Édition du 12 novembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Ahed Tamimi incarne la politisation de la jeunesse palestinienne

Elle n’est âgée que de 17 ans. Mais son visage a déjà fait le tour du monde. La Palestinienne Ahed Tamimi a été arrêtée par les autorités israéliennes le 19 décembre 2017. Inculpée pour « violences aggravées », elle est notamment accusée d’avoir frappé deux soldats israéliens dans son village de Nabi Saleh, à dix kilomètres de Ramallah, en Cisjordanie.

Tiré de Equal Times.

L’évènement n’aurait sans doute pas eu le même impact s’il n’avait pas été enregistré par sa mère et relayé abondamment sur les réseaux sociaux.

Dans une vidéo devenue virale, on peut voir Ahed Tamimi, accompagnée d’une cousine, s’énerver contre deux soldats postés dans la cours de leur maison familiale. L’adolescente leur demande de partir, les bouscule et finit par leur donner des gifles et des coups de pieds. Face à son insistance, les militaires restent de marbre puis finissent par reculer.

Ce n’est pas la première fois qu’Ahed Tamimi fait parler d’elle. La jeune fille était apparue dans une autre vidéo en 2012. Alors âgée de seulement onze ans, elle bousculait déjà des soldats israéliens pour leur signifier qu’ils n’étaient pas les bienvenus dans son village.

Le procès d’Ahed Tamimi s’est ouvert le 13 février dernier devant le tribunal militaire de la prison d’Ofer, en Cisjordanie. Aux yeux de la droite israélienne, et notamment du ministre de l’Éducation et chef du parti pro-colonisation Le Foyer juif, Naftali Bennet, l’adolescente est une dangereuse agitatrice qui doit payer pour avoir « humilié » l’armée israélienne.

Mais selon son avocate israélienne, Gaby Lasky, la jeune palestinienne n’a rien à se reprocher. « Ahed a le droit de résister contre l’occupation. Cela n’a rien d’un acte criminel », estime-t-elle.

Un avis partagé par de nombreuses associations de défense des droits humains. Le 12 février, Amnesty International a demandé la libération immédiate de l’adolescente, rappelant que « l’arrestation, la détention et l’emprisonnement d’un enfant doivent être une mesure de dernier recours ».

L’avocate d’Ahed Tamimi va même plus loin en affirmant que le procès de la jeune palestinienne est « illégal ». « L’occupation est illégale, et donc ce tribunal, en tant qu’organe de l’occupation est illégitime pour organiser le procès d’Ahed ».

Pour étayer sa défense, Gaby Lasky invoque le fait que le juge militaire ait ordonné que le procès se déroule à huis clos, loin du regard des médias et des diplomates étrangers. Et cela contre le souhait d’Ahed Tamimi et de sa famille.

« Le tribunal dit qu’il veut protéger Ahed en instaurant un huis clos. Mais je pense que le tribunal veut se protéger lui-même. Il sait que les gens, à l’extérieur, pensent que les droits d’Ahed sont bafoués et que son procès ne devrait pas avoir lieu », juge l’avocate.

Pour de nombreux Palestiniens, Ahed Tamimi est ainsi devenue une icône de la résistance contre l’occupation israélienne. Pour son père Bassem Tamimi, l’adolescente est « une combattante de la liberté qui, dans les années à venir, mènera la résistance (contre) la domination israélienne ».

Une nouvelle génération d’activistes palestiniens

À l’image d’Ahed Tamimi, d’autres jeunes palestiniens se politisent et s’emparent des réseaux sociaux pour exprimer leur frustration et leur colère.

Dans la famille Tamimi, une autre cousine d’Ahed, Jinna Jihad, est également connue pour son engagement politique. Du haut de ses dix ans, elle est présentée comme « la plus jeune journaliste de Palestine ».

Depuis un an, la jeune fille apparaît en effet dans une flopée de vidéos, dans lesquelles elle commente les manifestations ou les affrontements en cours avec l’armée derrière elle. Une activité qui lui vaut d’être suivie par plus de 270.000 abonnées sur Facebook.

Loin d’être anecdotique, la popularité de Jinna Jihad dépasse les frontières de la Cisjordanie. Pour preuve, la jeune palestinienne a reçu un prix spécial des mains du président turc Recep Tayyip Erdogan en mars 2017.

Moins connu des médias occidentaux, Ziad Fakhoury illustre aussi le phénomène à l’extrême. À seulement trois ans, ce petit garçon, fils d’un journaliste palestinien, dispose de sa propre chaîne YouTube. Plus de 59.000 abonnés visionnent ses vidéos.

Visage poupon, yeux rieurs et langue bien pendue, Ziad multiplie les saillies contre l’occupation israélienne, abordant des sujets aussi compliqués que politiques.

Interrogé par Middle East Eye, son père raconte que le petit garçon « sociable et surdoué (…) veut être la voix d’une enfance sacrifiée par l’occupation ». « Malgré la complexité de certains sujets abordés, Ziad a un don pour simplifier les choses et ajouter une touche de légèreté », assure-t-il.

Côté israélien, cet engagement politique précoce en hérisse plus d’un. Pour certains, ces jeunes palestiniens seraient instrumentalisés par leurs parents. Ils ne seraient que des « pions » dans la guerre médiatique, surnommée « Pallywood » (contraction de Palestine et Hollywood), que les Palestiniens mènent à Israël contre l’occupation.

« Depuis la seconde Intifada, il y a une distorsion entre ce qui se passe sur le terrain et ce que montrent les Palestiniens dans leurs vidéos », dénonce Maurice Hirsch, membre de l’association pro-israélienne NGO Monitor.

C’est pourquoi, d’après lui, la vision de l’affaire Tamimi serait faussée. « On présente la famille Tamimi comme des défenseurs des droits humains, mais le père a été inculpé pour avoir poussé des enfants de son village à attaquer des soldats israéliens. Ils transforment leurs enfants en armes », analyse-t-il.

De fait, les discours politiques dans lesquels sont baignés les enfants palestiniens dès leur plus jeune âge, que ce soit à l’école, à la télévision ou dans leur entourage, ont certainement une influence sur leur engagement précoce.

« Les écoles maternelles en Cisjordanie ont servi de système institutionnel qui a renforcé cette politisation des enfants palestiniens », écrivait déjà en 1996 le Palestinien Nafez Nazzal, aujourd’hui professeur à l’université hébraïque de Jérusalem.

Selon l’universitaire, les comptines enseignées aux enfants palestiniens pendant la seconde Intifada, destinées à éveiller leur conscience politique et à cultiver leur patriotisme, ont joué un rôle déterminant dans ce processus.

Mais Nafez Nazzal précise que ces comptines n’auraient certainement pas eu un impact aussi efficace sur les jeunes palestiniens si elles ne reflétaient pas leur expérience réelle.

« Pour les enfants, ces rimes n’étaient pas fictives ou imaginaires, mais étaient valides et compatibles avec leur vie quotidienne de tous les jours », souligne-t-il, citant par exemple les destructions de leurs maisons ou encore les confrontations avec les soldats israéliens.

Au fond, peu importe que ces jeunes palestiniens aient été influencés par leurs parents ou non. Comme Ahed Tamimi, ils sont nés et ont grandi sous occupation. Pour eux, s’engager dans la résistance face aux Israéliens est donc devenu un motif de fierté mais aussi une raison d’exister. Et cela, au risque de se retrouver derrière les barreaux.

Le procès d’Ahed Tamimi doit reprendre le 11 mars prochain. Selon les estimations, l’adolescente pourrait écoper d’une peine d’un an et demi à sept ans de prison.

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