Édition du 14 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections fédérales 2015

Chasser Harper — les raccourcis électoralistes risquent d’être improductifs

Les coups fourrés du Parti Conservateur du Canada (PCC) se multiplient. Après avoir consolidée sa base électorale traditionnelle, en agitant l’insécurité et la peur face à l’étranger, il a lancé son opération de monumentale diversion avec l’affaire du Niqab et a permis la consolidation d’un climat xénophobe habillé en défense de l’égalité des femmes. Toute cette opération avait été clairement planifiée avant mëme le début de la campagne électorale. Il a reçu l’appui du Bloc québécois, qui a relayé sans gêne l’entièreté de cette opération, car il savait qu’il pourrait en retirer certaines retombées positives sur le terrain électoral. La manipulation des angoisses de la population a bouleversé les intentions de vote.

Les sondages, à la fois reflets et opérateurs de cette manipulation, annoncent une remontée du PCC qui se concrétiserait même au Québec. Depuis le début de la campagne électorale, la volatilité de l’électorat est considérable et pour le moins déstabilisante.

Ces opérations sont possibles, car l’ensemble des partis a perdu depuis des décennies la fidélité traditionnelle ( les gens ne sont plus rouges ou des bleus par tradition familiale). La vague orange en 2011 avait été l’expression de cette réalité.

La social-démocratie canadienne a, ces dernières années, distendu considérablement ses liens avec les organisations syndicales, avec les symboles de son identité et de son histoire. L’accession du libéral Mulcair à la direction du NPD a été l’illustration de cette perte de repères.

La décision de la direction Mulcair de mener une campagne au centre de l’échiquier politique est responsable des difficultés qu’il connaît actuellement. Dans une approche d’un pragmatisme à court vue, se voyant déjà au gouvernement, il a calibré ses messages pour rassurer la bourgeoisie canadienne : défense de l’exploitation des sables bitumineux et du transport du pétrole sale par pipelines, budget équilibré comme priorité incontournable, objectif porteur de futures politiques d’austérité, refus d’une refonte radicale de la fiscalité permettant de redistribuer les richesses et de s’attaquer réellement aux inégalités... La reprise de certaines revendications populaires est tout ce qu’il offrait aux classes subalternes : maintien de la livraison du courrier à domicile, augmentation du salaire minimum pour les employéEs relevant du Code du travail fédéral, baisse de l’âge de la retraite, maintien des droits syndicaux. Avec une telle approche, il n’était pas question de construire un front de résistance avec le mouvement syndical et les autres mouvements sociaux aux politiques néolibérales d’Harper...

Chasser Harper — une perspective essentiellement basée sur des tactiques électorales

Il n’est pas étonnant que lorsque les organisations sociales, environnementales et populaires ont discuté collectivement de la nécessité de se fixer comme objectif de chasser Harper, cette volonté ne s’est pas concrétisée par la nécessité de mettre en place un gouvernement NPD. Au sommet des peuples, on a bien parlé de cette nécessité, mais sans oser parler d’une consigne de vote ni des moyens de la construction d’un front de résistance unitaire pour parvenir à cette fin. Les appels en direction du NPD, avant même l’élaboration de sa plate-forme électorale, pour qu’il reprenne les revendications du mouvement syndical, du mouvement écologiste ou du mouvement des femmes n’a pas été l’objet d’aucune campagne publique.

Lorsque les stratégies des centrales syndicales québécoises ont été connues, on a vu qu’il s’agissait d’un appel au vote pour tout-e candidat-e qui aurait une chance de battre un candidat-e du Parti conservateur. Que les candidat-e-s élus soient soumis à la ligne politique des partis en la Chambre des communes, que la politique du Parti libéral du Canada n’offre aucune assurance qu’il ne poursuive pas les mêmes objectifs stratégiques que le PCC au niveau de la politique énergétique comme au niveau des politiques d’austérité, cela n’a même pas été mis en discussion. Cette approche a conduit la FTQ et la CSN à concentrer au Québec leur action sur une dizaine de comtés dans lesquels les conservateurs pourraient éventuellement arracher une victoire. Conséquent, avec cette approche, le travail de porte-à-porte est devenu l’axe de travail de l’intervention des militantEs syndicaux dans cette campagne contre Harper.

Pourtant, comme l’avait déjà démontré la vague orange, ce sont les dynamiques canadienne et québécoise qui sont les moteurs de l’évolution des intentions de vote. La manoeuvre conservatrice à propos du Niqab l’a démontré encore une fois. Au lieu de faire des campagnes autonomes sur les droits syndicaux, contre le développement des inégalités et contre l’instauration d’une démocratie de plus en plus restreinte en s’alliant aux différents mouvements porteurs de la résistance populaire à ces politiques, le mouvement syndical s’est défini comme une simple force d’appoint à quelques campagnes politiques dans les régions les plus conservatrices du Québec.

Le mouvement écologiste et la lutte contre les pipelines

En axant son travail sur une dénonciation de la stratégie énergétique du PCC, le mouvement écologiste a visé juste. Les sorties de manifestes dénonçant les conséquences catastrophiques de cette politique sur le basculement climatique ont marqué des pas dans la consolidation du mouvement de résistance à la construction des oléoducs. La mise sur pied d’un Front commun pour la transition énergétique marquait une nouvelle étape dans le mouvement d’opposition aux choix des pétrolières et des partis à leur service.

Le NPD de Mulcair a été en dessous de tout à ce niveau. Malgré les immenses pressions subies de la part du mouvement contre les pipelines, il a voulu faire montre de son sérieux auprès de l’oligarchie économique dans la défense des choix stratégiques de la bourgeoisie canadienne. Il a affaibli sa capacité d’apparaître comme une véritable force de changement à ce niveau. Et il va y en coûter beaucoup électoralement, car contrairement à ce qu’il prétend, ce que voulait entendre la population québécoise tout particulièrement, ce n’était pas des assurances environnementales au niveau de la transformation du Québec en lieu de transit du pétrole sale de l’Alberta, mais une volonté clairement affirmée d’un refus du développement des énergies fossiles et des mesures pour une véritable transition énergétique. Le Parti libéral du Canada a moins déçu parce que la population n’attendait rien de ce parti à ce sujet...

Le Traité Transpacifique — les agriculteurs se mobilisent...

Le gouvernement Harper a négocié en secret un traité qui s’attaque à la gestion de l’offre en agriculture et qui diminue la capacité du gouvernement canadien et des gouvernements des provinces d’adopter des lois répondant aux besoins de la population et assurant la protection de l’environnement. Le thème du libre-échange s’est imposé dans la campagne à cause de la mobilisation des agriculteurs. Et les partis politiques ont dû se positionner à cet égard. Paniqué par ses reculs sur le plan des intentions de vote, le NPD s’est montré plus ouvert à déchirer cette entente qui va à l’encontre des intérêts des travailleurs, des travailleuses et des agriculteur-e-s d’ici.

Les Premières nations en appellent le futur gouvernement canadien à éliminer la pauvreté que vit leur communauté

Le gouvernement fédéral (quel que soit le parti politique qui le dirige) a toujours eu une politique coloniale contre les Premières nations. Aujourd’hui, il ajoute à sa politique irresponsable face à la pauvreté de ces communautés son agression contre les autochtones avec ces pipelines qu’il veut faire passer sur leurs terres. Le refus d’une enquête sur les meurtres et les disparitions des femmes autochtones est tout simplement odieux. Un rassemblement autochtone va permettre de dénoncer largement les politiques conservatrices

Construire une alternative politique à la gauche du NPD

Ces batailles et l’orientation de la social-démocratie canadienne posent au mouvement syndical et aux autres mouvements sociaux un défi central : la nécessité de construire une alternative politique à la gauche du NPD sur la scène fédérale, capable de présenter à la majorité populaire dans l’État canadien un autre projet de société permettant de porter ces luttes sur le terrain politique. La perspective de la construction d’un parti à la gauche du NPD à l’échelle de l’État canadien est une nécessité incontournable pour en finir avec l’offensive capitaliste et pour réaliser les propositions programmatiques répondant aux besoins de la population. Malheureusement, le Canada n’est pas encore un autre pays. Les décisions de son gouvernement constitue souvent des attaques majeures contre la majorité populaire au Québec et au Canada.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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