preuves existantes. »
Le bureau du porte-parole a également déclaré qu’au cours du mois dernier, la récolte des olives a eu lieu en Cisjordanie et que « des forces de sécurité sont déployées sur le terrain pour prévenir les frictions entre les différentes populations, permettant ainsi aux Palestiniens de récolter les oliviers qu’ils possèdent dans leur région ».
« La police israélienne considère tout acte de violence ou de brutalité comme grave et, par conséquent, chaque fois qu’elle reçoit une plainte, elle fait l’objet d’une enquête approfondie pour établir la vérité, indépendamment de l’origine ou de l’identité de la victime ou du délinquant, ou du lieu de la violation. Les statistiques présentées [montrant que la plupart des affaires ont été classées] ne sont pas connues de la police, et l’étendue de leur fiabilité n’est pas établie ».
Et le bureau du porte-parole de la police israélienne a poursuivi : « Ce qui est clair, c’est que ces dernières années, la police s’est efforcée d’arrêter et de poursuivre un grand nombre de suspects pour avoir causé des dommages et volé des biens palestiniens. Par conséquent, malgré le taux relativement faible de plaintes concernant les dommages causés aux biens agricoles, la police agit généralement de sa propre initiative, en lançant une enquête et des opérations d’application et de prévention, en collaboration avec l’armée et les forces de sécurité israéliennes. La police israélienne continuera d’agir de manière décisive, ouverte et secrète, avec les autres forces de sécurité de la région et aux points de friction, pour prévenir de tels incidents, faire respecter la loi [et] enquêter ainsi que poursuivre les personnes impliquées. »
Amira Hass
Article publié dans le quotidien Haaretz, le 5 novembre 2018 ; traduction A l’Encontre
Un message, un commentaire ?