Principaux résultats
Modes, modalités et montants de la rémunération des médecins au Québec : Les médecins du Québec sont principalement payés à l’acte.
En 2015, la proportion de la rémunération brute moyenne versée aux médecins par la Régie d’assurance maladie du Québec (RAMQ) selon le principe du paiement à l’acte était de 69,9 % pour les médecins omnipraticiens et de 82,3 % pour les médecins spécialistes. On observe une sophistication continue de la structure de définition des actes ce qui a engendré des manuels de facturation d’une complexité considérable. De plus, le tarif relatif des actes n’a que peu de lien avec le temps et l’effort demandé ou encore avec la pertinence clinique. Les modèles de rémunération en place sont d’avantage le résultat de relations de pouvoir et de choix historiques que le produit de décisions éclairées et rationnelles.
Au Québec, les règles de facturation sont négociées entre les fédérations médicales et le gouvernement. L’ensemble du système de négociation de la rémunération des médecins est d’une grande opacité.
Les médecins omnipraticiens sont ceux qui ont vécu le plus grand nombre de modifications aux modalités de rémunérations durant notre période d’étude avec l’instauration des forfaits, primes et suppléments. Entre 2006 et 2015, les montants consacrés à ces primes, forfaits et suppléments sont passés de 36 millions de dollars par an à 434 millions de dollars par an. En ce qui concerne les médecins spécialistes, pour la majorité des spécialités, il n’y a pas eu de changements majeurs au niveau des modalités de rémunération.
Au cours de la période étudiée, les sommes consacrées à la rémunération des médecins par le gouvernement du Québec ont considérablement crû. En dollars courants, les dépenses publiques liées à la rémunération ont doublé (100 %) en 10 ans, passant d’environ 3,3 milliards de dollars à environ 6,6 milliards de dollars. Ceci représente un taux d’augmentation annuel moyen de l’ordre de 8,1 %. Le plus gros de l’argent a été versé aux médecins spécialistes. L’augmentation de la rémunération des médecins spécialistes a été de 116 % en 10 ans (8,9 % par an en dollars courants et 6,2 % par an en dollars constants). Pour sa part, l’augmentation de la rémunération des médecins omnipraticiens fut de 78 % en 10 ans (6,6 % par an en dollars courants et 4 % par an en dollars constants). L’écart entre les deux groupes s’est creusé davantage entre 2012 et 2015, car durant cette période, les spécialistes ont vu l’augmentation de leurs revenus s’accélérer alors qu’en dollars constants, elle a stagné pour les médecins omnipraticiens.
Production des soins
L’effectif médical du Québec a cru de 17 % entre 2006 et 2015 ce qui est nettement plus rapide que le 5 % de croissance démographique qu’a connu la province durant cette période.
Chez les médecins omnipraticiens, le nombre d’actes est passé de 26,74 millions d’actes réalisés en 2006 à 24,54 millions en 2015, soit une baisse de 8,2 %. Chez les médecins spécialistes, le nombre ajusté d’actes (voir annexe méthodologique) est passé de 37,85 millions d’actes réalisés en 2006 à 41,29 millions en 2015, soit une hausse de 9,1 %. Toutefois ces derniers chiffres doivent être interprétés avec prudence, la structure des actes ayant changé.
Afin de contrôler certains des biais possibles liés à l’utilisation du volume d’actes comme mesure de la production, nous avons également calculé le nombre de visites. Au cours de la période d’étude, le nombre moyen de visites par médecin omnipraticien a diminué de 3 118 à 2 581, ce qui représente une baisse de 17 % en 10 ans. De même, le nombre moyen de visites par médecin spécialiste a diminué de 3 421 à 3 000, ce qui représente pour sa part une baisse de 12 % en 10 ans.
Le nombre moyen de jours travaillés pour la RAMQ chez les médecins omnipraticiens est passé de 203 jours par an en 2006 à 194 jours par an en 2015, ce qui représente une baisse de 4,5 %. Chez les médecins spécialistes, la tendance est très similaire avec une baisse de 210 jours par an en 2006 à 203 jours par an en 2015, soit une diminution de 3,1 %.
Ces données montrent que les investissements majeurs pour augmenter le niveau de rémunération des médecins ont été accompagnés d’une baisse de la production de soins.
Influence du mode de rémunération sur la pratique des médecins et sur certaines dimensions de la performance
Chez les omnipraticiens :
L’analyse des éléments identifiés dans les entrevues comme ayant un impact sur la pratique médicale montre que les principaux déterminants de la pratique ne sont pas directement les règles de facturation. Les médecins omnipraticiens se disent surtout influencés par le lieu de pratique et, entre autres, par les ressources disponibles, les attentes en termes d’inscription de patients, les frais de cabinet ainsi que la dynamique de contrôle/soutien par les pairs.
En première ligne, l’impact des primes, forfaits et suppléments est difficile à apprécier. Les incitatifs versés sont souvent déconnectés des choix cliniques quotidiens des médecins. Les grands paramètres de la pratique clinique sont plutôt établis ou révisés à l’occasion d’événements externes (changements familiaux, nouveau lieu de pratique, décision de groupe).
De manière générale, en raison de leur portrait clinique, certains patients sont considérés comme « non rentables » par certains médecins payés à l’acte et ceux-ci vont délibérément essayer de ne pas trop inscrire ce type de patients. Les incitatifs en première ligne ne sont pas la solution pour l’inscription de ces clientèles.
Nos données mettent de l’avant plusieurs effets indésirables de la rémunération à l’acte en particulier de la demande induite et une baisse de la motivation intrinsèque chez les médecins. On parle de demande induite quand des incitatifs poussent les médecins à réaliser des interventions qu’ils n’auraient pas réalisées sur la base de leur seul jugement clinique. La motivation intrinsèque décrit le conditionnement social et professionnel qui pousse une personne à faire ce qui est « bien » par opposition aux motivations extrinsèques comme le revenu ou le prestige.
Chez les spécialistes :
Il n’y a pas eu de modifications majeures à la structure de rémunération de trois des quatre spécialités étudiées (radiologie, cardiologie et ophtalmologie). En ce qui concerne la quatrième (psychiatrie) il y a eu une transition vers un plus grand recours au paiement à l’acte. En radiologie, cardiologie et en ophtalmologie, ce sont des changements technologiques qui ont permis d’augmenter la cadence de soins. Les tarifs des actes n’ont cependant pas été revus ce qui a conduit à creuser des écarts entre spécialités et à l’intérieur même des spécialités. Ces écarts entrainent des difficultés de recrutement pour la relève en médecine dans les spécialités moins techniques. On observe des effets indésirables de la rémunération à l’acte sur la qualité et la pertinence des soins.
Synthèse et recommandations
Bien que la rémunération à l’acte soit le mode qui incite le plus à la productivité, la production des soins médicaux a stagné ou diminué au Québec entre 2006 et 2015. L’explication la plus plausible est la conjonction d’un « effet de revenu » (soit une baisse de l’intensité de travail causée par une augmentation du niveau de revenu) et un changement dans les préférences et les priorités des nouveaux médecins. On observe par ailleurs tous les effets indésirables de ce mode de rémunération documentés dans les écrits scientifiques sur les risques et atteintes à la qualité de soins.
Pour améliorer le mode de rémunération des médecins en vigueur au Québec, nous faisons les six recommandations suivantes :
1. Pour arrimer les modalités de rémunération des médecins avec l’atteinte d’objectifs externes (efficience, qualité, accessibilité), il faut que le MSSS assume ses responsabilités et ses prérogatives. Il doit renforcer son pouvoir sur la gouverne du système de rémunération face aux fédérations afin de limiter leur influence sur la gestion de l’enveloppe globale. Notre analyse montre que ceci est une condition préalable et essentielle aux autres recommandations.
2. La rémunération à l’acte est un mode de rémunération complexe et administrativement lourd qui a des effets indésirables sur la pertinence et la qualité des soins. Il devrait céder la place à un plus grand recours à des modèles qui reposent sur la durée du temps de travail, en particulier pour la pratique en établissement et dans les contextes où le travail est fortement interprofessionnel.
3. Pour la composante de rémunération à l’acte, le tarif devrait être une fonction aussi directe que possible du temps et/ou de l’effort demandé. Ce principe devrait être appliqué entre fédérations, entre spécialités et à l’intérieur des spécialités. À cet égard, des réajustements devraient être effectués pour corriger les écarts qui se sont creusés entre les fédérations, entre les spécialités et entre les sous-spécialités.
4. L’incitation financière devrait être utilisée surtout comme levier pour pousser les médecins à s’auto-organiser en groupes/départements. L’imputabilité quant à l’atteinte d’objectifs d’accessibilité/qualité/efficience devrait être collective et des objectifs clairs en termes d’attente pour la pratique clinique devraient être établis et monitorés afin de s’assurer de la couverture des besoins de la population.
5. La pérennité économique du système de santé est menacée par la combinaison d’une diminution de la capacité de production et d’une augmentation des sommes investies dans la rémunération médicale. Les ajustements dans les modalités de rémunération et en particulier les réajustements entre fédérations et entre groupes de médecins devraient être réalisés sans investissements additionnels.
6. Les données sur les modalités de rémunération, les dépenses et la production de soins devraient être publiques et soumises à des analyses rigoureuses et transparentes.
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