Depuis la nuit des temps, nous avons fait de la mobilité un moyen d’être les protagonistes de nos destinées, afin d’atteindre un plus haut degré de sécurité et de solidarité individuelle et collective. La migration a toujours été, et restera, consubstantielle aux réalités internationales, à l’humanité et à l’être humain.
Si hier nous nous déplacions par nécessité, à la recherche d’espoir, en fonction des courants religieux, des guerres et des promesses du commerce, aujourd’hui, nous continuons à nous déplacer pour les mêmes raisons, mais aussi à cause des inégalités, de la crise environnementale, du productivisme développementaliste, du travail et des nouveaux conflits globalisés.
Aujourd’hui, une personne sur sept sur la planète est un migrant et fait l’expérience des multiples formes de mobilité humaine. Aujourd’hui, pour la première fois depuis les grandes conflagrations du siècle dernier, nous approchons du nombre de 65 millions de personnes déplacées de force et réfugiées, dont une bonne partie à cause de l’incapacité du système international à faire face à l’instabilité du Moyen-Orient.
Contre vents et marées, avec espoir et non sans contradictions, nous avons adopté et alimenté le mouvement de mondialisation sans précédent qui relie de manière irréversible tous les coins de la planète dans un nouveau destin commun planétaire. Nous sommes 250 millions de migrants « transnationaux » à avoir franchi les frontières (3,3% de la population mondiale).
Nous sommes 750 millions de migrants internes, issus de la mobilité au sein d’un même pays pour venir vivre le plus souvent dans les grandes villes. De cette façon, nous avons été des vecteurs de richesse (nous sommes environ 30% de la main-d’œuvre de la planète), mais aussi de nouvelles formes de citoyennetés et de luttes sociales. Nous avons engendré de nouveaux mondes aux confluences des sociétés, interculturels et perturbant souvent l’ordre établi.
Notre Nord est devenu le Sud pour ainsi dire, car l’équilibre démographique mondial s’est inévitablement tourné vers le Sud global, même si nous continuerons à migrer vers les pays occidentaux.
Aujourd’hui, nous sommes des témoins directs des murs qui se dressent, des identités exacerbées nationalistes qui se manifestent, de l’érosion du droit à la mobilité, de l’imposition des concepts de « migration régulière et en toute sécurité » et du refus de l’immigration. Toutes ces manifestations d’un monde englué dans ses conflits et son passé, nous englobent, nous divisent et nous tuent.
Une tendance à la dégradation de la mobilité humaine s’est affirmée, reflétant la dégradation des relations au sein de la communauté transnationale. Au cours des dernières décennies, nous avons vu que la grande transformation de la structure de pouvoir à laquelle nous avons contribué en tant que migrants, et qui se construit sous les forces de la mondialisation, génère de nouveaux niveaux de contradictions et des défis pour les peuples et la communauté mondiale.
Au-delà de la contestation des pouvoirs, nous voyons que de nouveaux mondes émergent et demandent à exister, alors que nos fondements institutionnelles restent enracinées dans d’autres temps et d’autres moments historiques. Cela encourage la répression de l’immigration, comme des « dommages collatéraux » ou un « mal nécessaire » pour éliminer ces contradictions, au-delà des bonnes volontés et des ententes multilatérales qui existent déjà au niveau transnational.
Nous rejetons cette perspective destructrice qui, à l’instar d’autres questions inscrites à l’ordre du jour international, n’aborde pas la racine systémique et complexe des problèmes. D’une certaine façon, nos mouvements de réfugiés sont aujourd’hui directement proportionnels au degré d’instabilité du système international. Notre lutte des migrants se trouve clairement à cette croisée des chemins. En fin de compte, c’est une lutte pour revendiquer une société et une mondialisation qui soit positive, légitime, démocratique, non-exclusive, pour promouvoir une vision inclusive des peuples et de la diversité du monde dans laquelle tous les mondes s’intègrent. Il s’agit en fait d’une lutte transversale et complémentaire aux autres luttes éthiques, économiques, politiques, environnementales, civilisationnelles, du local au global.
Par conséquent, nous pensons que nous sommes au seuil d’une nouvelle étape migratoire. S’il s’agissait auparavant de lutter pour un changement dans la conception de la migration et pour l’expansion de la pleine reconnaissance de la mobilité humaine fondée sur une relative ouverture internationale, désormais il convient de revendiquer de nouveaux modèles de stabilité globale et de mondialisation capables de répondre aux exigences d’un monde radicalement interdépendant et donc en rupture avec ses récits antérieures.
À partir du moment où certains pôles de pouvoir réagissent de plus en plus par le protectionnisme, l’autoritarisme ou la ségrégation, permettant aux sociétés d’instrumentaliser la migration comme monnaie d’échange en faveur du fascisme social, de l’opportunisme politique, de la militarisation et de la fabrication d’ennemis, il s’agit d’intensifier les efforts de lutte, depuis les résistances territoriales, vers la recherche des fondements d’un monde intersolidaire, interconnecté, socialement plus juste et équitable. Ce défi nous dépasse de loin en tant que migrants et nous n’avons pas réussi à nous unir suffisamment. C’est pourquoi nous souhaitons construire de nouvelles alliances et d’autres imaginaires.
L’année 2018 sera une année emblématique pour la mobilité humaine à l’échelle mondiale
Sur le plan de l’agenda international et du débat multilatéral, nous rappelons que l’Assemblée Générale des Nations Unies a initié en septembre 2016 un Sommet de haut niveau sur les réfugiés et les migrants. Près de 193 États membres y ont signé la Déclaration de New York (NYD), à savoir une initiative commune proposant une ébauche de réponse pour les mouvements massifs de réfugiés et de migrants.
Les 3 et 4 décembre 2017, une consultation avec les chefs d’État des 193 pays se tiendra à Guadalajara (Jalisco, Mexique) où le Mexique et la Suisse joueront le rôle de modérateurs. D’ici la fin de l’année 2018, il est prévu que l’Assemblée Générale des Nations Unies débatte et approuve l’agenda élaboré par cette consultation mondiale pour ainsi sceller un pacte autour d’une Plate-forme mondiale sur les réfugiés et les migrants.
En parallèle, la Conférence mondiale des peuples pour un monde sans murs de Tiquipaya (Bolivie) s’est tenue en juin 2017. Elle a mis en avant l’idée d’une citoyenneté universelle (une notion que nous avions abordée dans les précédents FSMM) et elle a débouché sur un décalogue de propositions visant à abolir les murs et à promouvoir une nouvelle citoyenneté universelle. D’autre part, des organisations civiles et religieuses se sont réunies à Berlin dans le cadre du Forum Mondial sur la Migration et le Développement (GFMD), avec des positions similaires à celles du sommet bolivien. Un peu plus tard, le Pape François a également rendu publics ses vingt points d’action pour les pactes mondiaux de l’ONU.
Dans tous les communiqués issus des réunions mentionnées, nous observons qu’un consensus commun se manifeste sur l’axe suivant : dépasser la perspective dominante de la politique migratoire fondée sur une approche « régulière, ordonnée et sécurisée » des migrations, par une vision humaniste proposant « d’accueillir, de protéger, de promouvoir et d’intégrer » les migrants, réaffirmant la mobilité humaine en tant que droit essentiel de l’être humain.
S’il va de soi que nous défendions pleinement cet axe, nous ne pouvons cependant que constater l’écart entre les cadres normatifs et « l’exclusion migratoire » qui s’opère de facto dans le système international actuel et qui ne cessera de s’accentuer tant que nous ne disposerons pas d’autres équilibres globaux et de nouveaux niveaux de mobilisation sociale.
Favoriser la mobilisation populaire à l’échelle mondiale pour abolir les murs et les barrages (issu du décalogue bolivien)
En 2018, parallèlement au développement des Dialogues de New York, le Mexique va accueillir le 8ème Forum Social Mondial sur les Migrations. Nous sommes très heureux d’annoncer qu’un Comité national d’organisation a été lancé au Mexique. Deux des principales interrogations provenant des rencontres nationales qui ont rassemblée des universitaires, des professionnels, des techniciens et des activistes, concernent les deux points suivant :
Le 8ème FSMM se conçoit-il comme un événement ou un processus ? Quel en serait le produit concret ? Que peut-on attendre des Dialogues de New York et de l’Assemblée Générale des Nations Unies en 2018 ?
Nous savons que de nombreuses organisations, et parmi elles des techniciens, des spécialistes, des professionnels, des universitaires et acteurs institutionnels, apporteront leur expertise sur la question migratoire dans le cadre des divers fora de consultation organisés par ces Dialogues sur le Pacte mondial. Dans les résolutions de l’Assemblée Générale des Nations Unies, il faut s’attendre à ce que les propositions soient formulées dans un langage extraordinairement enclin à l’universalisation des droits de l’homme et s’affichent comme une « poésie progressiste » aux yeux de la communauté internationale.
Mais, dans la lignée des contradictions mentionnées plus haut, nous savons d’ores et déjà que les États-nations ont négocié et continuent de négocier des pactes régionaux de sécurité et de développement avec les pays bénéficiaires (et sources de migrations). Au-delà de la rhétorique, la question de la sécurité nationale est aujourd’hui une priorité principale et immédiate, comme c’est le cas en Europe ou en Amérique latine à la frontière entre le Mexique et le Guatemala (où le Comando Sur opère militairement déjà depuis quelques mois avec l’appui des gouvernements sud-américains en attente de capitaux et d’investissements).
C’est pourquoi le Secrétariat Technique du 8ème FSMM convoque les 2, 3 et 4 novembre 2018 dans la ville de Mexico (période de célébration culturelle et traditionnelle des « morts » au Mexique) les multiples représentants, les universitaires et les militants d’organisations et de mouvements de résistance du monde entier, afin d’élaborer en présence et virtuellement des actions qui seront menées dans leurs régions et dans leur pays au sein d’un « Engagement global des migrants », respectueux des possibilités et réalités de tout un chacun.
Ces journées pour une mobilité active et militante de Mexico initieront les Journées mondiales de la mobilité globale sous le slogan « Toutes et tous nous migrons et nous pouvons tout faire bouger. Il est temps de migrer vers un autre monde possible ».
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