Le 27 avril dernier, au cours d’une Assemblée de l’association étudiante de la Faculté du Droit, les quelques 600 participants et participantes ont voté en faveur de cette mesure de protestation(l’occupation). Dans le communiqué émis par cette assemblée, les étudiants et étudiantes dénoncent non seulement le cas particulier d’abus à l’encontre de leur camarade, mais ils et elles protestent aussi face à “une institution depuis longtemps dépassée, incapable d’offrir des solutions concrètes aux problèmes que doivent affronter les femmes...”
Rapidement, cette mobilisation et les revendication des femmes ont été reprises par les étudiantes des autres universités et se sont mêmes étendues jusqu’aux institutions d’enseignement secondaire, en différents points du pays. Et une journée nationale de protestation féministe est prévue. De plus, ce mouvement de protestation a élargi son champ de revendications, et il recouvre l’ensemble des thèmes en rapport aux abus et à la discrimination que subissent les femmes. Le 16 mai dernier, une imposante manifestation féministe, formée d’un long cortège de milliers de personnes, a occupé le centre ville de Santiago. Un sondage mené par CADEM suite à cette manifestation, indique que 69% des répondants sont en accord avec les revendications des femmes ( quoique 71% d’entre eux désapprouve le fait que certaines femmes aient marché les seins nus).
Dans ce contexte de mobilisation, le débat sur le droit à l’interruption de grossesse refait surface. Le mouvement féministe dénonce particulièrement les tentatives du Ministère de la Santé et du gouvernement Piñera de vouloir contourner la loi qui légalise l’avortement, loi qui prévoit aussi de couper les subventions de l’État aux cliniques privées qui refuseraient d’offrir le service d’interruption de grossesse sous prétexte de “objection de conscience institutionnelle”. L’université Catholique du Chili qui dirige l’une des cliniques privées importantes du pays est à l’origine de cette campagne. Depuis lors, “l’objection de conscience institutionnelle” s’est convertie en un instrument efficace de boycott de la loi.
Radiographie des inégalités
• Les données du Registre Civil indiquent que 73 % des enfants ne vivent pas avec leurs deux parents. Même si 85% d’entre eux sont reconnus par leurs pères et mères, la grande parti de ces enfants vivent dans le cadre de familles monoparentales dirigées par des femmes. Le tiers de ces familles se retrouvent dans la couche la plus pauvre de la population.
• Une enquête réalisée durant le gouvernement antérieur(Bachelet) révélait, en fonction des revenus familiaux, que l’apart des hommes (se basant sur le salaire) était de 62,3% alors qu’il était de 37,7% pour les femmes, sans que le niveau de scolarité ne réduise cet écart. Au Chili, les femmes occupent presque la moitié de l’ensemble de la main d’oeuvre active. Cependant, dans des conditions comparables au niveau des tâches, de l’expérience et de l’âge le salaire des femmes salariées est de 25 à 30% plus bas que celui des hommes.
• La discrimination apparait sous plusieurs autres aspects. Ainsi, les jeunes femmes (considérées à “risque” d’être enceintes suivant les critères des compagnies d’assurances privées des soins de santé) doivent payer des cotisations qui parfois sont 200% plus élevées que celles des hommes... Au Chili, sur le total des 61 universités (publiques et privées), seulement 4 recteurs sont des femmes. Alors que 54 % de la population étudiante sont des femmes, la majorité du personnel professoral est, à 56%, composée par des hommes. Au parlement, sur les 205 sièges occupés par les élu.es, seulement 47 le sont par des femmes....
Au chapitre des agressions sexuelles et de la violence faite aux femmes, les chiffres sont révélateurs.
• Le département de la Police, en charge des crimes contre la Famille, informait en avril dernier qu’à toutes les 17 minutes, on reçoit des plaintes de délits sexuels. La police ajoute qu’il y a eu une forte augmentation en 2017.
• Il en est de même concernant la violence que subissent les femmes chiliennes. Selon les données du Ministère de la Santé, il y a en moyenne, par jour, 65 cas d’agression faite aux femmes. Les médias rapportent fréquemment des nouvelles où des hommes ont assassiné leur conjointe, qu’ils ont incendié la maison pour y laisser brûler à l’intérieur femme et enfants, et on nous apprend régulièrement que des femmes sont battues, brutalisées et parfois torturées par leurs conjoints ou ex-conjoints.
Le journal Brecha rapporte, s’appuyant sur les données de la Corporacion Humanas, que plus de 100 000 femmes portent plaintes, chaque année, de subir la violence domestique. Ces chiffres sont en deça de la réalité. En effet, plusieurs femmes tardent plusieurs années avant d’admettre qu’elles sont violentées : soit en raison d’une relation pathologique avec l’agresseur ou, le plus souvent, en raison de dépendances économiques et familiales qui font obstacles à la séparation. Au Chili, de nombreux programmes gouvernementaux et ONG offrent des services de protection aux femmes maltraitées. Mais, du côté des programmes dirigés aux hommes violents, les résultats sont minimes : sur 10 hommes qui s’inscrivent aux programmes de réhabilitation, 1 seul d’entre eux va jusqu’au bout de la thérapie, les 9 autres abandonnent en cours de route.
Racines culturelles du patriarcat au Chili.
Au Chili, ce ne fut qu’en 1994 que l’adultère a été décreminalisé. La loi, jusque là, pénalisait les femmes mais non pas les hommes, exception faite aux infidélités qui provoquaient un “scandale publique”. Jusqu’à la fin du 20ième siècle, le mari était maître et seigneur de tous les biens acquis au cours du mariage par le couple. Cependant, malgré toutes les réformes apportées, le conjoint masculin continue d’être considéré comme l’administrateur de droit de la “société conjugale”.
L’Église (catholique) au Chili a joué un rôle historique fondamental pour prêcher et maintenir les femmes dans un statu de subordination. Son influence s’est imposée dans certaines universités et perdurent des organismes puissants comme “Opus Dei”, le mouvement “Schoenstatt” et les “Légionnaires du Christ”. De diferentes façons, l’Église cultive l’image du rôle traditionnel des femmes soumises et attachées au foyer. En plus des groupes conservateurs attachés au catholicisme, s’ajoute l’influence des églises évangélistes. Ces églises par leurs enseignements s’opposent constamment aux campagnes d’éducation sexuelle et à toutes lois qui seraient favorables à l’équité entre les hommes et les femmes. La vague de protestation qui dénonce le scandale des abus sexuels commis par des membres du clergé (protégés par leurs évêques et la hiérarchie) semble devoir affaiblir l’influence de l’Église.(....)
Les jeunes femmes chiliennes, depuis ces dernières semaines, dressent des barricades dans une sorte de révolution féministe. Cette vague inquiète le gouvernement Piñera qui, pour éviter les débordements, a annoncé récemment des mesures favorables à établir l’équité entre les hommes et les femmes. Certaines de ces mesures sont déjà critiquées, notamment dans le cas de l’assurance privée de santé. Par exemple on reproche au gouvernement qui, au lieu d’abaisser les cotisations exagérés payées par les femmes, propose d’augmenter plutôt celles des hommes. De même, on reproche le laissez-faire de Piñera face au boycott de certaines cliniques de santé qui ne veulent pas se conformer à la loi, refusant d’offrir le service d’interruption de grossesse sous le prétexte de l’objection de conscience institutionnelle.
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